Nouvelle journée, nouvelles règles au Complexe Guy-Favreau, où des centaines de personnes attendent – dehors – d’obtenir un passeport. La file d’attente a été remaniée en fonction des dates de voyage jeudi, au désarroi de ceux qui patientent depuis des jours. Et pour ceux qui restent, l’espoir d’avoir le précieux document avant la date de leur départ se réduit comme peau de chagrin.

« Ceux qui partent demain, ils sont déjà passés. Ceux qui partent samedi sont à l’intérieur », explique Nassima Kherbache, première en ligne devant la porte de l’imposant bâtiment vers 20 h jeudi. C’est la troisième journée – et nuit – que sa famille, principalement son conjoint, passe sur place. L’objectif : obtenir un passeport pour leur fille de 6 ans avant leur départ pour l’Algérie dimanche. Cela fait plus de cinq ans que Mme Kherbache n’a pas vu sa famille restée là-bas. La petite n’avait alors que 8 mois.

Une heure plus tard, Nassima Kherbache ressort du Complexe, déconfite. Elle a bel et bien obtenu le rendez-vous pour le renouvellement du passeport… deux jours après la date de départ.

C’est sûr que je suis déçue. Je vais essayer de changer mon vol, mais tout est complet depuis longtemps, et les vols coûtent très cher…

Nassima Kherbache

Son conjoint, Arezki Badjiarezki, n’en revient simplement pas. En effet, un peu plus tôt, la nouvelle stratégie de Service Canada avait fait grimper d’un cran la tension à l’extérieur du bâtiment : des personnes qui attendent depuis trois jours – dont sa famille – se sont fait dépasser par d’autres qui étaient arrivés quelques heures plus tôt seulement.

« Je suis ici depuis deux nuits et là, il y a des gens qui viennent six heures avant leur vol et ils passent vite. Je comprends, je suis vraiment heureuse pour eux, mais j’aurais aimé ça, moi aussi, venir juste 24 heures avant mon vol », a raconté à La Presse Melissa Matta, qui a fait sa demande de passeport en personne, en mars dernier. On lui avait alors dit que son document de voyage serait prêt le 1er juin, à temps pour son départ pour le Pérou, dimanche.

Au départ de La Presse, vers 21 h 30 jeudi, des dizaines de personnes attendaient toujours pour recevoir un coupon le soir même, tel que promis par la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Karina Gould.

Incertitude

Melissa Matta, tout comme les gens autour d’elle, se demande quoi faire avec son billet d’avion (le conserver, le reporter, l’annuler), d’autant qu’Ottawa a annoncé plus tôt cette semaine que les fonctionnaires de Service Canada devront travailler les jours fériés du 24 juin et du 1er juillet. Les bureaux seront toutefois fermés au grand public.

« On est dans l’incertitude depuis le début. On ne sait pas ce qui va se passer. On entend des rumeurs qu’ils vont être ouverts demain, qu’ils vont donner des rendez-vous, mais on ne sait pas si c’est vrai », explique Mme Matta.

Je voudrais qu’ils soient transparents, qu’ils nous disent à quoi nous attendre à ce stade-ci de la file, si on a des chances ou non de pouvoir partir en fin de semaine.

Melissa Matta

Un peu plus loin dans la file qui s’étirait alors le long de trois des côtés de l’imposant édifice, Marie-Christine Henssen accompagne sa sœur Cristel. Cette dernière doit renouveler le passeport de son fils qui est censé s’envoler pour son tout premier voyage, en Belgique, dimanche.

« Je n’allais pas laisser ma sœur toute seule ici la nuit, s’exclame Marie-Christine Henssen. Ce n’est pas drôle, la nuit. Tout le monde est super gentil, mais reste que je ne voulais pas la laisser toute seule là-dedans. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Des bâches sont fixées à des arbres et à du mobilier urbain.

Pendant les orages nocturnes, les deux femmes se sont abritées sous une toile de plastique et un large parasol qu’elles avaient apportés. Plusieurs « campeurs » ont aussi installé des bâches qu’ils ont fixées à des arbres et à du mobilier urbain. Des toilettes chimiques ont par ailleurs été installées sur le trottoir pour permettre aux gens de se soulager ailleurs que dans une ruelle.

« On l’a ! »

De l’autre côté du Complexe Guy-Favreau, Mélanie Dubuc est sortie de l’édifice triomphante, les bras dans les airs, et très émotive. « On l’a ! », a-t-elle dit en tombant dans les bras de son conjoint et de son ex, le père de sa fille.

Le voyage familial vers Walt Disney, d’abord prévu en avril 2020, a été remis à la semaine de relâche. Mais la fille de Mélanie Dubuc a été déclarée positive à la COVID-19 avant leur départ. La mère a refait une demande de passeport pour son enfant, en mars, car il serait venu à échéance avant leur nouveau départ, prévu le 24 juin.

Ils ont joint leur député fédéral pour s’assurer d’avoir le passeport à temps pour la fin des classes. C’est lui qui leur a confirmé que le document serait prêt le 23 juin.

« C’est le député qui nous a envoyés ici, mais on n’avait aucune preuve officielle », raconte Mme Dubuc, les yeux encore humides. « Ils ont vérifié et ils nous ont laissés entrer. »