Fermeture d’une des deux pistes, hausse sans précédent des tarifs imposés aux écoles de pilotage, chute de 80 % des atterrissages et décollages : Aéroports de Montréal (ADM) est accusé de miner l’aviation à Mirabel.

« Les contrôleurs aériens ont sorti leur jeu de Scrabble. Il peut s’écouler des heures sans qu’ils voient un avion. »

Marc-André Théorêt dit avoir un siège au premier rang pour assister à un triste spectacle : celui d’un aéroport de renommée mondiale en train de sombrer.

Au moment où le secteur aérien international connaît un boom sans précédent, à Mirabel, on gère la décroissance, déplore M. Théorêt, président des hangars Mirajet, notaire semi-retraité et membre d’un groupe qui aimerait relancer les activités aéroportuaires à Mirabel.

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Marc-André Théorêt, président des hangars Mirajet

« Les atterrissages et décollages sont en baisse, une des deux pistes vient d’être fermée, et il n’y a aucune vision pour dynamiser les activités aéroportuaires sur un site incroyable qui fait l’envie du monde entier, et où le bruit ne dérange personne », déplore celui qui est aussi pilote.

Jean-Denis Garon, député bloquiste de Mirabel, accuse ADM et le gouvernement fédéral d’avoir « tourné la page » sur le développement de l’aviation à l’aéroport de Mirabel.

Dans mes conversations avec les dirigeants d’ADM, je réalise qu’ils voient Mirabel comme un problème qu’ils aimeraient mieux ne pas avoir.

Jean-Denis Garon, député bloquiste de Mirabel

Symbole de ce désengagement, selon M. Garon : la piste 11-29, l’une des deux pistes de Mirabel, a été fermée plus tôt cette année. Les circuits électriques permettant aux contrôleurs d’allumer les lumières de pistes ont été désactivés, de même que les approches aux instruments. De grands « X » blancs ont été peints sur la piste de 2,6 km de longueur pour indiquer qu’elle est hors service.

PHOTO FOURNIE PAR MARC-ANDRÉ THÉORÊT

De grands « X » blancs ont été peints sur la piste 11-29 à l’aéroport de Mirabel pour indiquer qu’elle est hors service.

Le député reproche au ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, dont le ministère est propriétaire des terrains de l’aéroport, d’avoir abdiqué et renoncé à rappeler ADM à l’ordre. « Le ministre m’a dit qu’il considère qu’ADM est indépendant. Bien honnêtement, je ne pense pas qu’ADM comprend son mandat, et que le gouvernement fédéral comprend sa responsabilité, parce qu’il s’en dédouane. »

INFOGRAPHIE LA PRESSE

ADM surpris des critiques

Éric Forest, conseiller aux communications corporatives d’ADM, dit être « énormément surpris » des critiques formulées à l’endroit d’ADM.

Il signale que l’aéroport international de Montréal-Mirabel (YMX) « est un pôle en plein essor qui compte parmi ses partenaires les chefs de file de l’industrie aéronautique et des entreprises de classe mondiale. Plus de 40 entreprises du milieu aérospatial, mais également d’autres sphères d’activité, se sont installées à Mirabel et sont à l’origine de la création de plus de 7600 emplois de grande qualité, soit nettement plus qu’à l’époque où le site avait la vocation d’aéroport de passagers », soulève-t-il.

Sur le plan de l’activité cargo, une forte croissance du volume de fret ayant transité par YMX a été enregistrée par rapport à 2020, surpassant même légèrement le niveau enregistré en 2019, note-t-il.

ADM nie avoir fermé une des pistes de l’aéroport.

« Une des deux pistes est présentement inutilisée, notamment en raison du nombre de mouvements qui ne justifie pas d’avoir deux pistes fonctionnelles à YMX », écrit M. Forest.

Parc industriel

Benoit Vachon, vice-président régional de l’Association canadienne du contrôle du trafic aérien (ACCTA), note que la fermeture d’une des deux pistes semble montrer qu’une hausse des activités d’aviation n’est pas envisagée. « On a l’impression qu’ADM est plus en train de développer un parc industriel qu’un aéroport », déplore-t-il, ajoutant toutefois ne pas craindre la fin des vols cargo à Mirabel.

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Joe Khawam, pilote et partenaire de Mirajet

Joe Khawam, pilote et partenaire de Mirajet, croit que le rôle d’ADM est de prioriser l’aviation. « Toutes les expropriations à l’époque pour créer Mirabel n’étaient pas pour un parc industriel : elles étaient pour un aéroport, et c’est un aéroport qu’il faut revitaliser. Au lieu de ça, nous avons ICAR, qui loue des voitures de course pour rouler sur le tarmac à Mirabel. J’aime beaucoup les voitures, mais est-ce vraiment ça qu’ADM veut faire avec le potentiel de Mirabel ? »

L’attrait d’un parc industriel peut être fort, mais d’autres solutions existent, observe Charles Vaillancourt, ex-président du conseil d’administration de Développement Aéroport Saint-Hubert de Longueuil.

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Installations à l’aéroport de Mirabel

« Un aéroport, c’est permanent comme installation. C’est tentant de faire un parc industriel, mais il faut penser aux besoins de l’aviation dans 20, 30, 50 ans », dit-il, ajoutant avoir résisté à la création d’un parc industriel sur les terrains de l’aéroport de Saint-Hubert pour cette raison.

Frais dissuasifs

Si les décollages et atterrissages quotidiens ont chuté à Mirabel, c’est qu’ADM a imposé une hausse draconienne des frais, notamment aux avions à pistons, qui constituent la majorité de la flotte d’avions au Canada.

Christine Gervais, présidente de l’Association canadienne des pilotes et propriétaires d’aéronefs (COPA), qui représente 15 000 pilotes et propriétaires d’aéronefs — la plus grande association du genre au Canada –, note que les frais ont augmenté de 400 % à Mirabel.

« C’est à l’origine de la baisse de 80 % des mouvements d’avions à Mirabel, dit-elle. C’est prohibitif, c’est en train de tuer les écoles d’aviation, au moment où tout le monde cherche des pilotes. »

Laurent Delbar, gestionnaire d’exploitation chez Chrono aviation et pilote qui travaille depuis 36 ans dans l’aviation au Québec, dit que c’est « le jour et la nuit » entre l’accueil que lui et ses pairs reçoivent à l’aéroport international Jean-Lesage de Québec, où il enseigne aux futurs pilotes de ligne.

À l’aéroport de Québec, on nous voit comme faisant partie de la solution. Mais ADM ne s’intéresse pas à ça, alors que c’est pourtant dans leur mandat de s’y intéresser.

Laurent Delbar, gestionnaire d’exploitation chez Chrono aviation

Au cabinet du ministre fédéral des Tranports, on écrit, sur la question des frais exigés : « Aéroports de Montréal est le seul responsable de la fixation des redevances, et comme il y a un désaccord persistant entre deux entités privées, il leur appartient de régler la question entre elles. »

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM), note que Mirabel ne peut pas revivre l’âge d’or qu’il a connu avant le transfert des vols à Dorval.

« Cela étant dit, est-ce justifié d’abandonner Mirabel à ce point ? C’est là que les défenseurs de Mirabel ont raison, à mon avis. Avec Mirabel, on a été trop vite à abandonner, on n’a pas cherché à penser autrement l’aéroport. »

Les actes d’atterrir et de décoller sont accessoires pour un aéroport, dit-il.

« Ce qui est important, c’est d’attirer du monde, d’avoir de l’activité autour de l’aéroport. À Mirabel, on pourrait le faire. Ça prend un porteur de ballon. »

Ce que dit le bail qui lie ADM à Ottawa

Dans le bail de 1992 qui lie Aéroports de Montréal (ADM) au gouvernement fédéral, on lit que le rôle d’ADM est notamment de fournir « des services aéroportuaires de qualité qui répondent aux besoins spécifiques de la communauté, tout en recherchant l’efficience, ainsi que le développement économique et commercial, notamment par la mise en valeur du potentiel des installations qu’elle peut prendre à sa charge ». ADM a aussi le devoir de « rencontrer les besoins présents et futurs des réseaux de transports aériens national et international » et de « coopérer avec les personnes […] qui sont susceptibles de favoriser le développement du transport aérien ».

Source : Transports Canada

Mirabel en cinq dates

1970 : Le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau exproprie à bas prix 10 000 personnes pour lancer la construction de l’aéroport.

1975 : Inauguration de l’aéroport international de Montréal-Mirabel

PHOTO JEAN GOUPIL, ARCHIVES LA PRESSE

Inauguration de l’aéroport international de Montréal-Mirabel, en 1975

1997 : ADM annonce le transfert des vols internationaux réguliers de Mirabel à Dorval.

2014 : Démolition de l’aérogare et du stationnement étagé

2022 : Fermeture et démantèlement de l’équipement d’une des deux pistes