Les notes de l’hymne national de l’Ukraine ont résonné samedi, devant le consulat de Russie à Montréal. Un morceau interprété avec émotion par le pianiste ukrainien Serhiy Salov, qui a dit être secoué « par l’horreur de la guerre ».

Serhiy Salov, pianiste réputé vivant à Montréal depuis 2007, était accompagné à la trompette par Paul Merkelo, lui aussi ukrainien. Tous deux étaient installés dans la caisse d’une camionnette. Au son des premières notes, nombre des quelque 200 personnes présentes ont posé la main sur leur cœur. Des larmes coulaient sur les joues de certains manifestants vêtus de bleu et de jaune, alors que d’autres s’enlaçaient en écoutant l’hymne national ukrainien.

Au 10e jour de l’invasion de l’Ukraine, l’indignation était vive dans la foule, où des pancartes « Poutine = assassin » étaient brandies. Aux abords du consulat général de Russie, Serhiy Salov a demandé qu’« on rebaptise ce tronçon de rue “place de l’Ukraine” », sous les applaudissements des manifestants. Le pianiste, originaire de Donetsk, dans la région du Donbass, était arrivé plus tôt à bord d’une voiture peinte aux couleurs ukrainiennes.

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Serhiy Salov, pianiste d’origine ukrainienne établi à Montréal

Une des collègues violonistes de M. Salov, Katherine Palyga, tenait les partitions devant les deux musiciens. La femme d’origine ukrainienne a confié à La Presse que son mari parlait à sa mère en Ukraine au moins une fois par jour. « Ce sont des nuits sans sommeil, souffle-t-elle. C’est difficile de manger et de ne pas regarder les nouvelles constamment. »

Hier, Mme Palyga a appris que deux Ukrainiens de 21 et 24 ans qu’elle connaît ont décidé de quitter Montréal pour aller combattre. « Je me suis mise à pleurer », laisse tomber la femme, vêtue d’un gilet qui appartenait à sa grand-mère ukrainienne. « On entend souvent ces histoires, et ça semble loin de nous, mais là, c’était près. »

« Arrêtez le massacre »

Avant que résonne l’hymne national, des membres de la diaspora ukrainienne ont prononcé des discours, entourés de drapeaux ukrainiens et québécois. « S’il vous plaît, faites votre travail et arrêtez le massacre de personnes innocentes », a imploré une femme en pointant le consulat de Russie, dont la clôture avait été recouverte de peinture rouge. Un homme a ensuite lancé « Vive l’Ukraine libre ! », repris en chœur par la foule.

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Une manifestante, Anna Lazarenko, se tenait un peu en retrait, arborant un bonnet sur lequel était épinglé un petit drapeau ukrainien. « Je suis ici pour que ça s’arrête », dit la femme qui habite au Canada depuis 10 ans. « Mes parents et mon frère sont en Ukraine. Je sais que ma famille est en danger. »

Mme Lazarenko qualifie de « stupide » l’attaque des forces russes vendredi contre la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Zaporijjia, au centre de l’Ukraine. « Ceux qui attaquent une centrale nucléaire sont les premiers qui vont mourir », affirme l’employée de banque. Selon elle, Vladimir Poutine agit en « petit roi ». « À la place de faire de bonnes choses pour la Russie, il attaque les autres pays », se désole-t-elle.

Sur le trottoir près de là, Yuri Pryshchepa et ses deux oncles tenaient des pancartes où l’on pouvait lire en ukrainien « Arrêtez la guerre ». La grand-mère et de nombreux amis de l’homme de 40 ans, qui habite au Canada depuis 11 ans, sont toujours au pays. « Tous les jours, j’ai mal, souffle-t-il. Je vis cela avec eux. J’écoute tous les jours les nouvelles. »

M. Pryshchepa se désole que l’un de ses oncles habitant en Russie s’informe seulement auprès de la télévision russe. « Il ne veut pas m’écouter, déplore-t-il. Il défend Vladimir Poutine et son régime. »

Aux abords de la foule, plusieurs personnes tenaient un énorme drapeau ukrainien sur lequel étaient noués des ballons. Vladimir Poutine est un « être de violence », lance Michèle Renaud, manifestante d’origine française, refusant de prononcer le nom du président de la Russie. La femme qui vit au Canada depuis 40 ans dit devoir agir devant la « souffrance humaine ».

Des Russes dénoncent la guerre

Plus tard en soirée, une vingtaine de manifestants d’origine russe se sont rassemblés devant le consulat pour dénoncer la guerre. Des bougies et des peluches y avaient été déposées, à la mémoire de tous les soldats russes morts au combat. Sacrifiés par le président Vladimir Poutine, qui aurait dû être « arrêté » il y a de cela des années, croit Oleg Maximoff, qui a organisé le rassemblement.

« Des mères pleurent leur fils. Il faut arrêter Poutine », martèle le ressortissant russe.

Pour Elena Ivotchkina, sa présence samedi soir était une façon de dire qu’elle s’oppose à la guerre, alors que, dans son pays, ceux qui la critiquent risquent l’emprisonnement. « Mon cœur saigne quand je vois tout ce qui se passe. On dirait qu’on se trouve dans un cauchemar. C’est grave, tous ces gens qui meurent chaque jour », laisse-t-elle tomber, émue.

Avec la collaboration de Léa Carrier, La Presse