Trois ans après son inauguration, le programme de décontamination qui devait transformer l’est de Montréal fait du surplace, selon les données obtenues par La Presse.

Alors que Québec comptait y consacrer jusqu’à 200 millions de dollars, un seul terrain privé a été décontaminé jusqu’à maintenant. Trois autres terrains, appartenant tous à la Ville de Montréal, ont aussi été nettoyés. Quelque 9,6 millions ont été utilisés, alors que le programme prend fin dans un an.

C’est ce que révèle une demande d’accès à l’information effectuée par l’opposition officielle à l’hôtel de ville et dont La Presse a obtenu copie.

Le gouvernement du Québec et Montréal se disent tous les deux déçus de la lenteur de la décontamination, qui devait déclencher la revitalisation de ce secteur.

« On aimerait que ça aille plus vite, on ne peut pas dire le contraire », a reconnu le ministre de l’Économie et ministre responsable de la Métropole, Pierre Fitzgibbon, en entrevue. « J’aimerais que ça aille plus vite, mais il faut être réaliste », a-t-il continué, soulignant que le manque d’options de transport et l’isolement de plusieurs secteurs de l’est de Montréal nuisent au développement local de projets commerciaux. Et sans projet précis, les propriétaires ne sont pas incités à décontaminer.

Luc Rabouin, responsable de l’économie de l’administration Plante, exprime la même déception nuancée.

« C’est sûr qu’on aimerait être rendus beaucoup plus avancés dans la décontamination des terrains de l’Est. On avait beaucoup d’espoir qu’on aurait eu plus de demandes et qu’on aurait pu avancer plus rapidement », a-t-il dit en entrevue téléphonique, ajoutant que des projets avaient récemment été soumis. « Il faut aussi voir qu’on a eu deux ans de pandémie qui ne sont pas nécessairement les meilleurs moments pour que des propriétaires agissent. »

Son vis-à-vis de l’opposition à l’hôtel de ville voit les choses autrement. « L’administration de Projet Montréal a complètement délaissé ce côté-là du développement de l’est de Montréal, a dit Julien Hénault-Ratelle. C’est malheureux parce que c’est l’un des besoins les plus souvent cités par les citoyens de l’est de Montréal. »

Démarche parfois complexe

La pandémie n’est pas le seul obstacle cité par le milieu des affaires pour expliquer le manque de popularité du programme de décontamination.

« Clairement, on n’a pas atteint nos objectifs à ce moment-ci, et le secteur privé ne répond pas à l’appel », a expliqué le président de la Chambre de commerce de l’est de Montréal, Jean-Denis Charest. « Je suis extrêmement déçu, mais en même temps, je ne pense pas que c’est une question de volonté. »

Au banc des accusés : le décaissement tardif des subventions, une fois la décontamination terminée, qui oblige les propriétaires à avancer la totalité du coût des travaux pendant plusieurs mois. « Il n’y a pas beaucoup de PME qui vont vouloir immobiliser 1, 2 ou 3 millions en liquidités, a-t-il expliqué. Il n’y a pas beaucoup de [prêts-]ponts. »

Autre enjeu : le manque de connaissances ou d’intérêt de certains propriétaires, dont la décontamination n’est pas le champ d’expertise. « Ça demande certaines démarches et d’engager certains frais avant de savoir si on va être éligible pour le programme », a dit M. Charest, relayant les commentaires de ses membres.

Il faut se relever les manches et regarder d’autres approches. On ne peut pas abandonner, on n’arrivera pas à revitaliser l’Est si on ne mise pas sur ces terrains-là.

Jean-Denis Charest, président de la Chambre de commerce de l’est de Montréal

Les immenses terrains des sociétés pétrolières ne sont pas admissibles au programme.

Kevin Morin représente les entreprises de décontamination à titre de patron du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ). En plus de ces problèmes, il cite la complexité du programme, qui exige que les propriétaires aient reçu un bon nombre de soumissions avant de procéder au nettoyage. À cause de la pénurie de main-d’œuvre et des carnets de commandes remplis à ras bord, « ça peut arriver que ce soit plus difficile de réunir le nombre requis de soumissionnaires », a-t-il dit.

« Ça s’active »

Devant son manque d’efficacité, le programme a été modifié début 2022 afin d’augmenter la proportion de la décontamination payée par l’État à 90 % de la facture.

C’est le maximum absolu que les pouvoirs publics peuvent donner à des propriétaires privés pour valoriser leurs propres terrains, a dit M. Rabouin. « C’est extrêmement généreux. On ne peut pas le faire nous-mêmes, à un moment donné. »

L’élu municipal et le ministre de l’Économie ont tous les deux souligné que de nouveaux dossiers de candidature avaient atterri sur les bureaux des fonctionnaires responsables du programme « dans les dernières semaines ».

Six nouveaux terrains attendent actuellement un feu vert : trois terrains privés, trois terrains publics, a précisé Luc Rabouin. « On voit que les efforts commencent à porter leurs fruits », a-t-il dit, précisant que les projets totalisent 33 millions. « On voit que ça s’active. »