Malgré les déficits, les menaces de coupes, les chantiers qui se multiplient et les usagers qui tardent à revenir, la Société de transport de Montréal (STM) garde le cap. Alors que les travailleurs entament graduellement un retour au bureau, l’organisme prépare son grand retour, envisageant 2022 comme « l’année de la relance et de la sortie de crise ».

« En ce moment, on est à environ 58 % de notre achalandage habituel. Depuis le mois de septembre, on a pris presque 10 %, ce qui est très encourageant. On s’attend à retomber dans du 85-90 % du nombre d’usagers prépandémie d’ici la fin de 2022 », explique à La Presse le directeur général de la société, Luc Tremblay.

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Luc Tremblay, directeur général de la STM

Il affirme que le retour au bureau des fonctionnaires, qui s’est entamé lundi, sera « crucial ». « C’est pour ça qu’on veut absolument avoir encore de l’aide pour passer à travers. Si on se met à retourner en arrière et à réduire des services, on mettrait un frein et on risquerait de perdre beaucoup d’acquis qui ont demandé des années à aller chercher », fait valoir le DG de la STM, qui compose toujours avec un déficit de 62 millions.

À la mi-octobre, Luc Tremblay avait sonné l’alarme dans les médias, affirmant que sans une aide financière supplémentaire d’ici l’an prochain, la société de transport pourrait devoir faire des coupes de service « allant jusqu’à 30 % dans le métro en 2022 ». Sans dévoiler ses cartes, Québec a promis de se porter au secours des opérateurs, en disant vouloir éviter à tout prix de toucher le service. « Des discussions sont en cours, c’est positif. À la mise à jour économique, le 25 novembre, des éléments devraient être annoncés pour nous aider », confie M. Tremblay.

Pour nous, 2022, c’est l’année où on sort de la crise, où on sera prêts à accueillir les clients. C’est l’année de la relance.

Luc Tremblay, directeur général de la STM

Ouvrir la machine de l’électrification

Parmi les grands projets de l’an prochain, il y a le lancement de la « deuxième phase » de l’électrification du parc d’autobus de la STM. « On a 2100 bus, et notre objectif est d’avoir pratiquement terminé [leur électrification] au tournant de 2030. Ensuite, la cascade par année va dépendre de la vitesse à laquelle on sera en mesure de convertir nos centres de transport », avance le directeur.

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Vue d’un autobus électrique à grande autonomie au centre de transport Stinson, en novembre 2020

Son groupe a déjà commandé 30 autobus électriques New Flyer à grande autonomie et recharge lente, mieux adaptés à la réalité montréalaise. « On est en train de les tester. Mais tout ça, c’est bon. Ça veut dire que la technologie est mature, qu’on est capables d’avancer. En 2022, on va ouvrir la machine », dit M. Tremblay.

C’est dès 2025 que la STM compte lancer des achats plus massifs de bus électriques. « Pour ça, il faut transformer nos neuf centres de transport, donc installer des chargeurs dans des locaux mésadaptés. Ça demande beaucoup de démolition et de construction. Le défi, c’est qu’on ne peut pas convertir tous nos centres en même temps, parce qu’ils servent aussi à réparer et entreposer nos bus. Il y a toute une séquence à planifier », affirme le cadre.

Il manque toujours 49 autobus hybrides sur les 300 commandés par l’administration Plante dans le dernier mandat. Les véhicules devraient arriver d’ici août 2022.

Une ligne bleue, des voies réservées

Même si Québec a fait part en avril de son impatience face à une hausse « pas acceptable » des coûts liés au prolongement de la ligne bleue, la STM l’assure : tout se passe comme prévu. « On fait le dossier d’affaires et on est déjà en train de creuser à certains endroits, notamment le tunnel piétonnier qui va relier le SRB Pie-IX. Tout ça va s’accélérer en 2022 », promet Luc Tremblay.

On respecte beaucoup l’opinion du gouvernement, mais on n’est pas tout à fait d’accord. On ne peut pas parler de dépassement de coûts, ce sont plutôt des coûts qui ont été oubliés. Dès le départ, il manquait les taxes, il manquait des terrains ; c’est ce qui a fait passer la facture de 3,9 à 4,5 milliards.

Luc Tremblay, directeur général de la STM, à propos du prolongement de la ligne bleue

Sur le réseau routier, la société de transport entend surtout miser sur les voies réservées ; l’objectif avoué est d’ailleurs de faire passer la proportion des déplacements en bus à Montréal dans des voies réservées de 24 % à 70 % d’ici 2025. « Il y a beaucoup d’appétit. Ces voies réservées ne coûtent pas cher, sont relativement faciles à faire et sont financées à 100 % par le gouvernement. Elles vont pulluler », affirme M. Tremblay.

Il confie d’ailleurs que l’enthousiasme de l’administration Plante y est pour quelque chose, Projet Montréal s’étant engagé en campagne à implanter un « métrobus » avec voies réservées sur le boulevard Henri-Bourassa, sur le même principe que le SRB Pie-IX.

« Pas sexy, mais nécessaire »

Pour l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau, la STM « a beaucoup de choses à faire qui ne sont pas sexy, mais qui sont nécessaires ». « Le virage vers l’électrification, la modernisation des garages, ce sont des choses dont on ne verra pas l’impact demain matin, donc le défi est d’avoir le financement requis quand même », observe-t-il.

« Le chantier le plus fondamental, ça reste de procéder aux coupes de service les plus maigres possibles. Il y aura certes des optimisations, mais le service doit être préservé. C’est bien beau que le premier ministre dise qu’il n’y aura pas de coupes, mais il faut que l’argent suive », raisonne aussi le spécialiste.

Ce dernier appelle aussi à « trouver des façons de conserver les usagers en mettant en place des mesures innovantes », dont « des tarifs adaptés comme des laissez-passer deux-trois jours par semaine sur une base mensuelle », une réflexion que mène actuellement l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

Des budgets et des cibles

4,8 milliards

L’électrification des bus de la STM représente un budget de 4,8 milliards sur 10 ans, et le projet devrait s’échelonner jusqu’en 2030.

70 %

À l’heure actuelle, 24 % des déplacements en bus à Montréal se font dans des voies réservées. La STM veut faire passer cette proportion à 70 % d’ici 2025.

85-90 %

Proportion de l’achalandage prépandémie que la STM vise à ramener dans son réseau d’ici la fin de 2022, afin de concrétiser un certain retour à la normale pour le transport collectif dans la métropole.

L’électrification de la STM, en trois temps

Août 2022

Les 300 autobus hybrides commandés par Valérie Plante lors de son dernier mandat seront tous arrivés. Ils devaient initialement être sur les routes à la fin du dernier mandat, mais la pandémie a retardé leur livraison.

2025

La STM commencera à acheter massivement des bus électriques, pour remplacer son parc de bus à essence et hybrides.

2030

Tous les bus de la STM seront électriques, à quelques exceptions près. Les neuf garages auront aussi été reconvertis pour accueillir et entreposer ces bus.

Sources : STM, gouvernement du Québec et ARTM

Retour graduel dans le métro : plus d’usagers, mais aussi plus d’attentes

Le métro retrouve graduellement son achalandage habituel à Montréal, sans pour autant revenir au niveau d’avant la pandémie. Il faudra encore des mois, voire des années, avant un vrai retour à la normale. D’ici là, les usagers quotidiens profitent de cet entre-deux, mais appréhendent le retour de la « classe sardine ».

« On dirait que le transport collectif s’adapte un peu moins bien au fait que les gens reviennent. Beaucoup de gens se sont éloignés sur le territoire pendant la pandémie, mais aujourd’hui, ils n’ont pas plus d’options pour venir à Montréal plus facilement. Ce n’est pas encore suffisant, ça prend trop de temps », lance Alex Grenier, un musicien qui habite à Laval, à sa sortie de la station Berri-UQAM.

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Alex Grenier, à sa sortie de la station Berri-UQAM

Il va régulièrement jusqu’au centre-ville pour suivre des cours en musique, et dit constater que la voiture est encore plus avantageuse à bien des égards. « Si je descendais de chez moi en auto, ça ne me prendrait pas plus qu’une demi-heure, mais là, avec le bus et le métro, ça m’en prend au moins le double, parfois même le triple. Ce n’est pas encore super intéressant, et honnêtement, je comprends les gens qui tiennent encore à prendre leur voiture », analyse M. Grenier.

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Baya Morissette et Kiana Whittaker

Pour les élèves au cégep du Vieux Montréal Kiana Whittaker et Baya Morissette, le métro est synonyme du quotidien pour se rendre à l’école.

On constate qu’il y a beaucoup de monde depuis quelques jours. Des fois, même, il faut laisser passer un métro parce qu’il est plein. Il pourrait y avoir plus de service, c’est certain, surtout le soir et la nuit.

Kiana Whittaker

« C’est toujours le fun d’entendre de nouveaux projets, ajoute Kiana Whittaker, qui réside sur la Rive-Sud, en parlant du Réseau express métropolitain (REM). Pour des jeunes comme nous qui utilisent souvent le transport en commun, c’est super, mais on a aussi très hâte de le voir pour vrai, que ça se concrétise. »

Des horaires à respecter

Gilles Rousseau, lui, est préposé à l’entretien d’équipements depuis 27 ans à la Société de transport de Montréal (STM). « Je travaille dans le métro, dit-il en riant. Je n’ai jamais arrêté pendant toute cette pandémie. Et là, je peux vous dire que ça a repris, les gens sont plus nombreux. Mais on ne sent pas plus de pression pour autant. »

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Gilles Rousseau, préposé à l’entretien d’équipements à la STM

Mais pour l’enseignant Mohamed Benkhay, ce sont les problèmes techniques qui doivent surtout être corrigés. « J’ai mon auto, j’ai des horaires à respecter. Et s’il y avait du stationnement ici, je ne serais pas venu en métro, à cause des retards. Ce matin même, j’avais 10 élèves qui étaient en retard à cause du métro. Généralement ça se passe bien, mais ces petits pépins sont toujours présents », soutient-il.

Jeudi dernier, à quelques jours du retour progressif des fonctionnaires au bureau, le service du métro avait été interrompu sur trois lignes en raison d’un dégagement de fumée. « Je sais que, parfois, ce n’est pas la faute de la STM, mais ça nous affecte quand même. Moi, je fais une heure et demie à l’aller et une heure et demie au retour chaque jour dans le métro », glisse le professeur, qui habite dans le secteur de Viauville, dans l’est de Montréal.

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Mohamed Benkhay

D’autres ont une expérience plus positive, comme Couri Catéa, qui se déplace régulièrement vers le centre-ville depuis la station Côte-Vertu, où elle laisse sa voiture pour « relaxer ». « On ne se casse pas la tête avec les stationnements, avec les travaux. Je gare ma voiture à côté du métro de là où je viens et ça me détend, ça me soulage. J’ai vécu à Dubaï pendant deux ans et honnêtement, depuis que je suis revenue, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’amélioration côté transport collectif », avance-t-elle.

« Je suis contente, parce que ce n’est pas encore trop congestionné, en tout cas, moins qu’avant. Et ça me convient, parce que j’ai encore un peu peur de ce virus », conclut Mme Catéa.