Le Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée s’amorce ce jeudi, mais depuis deux ans au poste de quartier de Montréal-Nord, on travaille à des solutions face aux évènements de coups de feu. Tour d’horizon.

Un facilitateur

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Ismael Sougou, conseiller en développement communautaire

Jeunes en manque de leaders positifs, inégalité sociale, logements insalubres, manque de ressources pour les parents, réseaux sociaux devenus vecteurs de conflits… Les problèmes sont multiples, mais des solutions concrètes existent.

L’arrivée d’Ismael Sougou en tant que civil au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a changé la donne pour le poste de quartier de Montréal-Nord et ses partenaires communautaires. Il n’y a pas à Montréal-Nord un organisme qui ne prend pas son téléphone quotidiennement pour l’appeler. M. Sougou, conseiller en développement communautaire, a permis au corps policier d’être davantage au fait des besoins des Nord-Montréalais. Et la montée de la violence armée, c’est sa préoccupation depuis le jour 1.

Parler des réseaux sociaux

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Pierre Allard, policier au SPVM et agent sociocommunautaire à Montréal-Nord, discute avec le conseiller en développement communautaire Ismael Sougou.

Pierre Allard, policier au SPVM depuis une trentaine d’années, est agent sociocommunautaire à Montréal-Nord. Il n’a jamais voulu quitter ce secteur qu’il estime injustement visé par de nombreux préjugés.

Le commun des mortels désigne Montréal-Nord comme un secteur défavorisé, un terme qui lui fait grincer des dents. « Je dirais plutôt riche en culture et en gens solidaires qui veulent s’impliquer. Ça fait des années qu’on fait beaucoup avec presque rien, qu’on travaille pour améliorer la communauté. »

Le yo-yo du confinement a mis en péril la santé mentale des ados à risque dans le secteur, selon lui. Plus de sports, plus d’école, plus d’activités et de rencontres : les fermetures ont causé du tort aux jeunes.

Les deux dernières années à la maison, les jeunes les ont passées sur Snapchat et Instagram. On va en vivre les répercussions pendant quelques années.

Pierre Allard, policier au SPVM et agent sociocommunautaire à Montréal-Nord

Lors de ses visites dans les écoles primaires et secondaires, l’agent Allard aborde les réseaux sociaux sans tabou. Sensibiliser un jeune à 16 ans, c’est déjà trop tard. À partir de 12 ans, le Code criminel vous tient responsables de vos paroles et de vos gestes, dit-il aux ados d’emblée. « Je ne parle même plus tant du phénomène des gangs de rue. Le curriculum vitæ numérique, les disputes qui prennent naissance sur les médias sociaux… Beaucoup pensent que ce qui se passe sur Instagram reste là-dessus. »

Aimer une publication à caractère violent, c’est la légitimer, leur explique-t-il. « C’est ça, le besoin, maintenant, et on le fait depuis quelques années déjà. »

La police à elle seule ne peut pas tout régler. « Il y a la barrière de l’uniforme. On a tous les mêmes objectifs, mais quand le discours vient de quelqu’un avec un uniforme, le message ne passe pas. Ça prend un pont. »

Enfin une maison des jeunes

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Sheila Fortuné, directrice de la maison des jeunes L’Ouverture

Sheila Fortuné, directrice de la maison des jeunes du secteur, sait de quoi il est question quand on parle de manque de ressources.

Fondée en 1983, la maison L’Ouverture, à Montréal-Nord, est l’une des plus anciennes maisons des jeunes du Québec. Jusqu’à tout récemment, l’établissement se trouvait… dans l’étroit sous-sol d’un centre commercial. « Les jeunes étaient montrés du doigt par les clients et les commerçants. À un moment donné, je me suis dit : “Ça ne se peut pas qu’il n’y ait pas un local approprié à Montréal-Nord” », s’enflamme Mme Fortuné.

On avait fait une demande claire à l’arrondissement en 2016. Avec l’arrivée d’Ismael, qui fait le pont entre le SPVM et le milieu communautaire, le projet s’est concrétisé.

Sheila Fortuné, directrice de la maison des jeunes L’Ouverture

La future maison L’Ouverture, en cours de rénovation, offrira dès avril aux usagers deux étages composés d’un spacieux salon, un studio de musique, une télévision et des lieux pour l’aide aux devoirs.

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Sheila Fortuné et Ismael Sougou dans la maison des jeunes L’Ouverture, en cours de rénovation

Un besoin ressenti même par les effectifs policiers du secteur.

« Mon rêve, c’était de voir une maison de jeunes bien établie à Montréal-Nord avant ma retraite », dit Pierre Allard, du SPVM.

« Des gens comme Ismael qui font le pont entre la police et le communautaire, c’est ça qu’il faudrait un peu partout à Montréal pour ne pas laisser des initiatives tomber dans les craques », renchérit Mme Fortuné.

Humaniser la police

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Ousseynou Ndiaye, directeur de l’organisme communautaire Un itinéraire pour tous

Ousseynou Ndiaye, directeur de l’organisme communautaire Un itinéraire pour tous, a l’habitude des formules bureaucratiques énoncées par les décideurs quand une fusillade éclate, dit-il. Il a entendu maintes fois qu’il fallait « une bonne collaboration de tous les partenaires ».

« On parle souvent de répression, de prévention et de collaboration. Mais on oublie le plus important : l’implication », lance-t-il dans son local près de l’intersection des rues Pascal et Lapierre.

Les jeunes ont trop longtemps été écartés de l’équation. Ils sont pourtant au cœur du problème de la violence armée et des interactions ardues avec les policiers.

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Ousseynou Ndiaye et Ismael Sougou

Soutenu par M. Sougou, Ousseynou Ndiaye a fait beaucoup d’efforts pour améliorer ces relations. Les habitants du quartier ont de la difficulté à dénoncer et à se confier, admet-il. « Une peur s’est installée depuis des années, les gens n’appellent pas la police quand une situation avec un jeune devient préoccupante. »

Ismael Sougou a organisé une rencontre entre des policiers actifs sur le terrain et l’organisme. « On a réglé ici des cas. On a trouvé des emplois à des jeunes à risque. On leur a expliqué les raisons derrière les interpellations… et ils ont compris. Il y a quelques années, je n’aurais pas cru ça possible », s’étonne M. Ndiaye.

Jeunesse en quête de modèles

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Brandon Dawson-Garvis

Les jeunes manquent de leaders positifs qui leur ressemblent. Ils en déduisent que les possibilités de succès sont minces, constate Ismael Sougou, peu après son arrivée en poste. Autrement dit, si les seuls exemples de réussite financière sont des gens aux activités peu recommandables, on ne rompra pas le cycle de la criminalité.

Brandon Dawson-Garvis est passé de criminel incarcéré à professeur de yoga. Ce sont les agents Allen Riva et Danny Lagarde, de l’Équipe de concertation communautaire et de rapprochement (ECCR), qui lui ont proposé de faire le tour des écoles du secteur dans les prochains mois.

M. Sougou a adoré l’idée.

On est moralisateur avec les jeunes. Il faut avoir quelqu’un qui sait ce qu’ils peuvent vivre et qui peut être un exemple.

Ismael Sougou, conseiller en développement communautaire

M. Dawson-Garvis a été en prison deux fois. Père absent, violence, criminalité, problème de gestion de la colère : son enfance dans la Petite-Bourgogne n’a pas été de tout repos.

La discipline qu’il pratique et enseigne est à mille lieues des stéréotypes masculins véhiculés lors de son adolescence. « Là où j’ai grandi, tu as l’impression que tu peux seulement devenir trois choses : rappeur, joueur de basket ou criminel. »

« Il peut être un modèle, car il a su gérer ses émotions et s’en sortir », souligne l’agent Allen Riva.

La sécurité urbaine, ce n’est pas tout. La conversation doit s’élargir dans les prochains mois, souhaite M. Sougou. Si les gens n’ont pas de quoi combler leurs besoins de base, ils vont chercher à l’obtenir autrement. « On devrait aussi parler de sécurité de logement, de sécurité alimentaire, de transports en commun qui permettent de sortir d’un quartier enclavé. La police n’a pas la solution finale ni la mission de régler les problèmes de logement », estime le conseiller.