Le groupe de Stephen Bronfman demande à Québec une contribution financière pouvant aller jusqu’à quelques centaines de millions de dollars pour son projet de stade de baseball à Montréal, a appris La Presse. Le projet est d’une valeur totale d’environ 1 milliard de dollars. Si le gouvernement va de l’avant, ce sera à coût nul pour les contribuables et selon la formule suivante : une partie en subventions et une autre en prêts « pardonnables ».

Un projet de 1 milliard

Le groupe de Stephen Bronfman demande une contribution financière pouvant aller jusqu’à quelques centaines de millions de dollars au gouvernement du Québec pour son projet d’environ 1 milliard qui comprend la construction d’un nouveau stade de baseball au bassin Peel, a appris La Presse.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Stephen Bronfman, président exécutif de la firme d’investissement Claridge, en 2019

Depuis février 2021, Claridge, la firme d’investissement de M. Bronfman, et le Groupe Baseball Montréal, le groupe de gens d’affaires mené par M. Bronfman qui veulent ramener une équipe du baseball majeur à Montréal, demandent une contribution financière à Québec dans le cadre du projet de stade de baseball au bassin Peel. Le groupe de M. Bronfman n’a jamais indiqué publiquement quelle somme il demandait.

Le Groupe Baseball Montréal n’a pas souhaité commenter le dossier.

Selon nos informations, le Groupe Baseball Montréal n’aurait pas fait une demande unique avec un chiffre précis au gouvernement du Québec. Les deux parties discutent plutôt de plusieurs scénarios de contribution financière. La quasi-totalité de ces scénarios se chiffre à au moins une centaine de millions de dollars. À titre d’exemple, l’un des scénarios évoqués revient à une contribution d’environ 300 millions de dollars pour Québec.

Le gouvernement Legault, qui étudie la demande, n’a pas encore pris de décision. Depuis des mois, Québec se dit ouvert à l’idée de faire une contribution financière, mais à coût nul pour les contribuables québécois.

« Si, demain matin, il y avait une équipe de baseball au Québec, des joueurs paieraient des impôts au Québec, des impôts qu’on n’aurait pas [sans équipe]. Donc, si on prend une partie de ces revenus d’impôts là, puis qu’on les donne à une entreprise qui nous amène cette entreprise-là, tout le monde est gagnant. […] Il faut s’assurer que le Québec va recevoir plus de retombées, donc d’entrées fiscales réelles, que le montant d’aide qui serait donné à [cette] entreprise », a dit le premier ministre du Québec, François Legault, en mars dernier. Il a réitéré essentiellement les mêmes propos le mois dernier lors d’une entrevue accordée à TVA Sports.

Selon nos informations, Québec considère dans ses calculs les recettes fiscales additionnelles générées par de l’argent provenant de l’extérieur du Québec (par exemple les impôts des joueurs ou la TVQ des touristes américains qui viendraient assister à un match), et une partie des retombées économiques provenant notamment de l’étranger.

Depuis le printemps 2019, M. Bronfman et son groupe ont comme projet de déménager les Rays de Tampa Bay à Montréal en garde partagée. Selon ce plan, l’équipe jouerait la moitié de ses matchs à domicile à Tampa Bay et l’autre moitié à Montréal. Le propriétaire des Rays, Stuart Sternberg, est d’accord avec ce projet. Il conserverait d’ailleurs une participation importante (voire majoritaire) dans l’équipe. Les Rays ont un bail valide à Tampa Bay jusqu’en 2027.

Ce concept d’équipe à temps partagé est unique : il n’y a pas d’équipe de sport professionnel partagée entre deux villes actuellement en Amérique du Nord.

Pour que ce projet se réalise, MM. Sternberg et Bronfman ont indiqué qu’il fallait construire un nouveau stade dans chacune des deux villes. Aucun stade ne sera construit sans l’assurance qu’une équipe y jouera – au moins pour la moitié de la saison. Le projet doit aussi obtenir l’aval du baseball majeur et du syndicat des joueurs.

À Tampa Bay, les Rays ont évoqué publiquement à la mi-novembre un scénario où les gouvernements locaux paieraient environ 50 % d’un nouveau stade en Floride. Les Rays sont disposés à payer environ 350 millions US pour leur nouveau stade évalué à 700 millions US.

Subventions et prêts

Selon nos informations, le projet soumis par M. Bronfman est d’une valeur de 1 milliard de dollars. Cette somme comprend à la fois le coût de construction d’un stade de baseball et d’autres infrastructures dans le quartier, près du stade.

Le groupe de M. Bronfman, qui n’a pas donné publiquement d’informations sur le financement de son projet pour l’instant, n’a jamais révélé ce chiffre.

Lors de la plus récente estimation publique, en 2013, une étude commandée en partie par M. Bronfman établissait le coût de la construction d’un nouveau stade (36 000 sièges) à 500 millions de dollars. En tenant compte de l’inflation, on arrive à 585 millions en 2021 uniquement pour le stade.

Selon nos informations, si Québec va de l’avant avec sa contribution financière, il envisage une partie en subventions et une autre partie sous forme de prêts à remboursement conditionnel (communément appelés « prêts pardonnables »).

Pour les subventions, l’argent serait ainsi versé au groupe de M. Bronfman sans condition autre que la venue de l’équipe à Montréal. Pour les prêts à remboursement conditionnel, l’argent serait éventuellement converti, en tout ou en partie, en subvention à la condition que le projet remplisse les paramètres de retombées fiscales/économiques sur lesquels les deux parties se sont entendues.

Plus de détails au début de l’année 2022 ?

Avant de prendre une décision définitive, Québec veut s’assurer que le projet d’un stade de baseball au bassin Peel, financé en partie par des fonds publics, obtienne une acceptabilité sociale suffisante à Montréal et au Québec.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

En 2019, le Groupe Baseball Montréal avait indiqué vouloir aménager au bassin Peel, entre autres, « un espace vert, un parc à l’intérieur du parc, accessible à la population, ouvert et inclusif ».

Au début de l’année 2022, peut-être dès janvier, le groupe de M. Bronfman envisage de faire une sortie publique pour donner davantage de détails sur son projet. Il s’agit du plan à l’heure actuelle, mais rien n’est coulé dans le béton.

La dernière fois que le groupe de M. Bronfman a donné des détails publiquement sur le projet, c’était en octobre 2019, à l’occasion de sa présentation lors de la consultation sur l’avenir du quartier du bassin Peel organisée par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

En plus du stade de baseball, le Groupe Baseball Montréal avait alors indiqué vouloir aménager :

  • « un espace vert, un parc à l’intérieur du parc, accessible à la population, ouvert et inclusif, et dont l’aménagement permettra à plusieurs partenaires de la communauté de mieux desservir leurs clientèles » ;
  • des espaces à vocation spécialisée comme une clinique de médecine sportive, un centre de réhabilitation à vocation communautaire, un centre d’interprétation de l’histoire du quartier, un espace pour le Panthéon des sports du Québec ;
  • des espaces pour les organismes communautaires.

Dans son rapport rendu public en mars 2020, l’OCPM conclut qu’il faudrait une deuxième consultation sur ce projet « très controversé » de stade, qui devrait être analysé « sur la base d’un projet plus développé ». La présidente de l’OCPM à l’époque, Dominique Ollivier, est aujourd’hui numéro deux de l’administration Plante (elle est présidente du comité exécutif).

Le groupe de M. Bronfman doit d’ailleurs rencontrer la mairesse de Montréal Valérie Plante d’ici Noël, a indiqué le cabinet de la mairesse Plante. Il s’agira de leur première rencontre depuis la réélection de Valérie Plante.

Le terrain convoité par le groupe de M. Bronfman appartient au gouvernement fédéral (la Société immobilière du Canada), mais la Ville de Montréal possède aussi un droit de préemption – une sorte de droit de veto – sur ce terrain. Elle doit donc être d’accord en pratique pour que le projet de stade de baseball au bassin Peel voie le jour.

En attente d’une décision du baseball majeur

Pour que le projet d’une équipe de baseball à temps partagé entre Tampa Bay et Montréal aille de l’avant, il faut l’accord du baseball majeur et du syndicat des joueurs. Plus tôt en novembre, le propriétaire des Rays de Tampa Bay, Stuart Sternberg, a présenté son projet d’une équipe à temps partagé au comité exécutif du baseball majeur. Pour que le projet voie le jour, il doit être entériné par ce comité, puis par l’ensemble des propriétaires du baseball majeur. Le comité n’a pas voté sur le projet lors de cette réunion. Le commissaire Rob Manfred a indiqué qu’il y avait d’autres sujets plus pressants à l’ordre du jour. M. Sternberg estime pouvoir obtenir une décision du baseball majeur au cours des prochains mois. Le baseball majeur est en lock-out depuis le 1er décembre. Il s’agit du premier conflit de travail dans le baseball majeur depuis 1994.

Le calcul de Québec

Si le gouvernement Legault va de l’avant, il envisage de faire une contribution uniquement à la hauteur des recettes fiscales provinciales générées par le projet sur de l’argent provenant de l’étranger (par exemple, les impôts des joueurs ou la TVQ sur les dépenses des touristes américains venus à Montréal pour le baseball), ainsi qu’un pourcentage des retombées économiques générées par le projet, notamment sur l’argent provenant de l’étranger.

PHOTO MIKE CARLSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les futurs joueurs des Expos-Rays paieraient en impôts québécois environ 4,25 millions de dollars par an, selon les calculs de La Presse.

Selon nos informations, Québec considère notamment quatre facteurs pour évaluer les retombées du projet :

  1. les impôts payés au Québec par les joueurs des Expos-Rays ;
  2. les recettes fiscales, pour Québec, générées par la construction du stade (une étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain évaluait ce montant à 55,6 millions en 2013 ; cela donne 65 millions en dollars de 2021 avec l’inflation) ;
  3. les recettes fiscales du Québec (par exemple, la TVQ) générées par les touristes de l’extérieur du Québec qui viendraient à Montréal pour voir les matchs des Expos-Rays ;
  4. un pourcentage des retombées économiques du projet, en particulier celles provenant des touristes étrangers venus à Montréal pour voir des matchs de baseball.

Québec n’a pas décidé sur quel horizon il calculerait les retombées fiscales du projet. En mars dernier, le premier ministre François Legault avait parlé d’un horizon de cinq ans.

En vertu des règles fiscales, les futurs joueurs des Expos-Rays paieraient en impôts québécois environ 4,25 millions de dollars par an, selon les calculs de La Presse (en présumant une masse salariale de 75 millions CAN pour l’équipe ; celle des Rays était de 71 millions CAN au début de la saison 2021).

Et dans 25 ans ?

Pour Québec, les joueurs des Expos-Rays généreraient environ des recettes fiscales de 106 millions sur 25 ans (sans tenir compte de l’inflation sur les salaires), selon les calculs de La Presse. En appliquant une inflation annuelle de 3 % des salaires, on arrive à des recettes fiscales de 155 millions sur 25 ans, selon les calculs de La Presse.

Une étude de 2013, financée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Claridge et d’autres gens d’affaires, évaluait les impôts québécois des joueurs à 9,8 millions/an pour une équipe à temps complet. Pour une équipe à temps partagé, ce chiffre diminuerait à 4,9 millions/an en impôts québécois – donc sensiblement le même résultat que les calculs de La Presse (4,25 millions/an).

Depuis 2013, le groupe de M. Bronfman n’a pas chiffré publiquement son estimation des retombées économiques et fiscales de son projet d’équipe de baseball.

En pratique, la grande majorité d’une masse salariale de 75 millions de dollars américains pour une équipe du baseball majeur est payée par les revenus nationaux des droits de diffusion du baseball majeur, principalement les droits de diffusion aux États-Unis. La firme Ernst & Young, qui a réalisé l’étude de 2013 pour la Chambre de commerce et des gens d’affaires, estime que chaque équipe du baseball majeur recevait en 2014 au moins 60 millions US comme part des revenus des contrats nationaux de diffusion des matchs.