Le gouvernement du Québec pourrait devoir verser une somme deux fois plus élevée que prévu pour faire l’acquisition des bâtiments de l’ancien magasin de musique Steve’s, rue Saint-Antoine, et des terrains sur lesquels doit être construit l’agrandissement du Palais des congrès de Montréal.

Dans une décision rendue en septembre par la Section des affaires immobilières en matière d’expropriation, le tribunal ordonne à Québec de verser une indemnité de 22,4 millions aux propriétaires, en plus de frais d’expertise de près de 700 000 $, dans cette affaire d’expropriation qui dure depuis plus de huit ans. L’indemnité offerte par Québec aux propriétaires, les Développements St-Antoine, s’élevait à seulement 10,7 millions de dollars.

Dans leur décision, les juges administratifs décrivent de quelle manière les manœuvres de Québec pour bloquer tout projet sur ces terrains ont nui à la valorisation de la propriété et exposent de multiples délais de procédure, « sans raison valable », avant l’expropriation et la prise de possession des immeubles.

Le jugement raconte aussi en biais la mort d’un projet de tour résidentielle de 20 étages qui devait s’élever à cet endroit et que l’administration montréalaise de l’époque avait salué comme « déterminant » pour favoriser l’« arrivée de nouveaux résidants à proximité du Vieux-Montréal ».

Mais les dirigeants du Palais des congrès, à proximité, avaient d’autres plans.

Lot 837

En janvier 2012, la famille Moscovitch, propriétaire des lieux, accepte de vendre le « lot 837 » à une société dirigée par l’architecte Antoine Chaloub, pour la somme de 5,1 millions. M. Chaloub prévoit démolir les bâtiments existants pour y construire une tour de 20 étages, comprenant 142 logements, 3 étages réservés au stationnement et 2 commerces au rez-de-chaussée.

En septembre 2012, M. Chaloub demande à l’arrondissement de Ville-Marie d’approuver un projet particulier de construction. Des plans détaillés sont déposés à l’arrondissement en novembre et, à peine une semaine plus tard, l’arrondissement émet une recommandation favorable.

« Si tout se déroule bien, le permis de construction sera [délivré] dès la fin du mois de mars 2013 », assure une fonctionnaire de l’arrondissement à M. Chaloub.

Le 19 décembre 2012, le conseil d’arrondissement de Ville-Marie tient une assemblée de consultation publique sur le projet, à laquelle se présente la Société du Palais des congrès de Montréal (SPCM). Son président, Marc Tremblay, dépose un mémoire et demande le rejet du projet de tour résidentielle. Car bien qu’aucune demande officielle n’ait encore été faite au gouvernement du Québec afin d’agrandir le Palais, la SPCM « a démontré son intention quant à son plan d’agrandissement vers l’est », soit sur ces mêmes terrains du lot 837.

Selon la SPCM, la construction de la tour résidentielle empêchera tout projet d’agrandissement et aura des « conséquences néfastes sur le développement des installations du Palais des congrès de Montréal ».

L’arrondissement de Ville-Marie décide, malgré tout, d’ignorer l’appel de la Société. La résolution pour l’approbation du projet de M. Chaloub est inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée publique du 12 mars 2013.

Quatre jours avant l’assemblée, le 8 mars, Québec adopte un décret imposant un avis de réserve foncière sur le lot 837 et sur une douzaine d’autres lots du même secteur, « pour éviter que soient exécutés des travaux de construction, d’amélioration ou d’addition sur ces immeubles ».

Huit ans d’attente

Ce n’est pourtant qu’en mars 2017 que les propriétaires reçoivent l’avis d’expropriation du gouvernement. On attend ensuite une offre financière de Québec, qui finit par arriver en janvier 2019, « plus de 22 mois après la publication de l’avis d’expropriation ». L’indemnité offerte s’élève à 7 725 000 $, plus 2000 $ pour les troubles et les ennuis. Elle repose sur l’avis d’un évaluateur expert datant du 1er décembre 2017.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Aucune amélioration n'a pu être faite sur les bâtiments en raison d'un avis de réserve foncière imposé par Québec.

Le gouvernement ne prend finalement possession des lieux que le 15 juillet 2020. Le détail n’est pas anodin.

En règle générale, souligne le tribunal, la somme de l’indemnité à verser à la partie expropriée est fixée au moment de la prise de possession. À ce moment, l’immeuble valait 23 085 000 $.

Une exception existe toutefois lorsque les terrains expropriés sont visés par un avis de réserve, comme c’était le cas pour le lot 837.

Dans une telle situation, la somme de l’indemnité est calculée sur la valeur de l’immeuble, à la date de publication de l’avis. Soit en 2017. Au moment où la valeur de l’immeuble est deux fois moindre !

« L’application sans nuance de cette exception heurte, dans le présent dossier, la logique d’équité la plus élémentaire, conclut le tribunal. [Québec] a attendu 40 mois après la date de l’avis de publication de l’avis d’expropriation, sans raison valable, pour prendre possession du lot 837 et verser l’indemnité provisionnelle. C’est d’autant plus injustifiable [étant donné] que [Québec] a également réservé ce lot 837 pendant 48 mois avant de signifier l’avis d’expropriation. »

Le ministère des Transports du Québec, qui a agi pour le compte de la Société du Palais des congrès dans ce dossier, a décliné les demandes d’informations de La Presse et a même refusé d’indiquer si la décision avait été ou serait portée en appel. Les avocats des expropriés n’ont pas répondu à nos courriels.