Valérie Plante s’est montrée « surprise » mardi par la position du premier ministre François Legault, qui avait laissé entendre plus tôt dans la journée que le sort du REM de l’Est est entre les mains de la mairesse de Montréal, en lui demandant de proposer « un nouveau projet qui fait son affaire ».

« J’ai été surprise d’être interpellée de la sorte par le premier ministre alors que ceux qui ont le droit de vie ou de mort sur ce projet-là, en termes de financement et de planification, c’est le gouvernement du Québec et la CDPQ-Infra », a avoué d’emblée Mme Plante, dans une déclaration transmise aux médias en soirée.

Elle affirme soutenir le projet « depuis le jour 1 », rappelant avoir déjà promis 500 millions en campagne électorale pour prioriser l’intégration urbaine du REM dans les différents arrondissements de l’est. « On ne peut pas planifier l’arrivée d’un train sans les rues, les quartiers. Ce projet-là doit être travaillé de façon intégrée », scande-t-elle, en déplorant que CDPQ-Infra refuse pour le moment de créer un « bureau de projet conjoint » en matière d’intégration.

La mairesse Plante déplore au passage que les « sommes nécessaires pour assurer une bonne intégration urbaine » n’aient toujours pas été confirmées par Québec.

Elle demande que les coûts et les travaux d’aménagement soient payés en majorité par le gouvernement Legault, en se disant toutefois ouverte à « payer les bonifications » si toutes les conditions sont réunies. Au total, la Ville estime l’enveloppe budgétaire requise pour l’aménagement à un milliard de dollars.

François Legault, lui, avait laissé entendre plus tôt « la clé, c’est vraiment l’appui de Valérie Plante ». « Le partenaire important est plus la mairesse de Montréal que l’ARTM. On n’ira pas faire un projet si on n’a pas l’appui de la mairesse de Montréal, a-t-il ajouté. La balle est dans le camp de Mme Plante de nous proposer un nouveau projet qui fait son affaire. » Le premier ministre a rappelé que le gouvernement « veut travailler avec la Caisse de dépôt et surtout avec Valérie Plante, pour ajuster le projet ».

Comme sa ministre déléguée aux Transports Chantal Rouleau, M. Legault paraissait ainsi balayer d’un revers de main l’avis dévastateur de l’ARTM au sujet du nouveau tronçon de train électrique de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

Or, voilà : CDPQ Infra, la filiale de la Caisse qui pilote le dossier, a déclaré à La Presse qu’elle abandonnera le projet à moins que l’ARTM change de position. « La Ville de Montréal et l’ARTM vont devoir appuyer le projet pour que celui-ci se fasse », a-t-elle indiqué.

Une évaluation à faire

Mardi matin, à la suite des révélations de La Presse, Valérie Plante avait d’abord affirmé que le projet du REM de l’Est devra être « évalué en bonne et due forme ».

Son administration compte « prendre le temps d’analyser » l’avis de l’ARTM, mais réitère que « le REM doit contribuer au développement de l’offre en mobilité dans la région métropolitaine, au développement du territoire et renforcer le réseau de transport collectif de façon globale ».

Mme Plante rappelle avoir déjà présenté ses « conditions gagnantes pour en faire le meilleur projet » et assure tout faire pour « les concrétiser ». « Aujourd’hui, un comité d’experts fait son travail de façon indépendante et rigoureuse », signale-t-elle aussi, en référence au groupe de spécialistes créé par Québec en mai dernier pour assurer l’intégration architecturale du projet. L’élue confirme aussi avoir réitéré ses « trois conditions de réussite » à CDPQ-Infra, soit un droit de parole de la Ville dans l’intégration du projet, un volet distinct pour l’aménagement urbain et un financement assuré pour le concrétiser.

« La mairesse, quand on discute ensemble, ça va bien. On est capable de discuter, on est capable d’avoir un projet commun. Oui, on peut être des alliées. On doit être des alliées dans ce projet », a pour sa part déclaré Chantal Rouleau avant la période de questions, à l’Assemblée nationale. « Actuellement, le monde a les yeux tournés vers Montréal à cause du REM. On va avoir un REM dans l’est », a-t-elle martelé.

Sous haute tension

Mardi, La Presse révélait un avis dévastateur de l’ARTM, qui conclut que d’autres options que le REM de l’Est devront être envisagées tant ce nouveau tronçon du train électrique comporte d’inconvénients, notamment le faible nombre de déplacements (12 %) se destinant au centre-ville.

Dans une brève mise au point mardi matin, le directeur général de l’ARTM, Benoit Gendron, a indiqué que « les décisions finales appartiendront au gouvernement ». Il a toutefois confirmé « qu’à la lumière des constats qui se dégagent de nos analyses, nous suggérons d’envisager des options qui permettraient un projet mieux ancré » avec les autres réseaux de transport déjà en place, « ainsi qu’une meilleure adéquation entre les besoins de déplacement, les milieux urbains traversés, le mode proposé et les coûts d’investissement ».

Le chef de l’opposition à l’hôtel de ville, Aref Salem, blâme de son côté la mairesse pour la faiblesse de son soutien au projet. « Le train de l’Est est un train essentiel. C’est un projet mobilisateur et essentiel pour les gens. Ce projet structurant de presque 10 milliards de dollars vient donner beaucoup de vie et beaucoup d’amour à ce coin-là », a dit M. Salem, mardi. Comme la mairesse siège au conseil d’administration de l’ARTM, elle ne pouvait ignorer que l’organisation s’apprêtait à torpiller le projet de REM de l’Est, a-t-il continué. « On vient de voir la mairesse laisser tomber ce projet, a-t-il dit. Elle est en train d’enterrer une autre promesse électorale phare. Qu’elle nous dise si elle veut ou non ce projet-là. »

« Guerre institutionnelle »

Pour l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal, Pierre Barrieau, la sortie de l’ARTM illustre que l’organisme est « dans une guerre de gouvernance et d’importance institutionnelle ». « Ils se battent pour leur légitimité en tant qu’organisme, puisqu’ils ont démontré une difficulté à proposer et réaliser leurs projets. On les a aussi beaucoup critiqués pendant la pandémie pour leur incapacité à récolter les sommes nécessaires pour répondre à la baisse d’achalandage en transport collectif », remarque-t-il.

« La pertinence et même la survie de l’ARTM, c’est sur la table de réflexion présentement, et ils le savent », ajoute M. Barrieau. Certes, le REM de l’Est « n’est pas parfait » et peut être « amélioré de plusieurs manières », dit le spécialiste, mais il « coche suffisamment de cases pour qu’on fasse l’effort de le raffiner, au lieu de l’abandonner ». « Qu’on règle les problèmes et qu’on arrive avec quelque chose de bien. En attendant, c’est le transport collectif qui perd sa légitimité dans l’espace public, au profit des projets autoroutiers », conclut M. Barrieau.

À la Chambre de Commerce de l’Est de Montréal (CCEM), le PDG Jean-Denis Charest a indiqué mardi que le REM « doit être analysé comme un projet de revitalisation d’un territoire allant bien au-delà du transport de personnes ». « Il doit être considéré comme la pierre d’assise qui permettra à l’est de réaliser son plein potentiel », a-t-il jugé.

La porte-parole du Regroupement des riverains de la rue Notre-Dame dans Hochelaga-Maisonneuve (RRNDHM), Patricia Clermont, applaudit de son côté la sortie de l’ARTM. « Je suis contente qu’elle se tienne debout. On est tous très inquiets et préoccupés du projet dans sa forme actuelle. Sa principale faille, c’est qu’il ne permet pas un transfert modal adéquat », soutient-elle, en disant craindre que la Caisse et le gouvernement tentent maintenant de « décrédibiliser » l’ARTM. « Notre avertissement à la CAQ, c’est que si elle déconsidère l’ARTM, elle va se déconsidérer aux yeux de plusieurs citoyens. »

Chez Trajectoire Québec, la directrice Sarah V. Doyon a rappelé que « les citoyens de l’Est de Montréal ont été trop longtemps délaissés dans le développement des services de transport collectif ». « L’ARTM, la CDPQ-Infra et la Ville de Montréal doivent trouver des solutions. On ne doit pas jeter le bébé avec l’eau du bain », a-t-elle conclu.

Avec Hugo Pilon-Larose, Philippe Teisceira-Lessard, Fanny Lévesque et Denis Lessard