Première femme noire à la tête d’un arrondissement montréalais, la Congolaise d’origine entend « bâtir des ponts » entre les communautés

De l’Hôpital général juif à Force Jeunesse en passant par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, la nouvelle mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Gracia Kasoki Katahwa, cumule les postes d’importance depuis sa sortie des bancs d’école. La Congolaise d’origine, première femme noire à la tête d’un arrondissement montréalais, entend d’ailleurs puiser dans son expérience pour « bâtir des ponts » entre les communautés.

« Je n’aurais pu imaginer une meilleure entrée en politique, avec la diversité que cette élection a permis de mettre à l’avant, et aussi avec un parti qui me ressemble. C’est vraiment une très grande fierté pour moi », confie d’entrée de jeu la femme de 35 ans, en entrevue avec La Presse.

Élue avec 212 voix de majorité, Gracia Kasoki Katahwa devra toutefois attendre un dépouillement judiciaire demandé par Ensemble Montréal lundi, avant d’être bien certaine de sa victoire. D’ici là, elle ne cache pas que la vague de jeunes et de femmes élus dimanche dernier – dont plusieurs de la diversité – lui fait un grand bien.

« C’est un premier pas très encourageant, mais je le réitère : c’est important de ne pas baisser la garde, de ne pas cesser nos efforts. Il y a eu des efforts concrets qui ont été faits pour faire de la place à des conseillers issus de la diversité, mais il faut continuer. J’espère que tout ça aura un effet d’entraînement, soutient-elle. On sous-estime beaucoup l’impact de la représentativité, mais c’est extrêmement significatif, surtout pour les jeunes qui grandissent en tant que minorités visibles. »

De Québec à CDN–NDG

Arrivée au Québec à la fin des années 80, Mme Kasoki Katahwa grandit dans le quartier Sainte-Foy, dans la capitale. Elle passe par l’école secondaire De Rochebelle, notamment, puis entame des études supérieures en sciences infirmières à l’Université Laval, qu’elle termine en 2009.

Les vagues d’immigration, à Québec, on les a senties. J’ai eu la chance d’avoir un groupe d’amis assez diversifié. Mais mon monde professionnel était assez uniforme. J’étais souvent la seule femme noire. J’avais envie de voir autre chose.

Gracia Kasoki Katahwa

C’est dans cet état d’esprit que la principale intéressée déménage dans Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, en 2010. Elle se joint alors à l’équipe de l’Hôpital général juif (HGJ), et entreprend simultanément une maîtrise en administration publique à l’École nationale d’administration publique. L’un de ses mentors y sera d’ailleurs l’ex-ministre péquiste Rémy Trudel, qui est aujourd’hui aussi un observateur politique chevronné.

Puis, tout s’enchaîne. Elle travaille d’abord pendant deux ans et demi au Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone, qui milite pour le développement de savoirs infirmiers en français partout dans le monde, en continuant d’être infirmière à l’HGJ.

En 2013, elle se joint au Réseau des entrepreneurs et professionnels africains, duquel elle deviendra présidente. Dans les années qui suivent, elle intègre le conseil d’administration de Force Jeunesse, puis en 2018 celui de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, après avoir été élue par les membres.

« Célébrer la diversité »

Gracia Kasoki Katahwa le dit sans gêne : « Je suis mairesse, mais je demeure infirmière. » « C’est important pour moi que ce lien-là soit fait. Le rôle politique d’une infirmière, on ne le connaît pas beaucoup, mais c’est quelque chose qu’on développe beaucoup. Il faut souvent être en mesure de négocier avec des partenaires pour livrer les meilleurs services. Il y a tout un aspect de gestion et d’incidence politique à la profession, que je compte utiliser aujourd’hui », dit-elle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Gracia Kasoki Katahwa, mairesse de CDN–NDG

Une des façons de continuer à avoir un service de santé de qualité, c’est de prendre soin des gens, pour qu’ils restent en santé. Et justement, c’est ça, le rôle du municipal : offrir plus de transport actif, d’espaces verts, de toits salubres et abordables sur notre tête. C’est une suite logique pour moi.

Gracia Kasoki Katahwa, mairesse de CDN–NDG

Cette dernière entend d’ailleurs « saisir toutes les opportunités » pour créer davantage de logements sociaux et abordables, notamment grâce au droit de préemption. « On a commencé à le faire sur les terrains du YMCA à NDG. Ce sera de voir s’il y a d’autres opportunités comme ça », insiste-t-elle, en promettant aussi d’implanter la vision du « pôle de mobilité et développement » à l’ancien hippodrome Blue Bonnets.

Au-delà des engagements, la jeune femme veut « rétablir la confiance » des citoyens envers les institutions de l’arrondissement, qu’elle juge marquée par la saga judiciaire entre Sue Montgomery et la Ville. Elle déplore aussi que Mme Montgomery ait suggéré de scinder Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce en deux arrondissements. « Il faut bâtir des ponts. Moi, cette diversité-là, je veux la célébrer. Il y a des choses assez subtiles qui peuvent être faites pour y arriver, comme une piste cyclable reliant les quartiers, qui irait vers le centre-ville. On peut amener plus de culture, plus de transport, de travail avec le communautaire, bref, amener des réalités parfois différentes autour d’une même table, d’un même évènement », lâche-t-elle.

Quant à un potentiel rôle au sein du comité exécutif de la Ville – qui doit être nommé incessamment –, la nouvelle mairesse se fait prudente. « Si tu reçois l’appel de la mairesse, tu vois comment tu te positionnes, mais c’est certain que de gérer l’arrondissement va être au centre de mes préoccupations. Ça va prendre pas mal de mon temps, et ça va être ma priorité. »