Un prolongement du REM de l’Est vers Lanaudière, que le premier ministre François Legault envisage, signerait-il la mort du « train de l’Est » reliant Montréal et Mascouche ? Beaucoup de questions restent en suspens, et les points de vue s’opposent dans le monde politique et le milieu du transport.

À Terrebonne, ville la plus peuplée de Lanaudière avec 120 000 habitants, le maire Mathieu Traversy se réjouit de l’« ouverture » du gouvernement à prolonger le Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, mais aurait souhaité que sa région soit incluse d’emblée dans la première phase du projet, plutôt que dans un deuxième volet.

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Mathieu Traversy, maire de Terrebonne

« C’est une très grande inquiétude en ce qui me concerne », dit M. Traversy, rappelant que le « train de l’Est » devait initialement se décliner en plusieurs phases dans la couronne nord. Or, les tronçons vers Charlemagne et L’Assomption n’ont jamais vu le jour.

Denis Martin, président de la Table des préfets et élus de la couronne nord, est plus incisif. « Le train de l’Est est un peu dépassé par tout ça. C’est la raison pour laquelle on voudrait voir le REM de l’Est se prolonger. Il viendrait remplacer cette option-là. Si on veut que les gens délaissent la voiture, il faut rendre le transport attrayant. Avec un train aux quatre à cinq minutes, ça va encourager les gens. »

À ses yeux, la ligne vers Mascouche n’est « pas un projet d’avenir ». « Ça fait deux ans qu’on a des discussions avec l’ARTM [Autorité régionale de transports métropolitain] pour savoir comment on arrimerait le train de l’Est avec le REM. Avec la nouvelle approche annoncée [lundi], on pourra avoir des discussions beaucoup plus franches », dit M. Martin, qui est aussi maire de Deux-Montagnes.

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Denis Martin, président de la Table des préfets et élus de la couronne nord et maire de Deux-Montagnes

Si on conserve un mode lourd en plus du REM, disons que ça ferait beaucoup de connexions. On augmente les chances que les gens ne l’utilisent pas.

Denis Martin, président de la Table des préfets et élus de la couronne nord

D’ici à un éventuel prolongement du REM vers Lanaudière, plusieurs solutions seront envisagées pour tenter de décongestionner cette région en forte croissance. Parmi celles-ci : l’ajout de nouveaux circuits d’autobus, de voies réservées au covoiturage et une augmentation de la fréquence du « train de l’Est ». Ces options feront l’objet de discussions dans le cadre d’un forum sur la mobilité de la couronne nord qui se tiendra à Repentigny le 30 mai, dit Mathieu Traversy. Il espère que cette rencontre permettra de circonscrire le lieu où pourrait aboutir un prolongement du REM de l’Est, ce qui n’est pas encore déterminé. « Les maires de la couronne nord sont capables de s’entendre », dit-il.

Une « incidence » sur exo

Chez exo, qui exploite le réseau de trains de banlieue, le directeur général Sylvain Yelle ne cache pas ses inquiétudes. « La nouvelle mouture du REM de l’Est aura certainement une incidence sur les services d’exo. Le prolongement étudié vers Lanaudière aurait notamment une incidence directe sur le réseau d’autobus dans la couronne nord-est de Montréal, ainsi que sur la ligne exo5 Mascouche, au sujet de laquelle nous avons déjà exprimé nos préoccupations à propos de son avenir », explique-t-il.

En février, M. Yelle avait dénoncé que CDPQ Infra ne faisait que très peu de cas de l’avenir du train de banlieue de Mascouche, et de sa clientèle. « Dans l’état actuel des choses, la ligne exo5 Mascouche pourrait être largement abandonnée par les usagers bien avant l’arrivée du REM de l’Est, réduisant à néant une ligne dont l’investissement collectif représente 750 millions », s’était-il alors inquiété.

Inaugurée en 2014, la ligne Mascouche emprunte sur une bonne partie de son parcours une infrastructure ferroviaire neuve, dont elle est la seule utilisatrice. Dès 2019, les premiers travaux de construction du futur REM ont directement mené à une dégradation des services. Avec la fermeture du tunnel du mont Royal, puis la pandémie, la fréquentation du train de Mascouche a chuté à moins de 400 000 déplacements en 2020. Et en 2021, la ligne a transporté environ 110 000 passagers, soit à peine 300 passagers par jour en moyenne.

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Vue aérienne du stationnement presque vide de la gare Pointe-aux-Trembles du train de l’Est, en février dernier

Sylvain Yelle affirme qu’exo souhaite maintenant « collaborer avec le nouveau comité de travail de ce grand projet ».

L’arrimage des différents réseaux est fondamental pour assurer la fiabilité et l’efficacité des services de transport collectif dans le Grand Montréal.

Sylvain Yelle, directeur général d’exo

Incertitudes à Québec

Selon nos sources, Québec convient que le sort du train de l’Est est incertain avec l’intention de prolonger le REM de l’Est vers Lanaudière. Le groupe de travail piloté par l’ARTM aura le mandat de déterminer ce qu’on fera de cette infrastructure.

Le gouvernement souhaiterait l’utiliser encore, d’autant qu’elle a coûté cher aux contribuables, mais il n’a aucune garantie. Le tracé du tronçon du REM vers Lanaudière n’est pas encore déterminé. Québec déplore le faible rendement du train de l’Est, causé en partie par le fait que le transport des marchandises a priorité dans l’utilisation des rails. « On va explorer les possibilités, et on attendra l’avis des experts », a indiqué mardi l’attaché de presse de François Legault, Ewan Sauves.

Lundi, M. Legault avait soutenu que « les gens de l’Est vont plus utiliser le transport collectif si on étend le projet dans Lanaudière et à Laval », parlant de « nouveaux passagers » à rejoindre. « Le comité doit évaluer ces nouveaux revenus-là pour regarder la rentabilité, et comment on finance au total le projet », a-t-il dit.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard et de Bruno Bisson, La Presse