Pour lutter contre le profilage racial, et éviter les biais qui entraînent un nombre disproportionné d’interpellations dans certaines communautés, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) doit avoir une politique de « tolérance zéro » envers tout geste discriminatoire ou de profilage de la part de ses agents.

C’est ce que recommande la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal, dans un rapport dévoilé vendredi matin. Les 25 recommandations du rapport ont été adoptées vendredi après-midi, lors d’une rencontre de la commission.

Les policiers montréalais devraient systématiquement remplir une « fiche d’interpellation » chaque fois qu’ils interpellent un citoyen, et les données sur ces interpellations devraient être rendues publiques, réclament aussi les membres de la commission.

On demande également au SPVM d’inclure dans sa politique les interpellations faites en regard du Code de la sécurité routière, et d’y ajouter d’autres caractéristiques pouvant mener à la discrimination – notamment la condition sociale, le genre, l’origine ethnique et la religion.

Une autre recommandation prévoit de demander au SPVM de « mentionner explicitement dans sa Politique que toute conduite discriminatoire ou de profilage est soumise au principe de tolérance zéro et fera l’objet d’une procédure disciplinaire ou administrative pouvant mener à une sanction ».

Le directeur du SPVM, Sylvain Caron, a dévoilé en juillet 2020 sa politique sur les interpellations, la première pour un corps policier québécois, qui vise à éviter la discrimination. Mais dans la politique actuelle, les fiches d’interpellation sont facultatives et les sanctions ne sont pas mentionnées explicitement.

De plus, cette politique ne vaut que pour les interpellations de citoyens à pied, et non pour celles qui concernent les automobilistes, puisque le Code de la sécurité routière est de compétence provinciale. Mais la commission demande que des démarches soient faites auprès du gouvernement du Québec pour que les interpellations sur la route soient soumises aux mêmes règles.

La politique proposée par le SPVM faisait suite au rapport de chercheurs indépendants, qui avaient conclu, en 2019, à l’existence de « biais systémiques » chez les policiers montréalais, qui faisaient en sorte que les Autochtones et les Noirs étaient quatre à cinq fois plus susceptibles d’être interpellés que les Blancs.

Les recommandations de la Commission de la sécurité publique font suite à des consultations publiques tenues l’automne dernier, visant à « bonifier » la politique du SPVM.

« Nos recommandations visent notamment à élargir la portée de la politique pour couvrir les interceptions routières, resserrer davantage les contrôles sur l’exercice arbitraire du pouvoir policier en restreignant davantage les situations où des interpellations pourront être effectuées et mieux informer le public de leurs droits », indique le conseiller municipal Alex Norris, président de la commission.

Une fois adoptées par la commission, ces recommandations seront soumises au comité exécutif de la Ville de Montréal, qui a six mois pour déposer sa réponse.

« Nous allons prendre connaissance des recommandations et le comité exécutif compte rapidement y donner une réponse formelle afin que la Politique sur les interpellations policières du SPVM puisse être bonifiée dans les plus brefs délais. Cette politique, qui est une première au Québec, est évolutive et on garde la conversation ouverte avec le public et le SPVM pour l’améliorer », souligne la responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Caroline Bourgeois.

« Nous souhaitons travailler la mise en place de ces recommandations avec le SPVM, en prenant compte de la réalité des policiers et sans affecter l’efficacité de leur travail sur le terrain. Nous sommes conscients de la complexité de leur travail, particulièrement en temps de pandémie. »

Hausse des interpellations

Dans le préambule de son rapport, la Commission de la sécurité publique mentionne notamment avoir constaté que le nombre annuel d’interpellations effectuées par le SPVM a augmenté au fil du temps, alors que le nombre d’incidents criminels est resté stable, et qu’il existe des disparités importantes en ce qui concerne « la race perçue » des personnes interpellées.

« La Commission constate que ces enjeux minent la confiance de plusieurs membres du public à l’égard de son service de police et la capacité de ce dernier à accomplir efficacement son travail », déplore-t-elle.

Selon des organismes communautaires qui ont participé aux consultations publiques, le rapport de la commission est un pas dans la bonne direction. Mais il faut absolument élargir la politique anti-discrimination aux interpellations de citoyens sur la route, disent-ils.

« Nous avons encore des questions sur les problèmes rencontrés lorsqu’on est une personne noire au volant (“Driving while Black”) », a notamment mentionné Sharon Nelson, première vice-présidente de l’Association jamaïcaine de Montréal.

« Les personnes de race noire se font arrêter sous prétexte de violation du Code de la sécurité routière, mais selon la Commission des droits de la personne, c’est uniquement parce qu’ils ont une belle voiture et que le conducteur est noir », déplore Marvin Rortrand, conseiller municipal indépendant du district de Snowdon.

Du côté du parti Ensemble Montréal, qui forme l’opposition à l’hôtel de ville, on se dit satisfaits des recommandations.

« Maintenant, le SPVM doit accepter d’appliquer ces recommandations », note Abdelhaq Sari, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique et vice-président de la Commission de la sécurité publique. « Je souhaite qu’il n’y ait pas de résistance et que le SPVM accepte ces critères minimaux pour mettre fin aux pratiques d’interpellation discriminatoires qui augmentent le racisme systémique. »