Un matin de mai 2013, des citoyens du Mile-Ex, à Montréal, sont sous le choc : aux aurores, un promoteur immobilier a rasé illégalement une cinquantaine d’arbres matures sur un terrain vague fréquenté depuis longtemps par les résidants du voisinage.

Cet abattage massif sera l’élément déclencheur d’une intense mobilisation citoyenne qui durera près de 10 ans. Jusqu’à son dénouement heureux en novembre dernier, lorsque le conseil municipal approuve un plan d’aménagement de 10,4 millions pour la création du parc des Gorilles sur ce terrain.

Pourquoi ce nom ? Les militants avaient pris l’habitude d’appeler le terrain en friche « parc de la guérilla », parce qu’ils estimaient être engagés dans une guérilla urbaine pour la création d’un espace vert. Graduellement, cette appellation s’est transformée en « parc des Gorilles », et le nom est resté. Surtout que les membres du comité des AmiEs du parc des Gorilles, qui se surnomment eux-mêmes les « gorilles », souhaitent un aménagement naturel et sauvage plutôt qu’un espace impeccable avec du gazon bien coupé.

IMAGE FOURNIE PAR LA VILLE DE MONTRÉAL

Le futur aménagement du parc des Gorilles

« Ça a demandé beaucoup d’énergie pour garder notre rêve aussi longtemps, la montagne était très grosse », témoigne Patricia Lucas, une écomuséologue retraitée qui fait partie du noyau dur de militants.

On luttait contre une grosse multinationale, notre projet demandait des millions de dollars, ça impliquait l’arrondissement et la ville-centre. Mais notre groupe avait une grande cohésion, on était convaincus, et on a réussi à embarquer beaucoup de monde avec nous.

Patricia Lucas, écomuséologue retraitée

« Il fallait une grande détermination, beaucoup d’imagination et de la patience », renchérit la peintre Frances Foster, qui est aussi une « gorille » de la première heure. « Nous sommes allés poser des questions au conseil municipal et au conseil d’arrondissement, je ne sais plus combien de fois. »

Avant 2013, de nombreux arbres et de hautes herbes s’élevaient sur cette friche, qui donne sur la rue Beaubien. Le terrain appartenait au Canadien Pacifique. Il se trouve dans la prolongation de l’ancienne emprise ferroviaire qui est devenue la piste cyclable des Carrières. On y voyait encore des rails enfouis à certains endroits.

Après avoir acheté le terrain, l’entreprise Olymbec abat les arbres, excave le sol pour le décontaminer et le recouvre de fin gravier. Le promoteur agit sans permis, déclenchant la colère des citoyens et des élus municipaux. Il ne recevra cependant aucune pénalité pour cet abattage sauvage.

Développement gelé

Comme le propriétaire n’a pas encore déposé de projet pour le site, l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie agit rapidement pour imposer, quelques jours plus tard, une réserve foncière, dans le but d’acheter le terrain éventuellement.

« On a pu imposer une réserve pour fins de parc. On s’était presque cachés dans les locaux de l’arrondissement pour faire un conseil spécial pour faire la réserve. Ça a permis de geler le développement sur le terrain », a révélé le maire de l’arrondissement, François Limoges, lors du conseil municipal du 21 novembre dernier.

La partie n’est pas encore gagnée : il faut encore acquérir le lopin de terre, ce que l’arrondissement ne peut pas faire lui-même.

C’est alors que les citoyens se mettent à talonner les élus municipaux, sans relâche pendant des années, pour que le projet ne tombe pas dans l’oubli.

« Ça a donné lieu à une magnifique mobilisation du groupe les AmiEs du parc des Gorilles, qui se sont mis à venir à chaque séance du conseil », a rappelé M. Limoges.

« Il fallait forcer la main de la Ville pour qu’elle achète le terrain », explique Simon Van Vliet, membre du groupe.

Fanfare et poules

Pendant cette période, les gorilles occupent le terrain vide de diverses façons pour se faire voir et entendre, en tenant des rassemblements, des manifestations artistiques, des repas entre voisins. « On a même déjà organisé une parade communautaire avec une fanfare et des poules », rappelle en riant Patricia Lucas.

Les blocs de ciment entourant le site sont peints de motifs aux couleurs vives, une grande murale, œuvre collective, égaie un coin du terrain, des corvées de nettoyage sont organisées.

En 2015, les AmiEs du parc des Gorilles installent même des bacs de bois dans lesquels ils plantent des légumes. Ils reçoivent alors une mise en demeure des avocats d’Olymbec, qui les somment de retirer ces aménagements.

Avant que le terrain soit exproprié, c’était difficile de mobiliser les gens en leur disant qu’il y aurait éventuellement un parc. Mais on a continué nos activités sur le site pour se l’approprier.

Simon Van Vliet, membre du groupe

Après que la Ville eut échoué à négocier l’achat du terrain avec Olymbec, il faudra attendre 2017, peu avant l’expiration de la réserve foncière, pour que l’administration municipale exproprie la propriété. En 2018, Montréal a versé à la Cour supérieure, pour le propriétaire exproprié, une indemnité provisionnelle de 1,9 million, mais l’indemnité finale n’est pas encore établie.

À la suite d’une période de consultations publiques, la Ville a finalement présenté les plans du futur parc et approuvé le financement pour son aménagement, près de 10 ans après le début de la mobilisation.

Les travaux commenceront au printemps et le parc devrait être accessible à l’automne 2024. Il sera cogéré par l’arrondissement et les citoyens.

« Ce parc aura une vocation écologique très forte, sera une mini-forêt dans un espace minéralisé et un poumon vert pour le quartier, » s’est félicité François Limoges. Il a rendu hommage au « combat » mené par les bénévoles des AmiEs du parc des Gorilles, en particulier à Frances Foster « qui est devenue l’âme de ce collectif », a-t-il dit.

En savoir plus
  • 10,4 millions
    Coût d’aménagement du nouveau parc des Gorilles
    Source : Ville de Montréal