Les grands parcs de Montréal accueillent des promeneurs, des pique-niqueurs, mais aussi… des chasseurs. Que la Ville chasse sans ménagement.

Presque un an après avoir échoué à convaincre Québec d’interdire la chasse sur toute l’île de Montréal, la Ville redouble d’efforts pour au moins faire respecter sa propre réglementation en expulsant tireurs et trappeurs de ses parcs.

Des équipes de policiers et de cols bleus sont régulièrement déployées pour démanteler les installations de ces braconniers urbains, qui n’hésitent pas à fixer des caméras et à construire des caches pour mieux traquer leurs proies comme ils le feraient à la campagne. Une dizaine d’entre elles sont signalées à la Ville chaque année.

Frédéric Millard travaille pour le Service des grands parcs de la Ville de Montréal. Une matinée de la fin novembre, c’est dans le parc-nature de l’Anse-à-l’Orme qu’il mène la petite troupe (trois ouvriers et deux policiers) chargée de chasser les chasseurs. L’orange vif de leurs deux petits tracteurs Kubota détonne sur la neige.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Quelques jours plus tôt, des patrouilleurs ont repéré une cache en hauteur, dans un petit bosquet d’arbres. L’heure est venue de la démanteler.

« Celle-là, elle est facile d’accès », explique le jeune homme. Ailleurs, il doit parfois s’enfoncer longtemps dans le bois ou à travers des marais pour atteindre sa destination. Alors que les travailleurs s’affairent à couper les sangles qui relient le siège métallique surélevé à un arbre, Frédéric Millard entreprend de retirer une caméra de chasse installée tout près.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Frédéric Millard laisse un avis au propriétaire d’une cache pour qu’il récupère son matériel confisqué, dans le parc-nature de l’Anse-à-l’Orme.

À l’endroit où elle se trouvait, il installe une affiche plastifiée : « Nous avons constaté la présence d’installations qui contreviennent au règlement », indique l’avis.

On le confisque [le matériel], mais on donne la possibilité de le récupérer. C’est aussi le moyen pour nous de sensibiliser [les chasseurs] au règlement. Parce que probablement qu’ils vont prétendre qu’ils ne savent pas.

Frédéric Millard, du Service des grands parcs de la Ville de Montréal

Depuis le printemps, son équipe et lui ont démantelé « trois ou quatre » caches actives dans les grands parcs de l’ouest de Montréal, en plus d’installations à l’abandon depuis longtemps. « Souvent, ce sont d’anciennes cabanes », précise-t-il.

Deux policiers du poste de quartier local accompagnent les travailleurs, au cas où un chasseur frustré serait encore sur place. « Ce n’est pas la première fois que j’entends parler d’une cache dans le bois, mais c’est la première fois que j’assiste au démantèlement d’une cache », a expliqué l’agent Jean-Pierre Lévis.

« Il ne faut pas attendre l’irréparable »

Début 2021, les maires de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) avaient demandé à Québec de modifier sa législation pour interdire purement et simplement la chasse sur l’île de Montréal. Actuellement, les lois provinciales la permettent, mais des règlements municipaux la rendent virtuellement impossible : ils interdisent notamment tout coup de feu dans les limites de la Ville de Montréal, dans les parcs-nature et à moins de 500 mètres d’une résidence.

C’est Paola Hawa, la mairesse de Saint-Anne-de-Bellevue, qui mène ce combat.

« C’est une question de sécurité, c’est aussi simple que ça. Faire de la chasse sur le mont Royal, ça n’a pas de sens. C’est la même chose pour l’Ouest-de-l’Île », a-t-elle expliqué à La Presse en entrevue. Elle a indiqué que les résidants du nord de sa municipalité – située sur la pointe occidentale de l’île de Montréal – vivent avec la présence constante des coups de feu.

Il y a une problématique. Il ne faut pas attendre l’irréparable avant de poser un geste. Je veux pouvoir dire que j’ai fait tout en mon pouvoir pour protéger mes citoyens.

Paola Hawa, mairesse de Saint-Anne-de-Bellevue

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a opposé une fin de non-recevoir à l’initiative de la CMM. « Toutes les municipalités détiennent déjà les leviers réglementaires nécessaires pour limiter la chasse sur leur territoire, a indiqué son cabinet à l’époque. Nous n’avons pas l’intention de rouvrir la loi. »

C’est aussi l’opinion de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. En entrevue, la porte-parole Stéphanie Vadnais a fait valoir que l’organisation encourageait ses membres à respecter toutes les règles en place, mais qu’en contrepartie, elle tentait de convaincre les municipalités de faire une place aux chasseurs sur leur territoire.

« On fait beaucoup de sensibilisation auprès des municipalités pour leur permettre de mieux comprendre le rôle de la chasse dans la gestion du gibier au Québec », a-t-elle dit, évoquant la surpopulation des cerfs à Longueuil. « La chasse peut être super efficace pour prévenir des situations problématiques comme celle-là. »

Début décembre, Mme Hawa a indiqué à La Presse que le dossier était au point mort. La mairesse voudrait que ce soient les agents de la faune provinciaux qui fassent respecter une éventuelle interdiction de la chasse sur l’île plutôt que le SPVM, peu outillé pour encadrer les chasseurs.

« Je suis absolument contre ça »

De retour dans le parc de l’Anse-à-l’Orme, l’équipe de Frédéric Millard jette la cache de chasse démontée derrière l’un de ses tracteurs. Celle-ci – un simple siège de métal doté d’une échelle d’accès – est particulièrement modeste. « Des fois, ça peut être quasiment un mirador », explique M. Millard.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Démantèlement d’une cache dans le parc-nature de l’Anse-à-l’Orme

Ce sont souvent les zones peu aménagées des parcs ou les friches agricoles récemment intégrées à des parcs qui sont utilisées par les chasseurs. Le danger de croiser un chasseur près d’un sentier du parc-nature du Cap–Saint-Jacques ou du Bois-de-Liesse est faible, estime M. Millard.

Mais l’impact sur les citoyens est tout de même bien concret. Dans ce secteur extrêmement tranquille, on entend fréquemment les chasseurs en action.

« Les coups de feu, ça fait depuis une quinzaine d’années » qu’on les entend, a affirmé Gilles de Grandpré, un habitué du parc-nature qui s’apprêtait à y faire une marche. « C’est tellement beau. C’est un beau coin et on veut le garder comme ça. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-Guy Pilon

Jean-Guy Pilon habite à l’angle du boulevard Gouin et de la rue qui porte le nom de sa famille depuis sa naissance, il y a 87 ans. « Ici, avant, il y avait des chevaux, des vaches. Mon père était cultivateur », a-t-il confié en entrevue. « Il y avait une grosse grange ici. Là, maintenant, ce sont des blocs. »

Les gens qui chassent dans le parc, « je suis absolument contre ça », a lancé M. Pilon. « À l’Anse-à-l’Orme, c’est plein de gens qui chassent partout. La police les laisse faire. » En plus des chasseurs de cerfs, l’octogénaire entend aussi les chasseurs de canards sur les berges de la rivière des Prairies.

M. Pilon a connu l’époque où ce coin de Montréal était rural, mais n’accepte pas pour autant que des chasseurs utilisent son quartier comme champ de tir. « Moi, j’aimais mieux avant, voir les chevaux. Mais je comprends qu’il faut changer aussi. On ne peut pas toujours rester comme avant », a-t-il dit.

Les chasseurs bienvenus au boisé du Tremblay à Longueuil

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Boisé Du Tremblay, à Longueuil

Alors que Montréal interdit la chasse dans les limites de son territoire, des villes de banlieue la permettent dans un cadre très précis. Ainsi, dans l’agglomération de Longueuil, certaines zones rurales sont ouvertes aux chasseurs, notamment une partie du boisé Du Tremblay où les cerfs sont trop nombreux. Les chasseurs doivent respecter une distance d’au moins 200 mètres avec toute rue ou habitation.

43 500

Nombre de cerfs abattus par des chasseurs en 2020 au Québec, à l’exclusion d’Anticosti

Source : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

70 %

Proportion des activités de chasse pratiquées en milieu périurbain au Québec

Source : Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs