(Montréal) Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) prévoit d’installer neuf autres caméras de surveillance dans la ville, en réponse à une augmentation des crimes violents, qui visent notamment des adolescents.

Mais des organismes communautaires se demandent si cet outil technologique fonctionne vraiment pour dissuader les criminels, ou si ces fonds publics ne seraient pas mieux investis dans des programmes de prévention de la criminalité destinés aux jeunes.

Avec l’ajout des neuf caméras, qui coûtent jusqu’à 11 000 $ pièce, le SPVM a annoncé son intention d’exploiter un réseau de surveillance de 42 caméras d’ici la fin de l’année.

Le SPVM a refusé de répondre aux questions sur ce réseau de surveillance urbaine, renvoyant à son site web. On y indique que les emplacements des « caméras de sécurité urbaine » ont été choisis à la suite d’une analyse qui « a permis de prioriser des zones aux prises avec une hausse des crimes de violence et des crimes impliquant des armes à feu ».

Le gouvernement du Québec affirme que les crimes violents, en particulier les crimes liés aux armes à feu, ont augmenté à Montréal depuis 2016.

Mais le professeur de criminologie Rémi Boivin, de l’Université de Montréal, se demande comment le SPVM peut justifier l’ajout de caméras de surveillance dans la ville.

« Si l’objectif est de prévenir la criminalité, je répondrais que : de un, ça ne fonctionne pas, et de deux, ils le savent déjà », a déclaré M. Boivin en entrevue lundi.

Le criminologue a participé à un projet de recherche qui a évalué l’efficacité de la première série de caméras de surveillance urbaine installées par le SPVM en 2010. Or, il rappelle aujourd’hui que les résultats de cette étude indiquaient que les effets préventifs des caméras sur les crimes violents n’étaient pas concluants.

« Les crimes contre la personne sont très mobiles : s’ils n’ont pas lieu dans le parc où il y a une caméra, est-ce que ça pourrait avoir lieu dans le parc juste à côté », où il n’y a pas de caméra, dit-il.

Les « partenaires » ont-ils été consultés ?

Des caméras seront installées notamment dans quatre parcs de Montréal et à d’autres endroits, dont le square Cabot, au centre-ville, un lieu de rassemblement pour les Autochtones en situation d’itinérance.

Sur son site internet, la police dit avoir informé « certains organismes partenaires » de l’implantation de ces nouvelles caméras. Mais Ousseynou Ndiaye, directeur général de l’organisme communautaire « Un itinéraire pour tous », dans l’arrondissement de Montréal-Nord, dit n’avoir jamais été consulté.

« On ne veut pas que la question de la violence, on règle ça en installant des caméras partout, a déclaré lundi M. Ndiaye dans une entrevue. Il est plus profond que ça, le problème. Penser que d’installer des caméras va régler la question de sécurité, c’est qu’on est à côté de la plaque. »

M. Ndiaye n’est cependant pas totalement opposé aux caméras de surveillance dans la ville. L’automne dernier, son organisme a travaillé avec le SPVM pour l’installation de caméras dans l’arrondissement, car « tout le monde était en accord », dit-il.

Mais cette fois, M. Ndiaye soutient que le SPVM n’a pas consulté les « partenaires », et il craint que cette surveillance urbaine ne devienne abusive.

« J’aurais voulu qu’on fasse l’évaluation des caméras posées : est-ce que ça vient contrer la violence, est-ce que ça a permis d’élucider des cas ? Et combien a-t-on investi dans la communauté pour accompagner les gens en situation de vulnérabilité, combien paye-t-on pour les caméras ? »

Une tendance lourde un peu partout

D’autres corps policiers au Canada, dont celui de Toronto, ajoutent également des caméras de surveillance dans leur ville. L’été dernier, l’Ontario a annoncé une enveloppe totale de 6 millions sur trois ans pour que les corps policiers achètent plus de caméras de surveillance. La police de Toronto possède déjà plus de 30 caméras et prévoit d’étendre son réseau de surveillance urbaine à 74 caméras d’ici 2028, a déclaré lundi un porte-parole.

Le gouvernement du Québec a investi des dizaines de millions de dollars au cours des derniers mois pour lutter contre les crimes violents, particulièrement dans la région de Montréal. La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a déclaré que le nombre de tentatives de meurtre par arme à feu dans la région de Montréal avait quadruplé entre 2016 et 2020. Il y a eu 25 homicides à Montréal en 2020, et 37 en 2021.

Ce sont les meurtres d’adolescents dans la région de Montréal qui ont poussé les autorités à agir.

En février, Lucas Gaudet, âgé de 16 ans, a été mortellement poignardé à la suite d’une altercation devant une école secondaire de l’ouest de l’île de Montréal. En janvier, Amir Benayad, âgé de 17 ans, a été abattu dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal lors du premier homicide de 2022 commis sur l’île.

En 2021, Hani Ouahdi, âgé de 20 ans, a été abattu dans une voiture, en décembre, dans l’arrondissement d’Anjou. À la mi-novembre, Thomas Trudel, âgé de 16 ans, a été abattu dans l’arrondissement Saint-Michel, alors qu’il revenait d’un parc à pied. Jannai Dopwell-Bailey, âgé de 16 ans, est décédé après avoir été poignardé devant son école en octobre. Et en février 2021, Meriem Boundaoui, âgée de 15 ans, a été tuée par une « balle perdue » lors d’une fusillade en voiture dans l’arrondissement de Saint-Léonard.

Fo Niemi, directeur du Centre de recherche-action sur les relations raciales, se dit préoccupé par le fait que la police investit dans la technologie de surveillance au lieu de consacrer cet argent à des programmes communautaires de prévention du crime.

« Nous avons besoin d’un débat public, pour savoir si ça va devenir une tendance croissante », a déclaré M. Niemi lundi. « Il y a un peu de déconnexion en termes d’information pour la population. C’est quelque chose que la Ville et la police devraient considérer, car la transparence est essentielle pour gagner et maintenir la confiance et la coopération des communautés. »