Si la nouvelle mouture du REM de l’Est présentée par CDPQ Infra règle « plusieurs déficiences », de nombreux problèmes de gouvernance et de financement continuent de planer sur le projet de 10 milliards aux yeux de plusieurs observateurs, qui craignent toujours la création d’une « fracture urbaine ».

Les réactions ont déferlé mercredi après le dévoilement des premières images de ce réseau de train automatisé de 32 km, prévu en bonne partie sur des structures aériennes. Le design a été affiné par rapport à la première phase du Réseau express métropolitain (REM), et la couleur du béton sera plus pâle, mais les experts sont loin d’être tous convaincus.

« L’autoroute Métropolitaine a été construite il y a 60 ans, et ça reste une fracture urbaine encore aujourd’hui », lance Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec. « Ce projet du REM de l’Est sera une fracture urbaine, même si le béton est blanc », a-t-il poursuivi.

Le projet dévoilé mercredi prévoit d’imposants aménagements le long des structures, incluant des promenades piétonnes sur 16 kilomètres, 24 kilomètres de pistes cyclables et plusieurs places publiques. CDPQ Infra n’a pas inclus ces investissements dans la facture globale du projet — estimée à 10 milliards — et compte sur la Ville de Montréal pour payer.

Valérie Plante a déjà estimé à au moins 1 milliard la somme requise pour faire tous ces aménagements. Québec a ouvert la porte à investir davantage dans le projet aux côtés de la Ville de Montréal, mais rien n’est bouclé à ce stade-ci. Sylvain Gariépy y voit un important problème de gouvernance. « C’est énorme, la Ville de Montréal n’a pas un budget infini, elle détermine ses priorités en fonction de l’usure de ses infrastructures souterraines, comme sur Peel et Sainte-Catherine. Et là, tout d’un coup, on change complètement les priorités de la Ville pour lui dire : tu paies la facture. »

D’après nos informations, plusieurs membres du comité d’experts et de l’administration de Valérie Plante jugent d’ailleurs qu’une portion beaucoup plus importante de leurs inquiétudes n’a pas été prise en compte dans la nouvelle mouture du REM de l’Est.

Mercredi, Mme Plante n’a pas critiqué directement des éléments précis du projet présenté, mais a répété que la Ville devait prendre part aux décisions, martelant qu’il y avait « encore du travail à faire » et des « améliorations à apporter ». « On veut être autour de la table pour participer encore plus activement à l’évaluation des coûts. L’expertise de CDPQ Infra, c’est le train. Celle de la Ville, c’est l’aménagement. » La mairesse, qui considère le projet présenté par CDPQ Infra comme un « rapport d’étape », a réitéré sa préférence pour un train qui circulerait sous terre. Comme cette option semble avoir été écartée par le maître d’œuvre du projet, plusieurs éléments doivent encore être améliorés, dit-elle, évoquant notamment les murs antibruit et l’aménagement du boulevard René-Lévesque.

L’opposition, de son côté, accuse la mairesse de trop tergiverser. « Le REM de l’Est est sous respirateur artificiel en raison de l’administration Plante qui tarde à se positionner. D’un côté, la mairesse renvoie la CDPQ et le gouvernement du Québec à la table à dessin et, d’un autre côté, elle affirme que le projet parfait n’existe pas », déplore Aref Salem, d’Ensemble Montréal.

Un projet « dangereux »

Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec, voit pour sa part plusieurs éléments « intéressants » et « prometteurs » dans la nouvelle mouture, en particulier la réduction du nombre de voies de circulation sur le boulevard René-Lévesque et la création d’une promenade urbaine.

Il déplore toutefois lui aussi que ces aménagements ne fassent pas « partie intégrante » du projet proposé par CDPQ Infra et qu’ils n’aient pas été inclus dans la facture globale.

« De nous promettre un REM de l’Est, mais de ne pas promettre les choses qui sont apparemment, en toute logique, absolument essentielles pour qu’il devienne acceptable, ça en fait un projet incomplet et un projet extrêmement dangereux, parce qu’on risque de se retrouver avec la moitié du projet, et celle qu’on ne voudrait pas nécessairement avoir », lance-t-il.

Il se dit malgré tout rassuré que la notion de « fracture urbaine » semble maintenant avoir été reconnue et prise en charge par les promoteurs du REM.

Entre l’arbre et l’écorce ?

Au Regroupement des riverains de la rue Notre-Dame dans Hochelaga-Maisonneuve (RRNDHM), la porte-parole Catherine Miron émet le même genre de réserves. « René-Lévesque va être reconverti, mais la Ville va devoir payer. Mais on sait bien que la Ville n’a pas l’argent. Encore une fois, CDPQ Infra remet dans la cour des autres un problème qu’elle-même a créé », fustige-t-elle.

IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

Le tracé du REM de l’Est le long de la rue Notre-Dame.

Son organisme déplore que la connexion à la ligne verte soit toujours écartée, alors que le REM de l’Est « reste un projet qui double la ligne verte », selon elle. « Ça démontre leur volonté de faire le projet à leur façon, malgré les recommandations et l’opposition des citoyens. Ils s’obstinent à ce modèle d’affaires parce qu’ils veulent ensuite le présenter à l’international. C’est surtout ça, le problème », poursuit Mme Miron.

À ses yeux, il n’y a pas « vraiment d’amélioration » au niveau de l’intégration, d’autant plus que la structure aérienne demeure. « On ne remet pas en question la nécessité d’avoir un transport structurant à Montréal, mais en ce moment, les gens ont surtout peur que la Caisse se retire du projet et qu’on manque d’argent. Montréal-Est un peu pris entre rien du tout et un projet comme celui-là », illustre encore la porte-parole.

Un expert rassuré, mais…

L’expert en planification des transports à l’Université de Montréal, Pierre Barrieau, accueille plus favorablement le projet. « Ça me semble régler plusieurs déficiences. Je vois une avancée et une démonstration de la Caisse d’être à l’écoute et de répondre à plusieurs critiques. On a un projet plus responsable qui s’approche de quelque chose pouvant être autorisé », indique-t-il.

M. Barrieau émet toutefois encore plusieurs réserves, s’inquiétant lui aussi de l’absence d’une connexion avec la ligne verte, un « branchement fondamental » pour le REM. « Le parc Morgan, c’est ma plus importante réserve. Je trouve toujours problématique qu’ils passent à travers ce parc, et je me demande sincèrement s’il y aura une acceptabilité sociale. J’en doute », fait-il aussi valoir.

Chez Trajectoire Québec, la directrice générale Sarah V. Doyon parle d’une vision « intéressante », saluant la réduction de la capacité routière sur René-Lévesque, où on compte transformer quatre voies en espace public. « Ça et la promenade cyclable tout au long du tracé, ça va certainement rendre plus attractive l’intermodalité. On sent une volonté de bien faire les choses », dit-elle.

Pierre Barrieau seconde, mais rappelle qu’une question demeure : « Où va aller tout le trafic automobile ? ». « René-Lévesque demeure l’artère principale est-ouest du centre-ville. J’aurais aimé voir un peu plus de documentation sur l’impact que ça aura sur la mobilité urbaine », avoue-t-il.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), elle, a offert mercredi son soutien à la vision de CDPQ Infra. « La proposition architecturale pour le REM de l’Est dévoilée par CDPQ Infra est une grande amélioration par rapport au REM de l’Ouest. Nous reconnaissons les efforts pour mieux intégrer les infrastructures dans le paysage urbain. […] Le projet est maintenant en solide posture pour aller de l’avant », a soutenu son président, Michel Leblanc. Ce dernier se dit toutefois préoccupé par « le maintien d’un accès fluide par voiture vers le centre-ville » via le boulevard René-Lévesque. « L’impact du projet sur la fluidité des déplacements dans le centre-ville devra être documenté », dit-il.

« Fracture urbaine » ?

Québec et CDPQ Infra ont mis en place un comité de 15 experts pour faire des recommandations sur l’intégration urbanistique et architecturale du REM de l’Est. Ce groupe a déposé un rapport d’étape assez critique au gouvernement Legault ces derniers jours, qui exprime leur crainte de voir le projet créer une « fracture urbaine », une crainte que dit partager la mairesse Valérie Plante. En entrevue à La Presse mardi, Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra, a estimé que son groupe a répondu à 80 % des préoccupations du comité.

Qu’à cela ne tienne, la ministre déléguée aux Transports et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau, s’est montrée emballée par le dépôt de ce rapport. « Tous les partenaires ont une vision forte pour ce projet, et nous travaillons ensemble pour assurer sa réussite dans les échéanciers », a-t-elle indiqué dans un communiqué.

Une source au sein du comité d’experts estime que cette sortie de la ministre constitue une tentative de « manipulation du message » contenu dans le rapport d’expert. Le REM de l’Est devra encore franchir plusieurs étapes avant d’aller de l’avant, incluant la conclusion d’une entente tarifaire avec Québec et l’ARTM, et une étude environnementale du projet au BAPE.

Jean-Marc Arbaud a refusé de confirmer un échéancier pour les prochaines étapes, mardi, et a indiqué que le projet ira seulement de l’avant si l’ensemble des partenaires sont « alignés ». Lors de l’annonce du projet, en décembre 2020, CDPQ Infra visait un début des travaux en 2023 et une mise en service en 2029.

Avec Isabelle Ducas, La Presse