Après des décennies de jachère, Montréal est officiellement prêt à lancer le réaménagement du secteur le plus contaminé des environs du centre-ville : une presqu’île flottant sur le « jus de poubelle ».

Le Parc d’entreprise de la Pointe-Saint-Charles, situé le long de l’autoroute Bonaventure entre les ponts Champlain et Victoria, a été un dépotoir pendant un siècle, jusqu’aux années 1960. Le terrain a carrément été gagné sur le fleuve, avec des mètres d’ordures empilées jusqu’au fond.

Montréal espère maintenant y attirer la crème des entreprises vertes.

Le grand changement ? Sans tambour ni trompette – pandémie oblige –, un nouveau système de captation et de nettoyage du « jus de poubelle » souterrain est entré en fonction l’an dernier. Le liquide est capté en continu à l’aide de 23 puits, avant d’être pompé vers une petite usine de traitement située sur place. Deux cloisons souterraines doivent empêcher les contaminants de s’écouler jusqu’au fleuve.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Une série de puits capte le « jus de poubelle » pour l’acheminer à l’usine de traitement.

« En 2012, il y avait des observations évidentes d’hydrocarbures à la surface de l’eau » du Saint-Laurent à cet endroit, a rappelé Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement au comité exécutif de la Ville de Montréal. « On avait des obligations de filtrer ces eaux souterraines. […] On a mis un terme à une problématique environnementale qui traînait depuis des années, voire des décennies. »

Nouvelle usine

La Presse a pu faire la première visite médiatique de ces installations, plus tôt en décembre.

Sur place, deux séries distinctes de machines traitent le « jus de poubelle » dilué, recueilli par les puits de captage pour éliminer les deux contaminants principaux qu’on y trouve : les hydrocarbures d’un côté et l’ammoniac – issu de la dégradation de déchets organiques – de l’autre.

L’ensemble ressemble à une usine d’épuration miniature. Aucune odeur ne vient troubler les narines des visiteurs.

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Marion Arrizabalaga, ingénieure à la Ville de Montréal, et Claire Merckaert, du service de l’environnement de la Ville de Montréal

« On analyse 100 % du débit [d’eau contaminée] qui entre », a expliqué Claire Merckaert, du service de l’environnement de la Ville de Montréal, devant une carte du secteur. Les grandes concentrations d’hydrocarbures et d’ammoniac se trouvent souvent aux mêmes endroits, mais ce répugnant sous-sol recèle encore bien des mystères. Il y a « des déchets, des cendres, toutes sortes de choses. On sait plus ou moins ce que c’est », a indiqué Mme Merckaert. « Quand ils ont creusé pour faire le mur, ils ont eu des surprises », a ajouté Marion Arrizabalaga, ingénieure à la Ville : des pneus, des blocs de ciment, des matières organiques.

Une fois l’eau contaminée traitée dans l’usine, elle est redirigée vers le réseau d’égout municipal, où elle sera traitée de nouveau avant de regagner le fleuve. Les contaminants retirés, eux, sont enfouis. La Ville de Montréal cherche une façon de valoriser les boues contaminées à l’azote ammoniacal, probablement en agriculture.

Pour l’instant, tous les signaux sont au vert quant à la performance du système, a indiqué Mme Arrizabalaga : « On ne voit plus de résurgence d’hydrocarbures » dans le fleuve.

Ce n’est pas nécessairement la solution la plus économique qu’on a choisie, mais ça met un terme définitif à la migration des [contaminants].

Marion Arrizabalaga, ingénieure à la Ville de Montréal

L’usine elle-même a été construite au-dessus d’un siècle d’ordures. « Ce sont des déchets, du coup, ça se dégrade, ça s’enfonce, mais pas de manière égale », a expliqué Mme Merckaert. Toute la tuyauterie doit donc être adaptée pour ne pas casser au moindre mouvement du bâtiment.

Contrairement à un projet de décontamination classique, pas question ici d’excaver les sols pour les traiter : il faudra compter des décennies, probablement un siècle, avant que l’on puisse considérer ce secteur comme décontaminé.

Un futur « pôle d’emplois »

Pour la Ville de Montréal, pas question d’attendre tout ce temps.

Montréal veut rapidement « redévelopper ce site », a affirmé Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement au sein de l’administration Plante. « Ça représente quand même un assez grand périmètre à deux ou trois kilomètres du centre-ville. »

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Futurs bâtiments des studios MELS, construits sur des pilotis ancrés dans le roc

Déjà, dans les dernières années, certains bâtiments se sont construits sur les terrains de l’ancien dépotoir. D’immenses studios de tournage MELS, notamment, mais aussi deux immeubles commerciaux. Ils sont construits sur des pilotis ancrés dans le roc, ne peuvent avoir de sous-sol et possèdent des systèmes spécialisés pour gérer le risque d’infiltration de biogaz.

Mais en décontaminant le terrain, l’administration espère accélérer l’installation d’entreprises et « agir en amont d’une crise environnementale ».

« On organise vraiment la planification de ce secteur-là en cohérence avec le plan de mise en valeur de Bridge-Bonaventure, a-t-elle continué. On cherche à développer un pôle d’emplois qui va être axé sur la transition écologique. »

Mme Mauger s’est félicitée de la conclusion d’un projet à l’intérieur du budget et du calendrier prévus.