L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) « veut s’asseoir avec le gouvernement du Québec » afin de créer « rapidement » un chantier de réflexion sur le financement du transport collectif, qui se trouve dans un cul-de-sac après une pandémie qui va continuer de lui coûter des centaines de millions pendant des années.

Selon le directeur général de l’organisation responsable de la planification et du financement des réseaux de transport de la région de Montréal, Benoît Gendron, les changements d’habitude adoptés par les travailleurs et les consommateurs durant la pandémie vont « coûter » aux réseaux de métro, d’autobus et de trains de banlieue de la métropole une tranche permanente d’environ 15 % de leur fréquentation par an.

En termes de revenus, la « disparition » de 15 % des déplacements quotidiens va représenter pour l’ARTM un manque à gagner annuel prévisible de 150 à 200 millions, qui ne fera que s’accroître avec les années. Ajoutez à cela un déficit structurel de 300 millions causé par le vieillissement des équipements (métro, autobus, etc.), et la facture prochaine – dont on ne connaît pas encore le total, mais qui viendra assurément avec la mise en service du Réseau express métropolitain (REM) –, et on a une situation devenue intenable.

« Il nous faut un chantier sur le financement, insiste le directeur de l’ARTM en entrevue. C’est urgent d’agir maintenant parce que les coûts de fonctionnement des réseaux augmentent chaque année avec les augmentations de salaire prévues dans les conventions collectives des transporteurs. Et ces factures-là, je n’ai personne à qui les refiler », parmi les contributeurs actuels que sont le gouvernement du Québec, les municipalités et les usagers.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’AUTORITÉ
RÉGIONALE DE TRANSPORT MÉTROPOLITAIN

Benoît Gendron, directeur général de l’Autorité régionale de transport métropolitain

On est dans un cul-de-sac en termes de financement. Il faut trouver de nouvelles sources de revenus.

Benoît Gendron, directeur général de l’Autorité régionale de transport métropolitain

« La solution d’équilibrer le budget en réduisant les dépenses, année après année, ce n’est plus possible, ajoute M. Gendron. Quand on parle d’un trou de 150 à 200 millions, l’écart devient trop grand. On pénaliserait la clientèle en réduisant les services de façon tellement importante qu’à un moment donné, il y a des clientèles qui ne seraient même plus desservies. »

Un retour à 65 %

Grâce à l’aide financière spéciale accordée par Ottawa et par Québec aux sociétés de transports en commun pour compenser la perte des revenus d’achalandage, l’ARTM a finalement pu adopter en mars, avec trois mois de retard, le budget de 2022 qui assure le financement des sociétés de transport de Montréal (STM), Laval (STL), de l’agglomération de Longueuil (RTL) et des couronnes de banlieue (exo), pour l’année en cours. Les dépenses de l’ARTM s’élèveront à un total de 2,45 milliards.

Pour 2021, l’ARTM avait prévu des revenus d’usagers de 983 millions. Ils ont totalisé à peine 447 millions, soit 536 millions de moins que prévu. L’année en cours devrait toutefois être moins sombre. Avec la flambée d’Omicron, en janvier, la fréquentation des transports en commun a replongé à seulement 34 % de la clientèle de 2019, avant la pandémie.

« Mais en février, nous étions déjà à 53 %, explique M. Gendron. Et avec le mois de mars, on est revenus à 65 % de la fréquentation prépandémique. »

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Le métro accueille aujourd’hui environ 55 % de la clientèle qu’il desservait avant la pandémie.

« Les étudiants sont là [dans les réseaux], les travailleurs sont de retour, mais on voit qu’il y a encore beaucoup moins de monde en heure de pointe. La fréquentation du métro au centre-ville reste très basse. Celle des trains de banlieue aussi, ce qui nous laisse croire que la clientèle manquante, c’est celle des travailleurs du centre-ville, qui travaillent de la maison. »

Le métro accueille pour sa part environ 55 % de la clientèle qu’il desservait à la même période, il y a deux ans, avant que la COVID-19 emporte la normalité du quotidien.

La boussole perdue des transports en commun

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Depuis mars 2020, les modes lourds de transport collectif qui desservent en priorité le centre-ville sont ceux qui ont perdu le plus d’achalandage.

La pandémie n’a pas seulement plongé les réseaux de transport collectif dans une crise financière. Depuis des décennies, ces services ont été structurés en fonction de deux périodes de pointe prévisibles du matin et de la fin d’après-midi, au cours desquelles les réseaux de métro, d’autobus et de trains de banlieue réalisent 63 % de tous leurs déplacements de la journée. La pandémie a fait exploser ce modèle, et l’organisation des services en ressort un peu déboussolée. Constats.

Télétravail

Les travailleurs représentent la moitié de la clientèle des transports en commun en heure de pointe, la semaine. Dans la première année de la pandémie, presque 30 % des travailleurs québécois ont adopté le télétravail, selon Statistique Canada. Et ils ont aimé ça. Un sondage Léger récent, mené auprès de 1079 dirigeants et employés travaillant sur l’île de Montréal, révèle que jusqu’à 51 % des travailleurs préfèrent limiter leurs présences au bureau à deux ou trois jours par semaine. Et 23 % d’entre eux resteraient volontiers quatre ou cinq jours en télétravail. Le plan-cadre du gouvernement du Québec, qui sert un peu de référence, propose trois jours par semaine de télétravail.

L’ARTM fait l’hypothèse qu’un grand nombre de travailleurs auront tendance à rester à la maison pour le travail les lundis et vendredis. « La présence au travail aurait donc tendance à se cristalliser au milieu de la semaine. »

Téléachat

La pandémie a propulsé dans la stratosphère une autre tendance qui ne faisait qu’émerger jusqu’en 2019 : le téléachat. La proportion des adultes québécois qui font des achats en ligne est passée d’à peine 15 %, en 2020, à 78 %, selon une enquête de NETendances. Le volume des ventes en ligne a augmenté de 70 % au pays durant la première année de la pandémie, évalue de son côté Statistique Canada. Au Québec, ce sont les résidants de Montréal qui achètent le plus en ligne. Comment cette tendance touchera-t-elle la fréquentation des magasins dans l’avenir ?

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Avant la pandémie, presque 15 % des déplacements avaient pour motif le magasinage.

Avant la pandémie, presque 15 % des déplacements dans les réseaux de transport collectif de la région de Montréal avaient pour motif le magasinage.

Le centre-ville

Avec ses centaines de magasins et ses tours de bureaux, le centre-ville, qui était la première destination des réseaux de transport collectif lourd (métro, trains de banlieue), est doublement touché par ces tendances. Un recours élargi au mode de travail hybride (bureau et télétravail) risque de réduire l’achalandage du centre-ville de 19 à 25 % par rapport au niveau prépandémique, selon une étude récente réalisée pour le compte de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

Les navetteurs

Selon l’étude de la CCMM, 343 000 personnes travaillent au centre-ville de Montréal. Du nombre, 277 000 sont des navetteurs habitant dans un autre secteur de Montréal ou dans la banlieue, soit 81 %. Une forte proportion de ces emplois sont susceptibles de se tourner vers le télétravail. On y compte 199 000 personnes occupant un emploi de bureau, et entre 26 % et 32 % de ces travailleurs pourraient travailler de la maison de deux à trois jours par semaine. Dans le secteur des services, entre 17 et 21 % des 70 000 employés pourraient aussi faire du télétravail une journée par semaine.

Le métro

Ce n’est donc pas pour rien que depuis mars 2020, les modes lourds de transport collectif qui desservent en priorité le centre-ville sont ceux qui ont perdu le plus d’achalandage. Une comparaison des entrées annuelles dans quatre stations de métro du centre-ville de 2019 à 2021 en dit long sur les répercussions de la pandémie.

La station Square-Victoria, à la traîne avec seulement 31 % de sa fréquentation prépandémique, est située au cœur du quartier des affaires de la métropole. Selon l’ARTM, la reprise sera plus longue pour le métro et les trains de banlieue.

Une congestion routière différente

La diminution du nombre des déplacements pour le travail a eu un effet sur la congestion routière. Selon les indices de congestion TomTom, les automobilistes perdent moins de temps dans la circulation durant les heures de pointe du matin et du soir, en moyenne, par rapport à la situation prépandémique (2019). Les épisodes de congestion sont toutefois « bien présents, mais moins prévisibles, et surviennent régulièrement hors des heures de pointe ».

  • Pointe du matin : avant la pandémie, les automobilistes prenaient 15 minutes de plus pour accomplir un voyage qui aurait duré 30 minutes en circulation libre. En 2020 et en 2021, ce temps perdu en moyenne dans la congestion a été réduit à 9 minutes.
  • Pointe d’après-midi : en 2019, un automobiliste perdait en moyenne 18 minutes dans la congestion routière d’après-midi sur un parcours de 30 minutes en circulation libre. Le temps perdu dans la congestion a baissé à une moyenne de 12 minutes, en 2020, pour remonter à 15 minutes en 2021.