Denis Coderre a conseillé Transcontinental sur des enjeux montréalais jusqu’à son retour en politique, a confirmé l’entreprise dans une déclaration à La Presse, mercredi. L’imprimeur est donc l’entreprise dont le nom demeurait confidentiel jusqu’ici.

L’ancien maire a travaillé pour Transcontinental « entre juillet 2019 et mars 2020, puis entre novembre 2020 et mars 2021 », précise-t-elle.

Selon nos informations, son mandat était lié au Publisac, le sachet de plastique rempli de cahiers publicitaires que publie l’entreprise, et dont la Ville de Montréal voulait limiter la distribution parce qu’il est trop difficile à recycler.

« À la demande de Denis Coderre et dans l’intérêt public, TC Transcontinental lève son entente de confidentialité et confirme avoir retenu les services de Denis Coderre en conseil stratégique en ce qui touche l’économie circulaire et les investissements en recyclage de l’entreprise dans l’est de Montréal, indique dans un courriel le vice-président aux communications de l’entreprise, François Taschereau. L’entreprise ne fera pas d’autres commentaires à ce sujet. »

Selon une source proche du dossier, Denis Coderre a notamment conseillé Transcontinental dans le cadre de la consultation publique sur le contrôle des cahiers publicitaires. Cette source a demandé de garder l’anonymat en raison d’une entente de confidentialité.

Mercredi soir, Denis Coderre a défendu son activité de consultant, en marge d’un rassemblement militant survolté. Il a ajouté qu’il se retirerait de toute décision dans laquelle il serait en conflit d’intérêts.

« Quand ça va être le temps, c’est sûr que je vais parler au conseiller en éthique », a dit M. Coderre. « Avec Cogir, s’il y a des dossiers qui touchent Montréal, je vais me retirer. Ça, c’est sûr. […] Pour la question de Transcontinental, écoutez, c’est un dossier qu’on regardera avec le conseiller [en éthique]. » M. Coderre a assuré que ses positions politiques n’avaient « absolument rien à voir » avec l’identité de ses clients.

À une question lui demandant de dévoiler une copie de sa déclaration de revenus officielle, plutôt qu’un tableau récapitulatif comme il l’a fait mercredi, l’ex-maire a opposé une fin de non-recevoir. « On va arrêter là, a-t-il dit. C’est assez. »

Campagne d’influence

Transcontinental tente depuis 2019 de faire campagne auprès de la Ville de Montréal pour éviter qu’elle fasse passer une nouvelle réglementation municipale visant à établir un système « opt-in » pour le Publisac, selon le Registre des lobbyistes.

En vertu d’un tel principe, tous ceux qui voudraient recevoir la publication devraient s’inscrire sur une liste à cet effet. Dans le cas contraire, les résidants ne la recevraient pas.

Actuellement, Transcontinental fait distribuer le Publisac à tous les résidants qui n’ont pas apposé le collant que fournit l’entreprise à ceux qui ne veulent pas le voir à leur porte.

L’administration Plante n’a pas pris de décision finale dans ce dossier, reconnaissant publiquement l’importance de ces sacs pour les journaux locaux qui y sont distribués.

D’autres mandats au Registre des lobbyistes au nom de Transcontinental visent à « orienter les politiques publiques » pour notamment « améliorer le recyclage actuel des ballots de plastique résiduels provenant des centres de tri ».

De nombreux lobbyistes des cabinets National et Ryan Affaires publiques, ainsi que des cadres de l’entreprise, se sont enregistrés pour ces mandats.

Denis Coderre a laissé entendre qu’il n’avait pas eu de mandat sur le Publisac. Transcontinental affirme toutefois que ses conseils touchaient le « recyclage ». Or la difficulté de bien trier son produit – du papier qu’on doit retirer de son sachet de plastique – est justement au cœur des propositions de la Ville pour resserrer sa distribution.

Selon notre source et tous les mandats publiés sur le Registre des lobbyistes, les deux dossiers sont intimement liés.

Pression croissante

Depuis quatre jours, M. Coderre était assailli de questions sur l’identité des clients qui lui ont versé des centaines de milliers de dollars pendant la période où il est devenu consultant dans le secteur privé, entre 2017 et 2021.

Lundi, il faisait valoir que plusieurs de ces contrats étaient confidentiels. Mardi, il a expliqué qu’il dévoilerait l’ensemble de sa liste de clients au conseiller en éthique de la Ville de Montréal, une fois élu, afin d’éviter des conflits d’intérêts.

La Presse a révélé mercredi matin que le candidat à la mairie avait été rémunéré par le géant de l’immobilier Cogir entre 2019 et mars 2021. Le grand patron de l’entreprise a indiqué qu’il avait confié un mandat de « développement international » à l’ex-maire et que le contrat n’était pas couvert par une clause de confidentialité, argument qu’utilisait M. Coderre pour refuser de dévoiler ses cartes.

Mercredi midi, la campagne de M. Coderre a rendu publique la liste de ses clients, incluant Cogir et le Parc Oméga, un zoo de l’Outaouais appartenant à des propriétaires de Cogir.

L’un de ses clients – une « entreprise québécoise », selon le document – demeurait toutefois inconnu. Mercredi soir, Transcontinental a confirmé être ce client mystère.

« Projet Montréal tente d’entacher mon intégrité afin de distraire les électeurs des véritables enjeux sur lesquels ils vont voter : l’état lamentable des finances publiques, l’insécurité grandissante dans nos rues, la congestion qui affecte quotidiennement des milliers de personnes, et tant d’autres », a déclaré M. Coderre, en milieu de journée, dans un communiqué. « Il ne faut pas quitter des yeux les véritables enjeux de cette élection. »

« En mode panique », juge Plante

La mairesse sortante, Valérie Plante, a consacré une grande partie de sa conférence de presse à Denis Coderre, mercredi après-midi, jugeant que ce dernier est « clairement en mode panique » à quatre jours des élections municipales.

En 2017, il blâmait les médias qui lui posaient des questions sur la Formule E. Là, maintenant, c’est moi qui ne suis pas gentille. C’est une campagne. Et M. Coderre est bien au fait qu’il est en perte de vitesse.

Valérie Plante, mairesse sortante de Montréal

Mme Plante a aussi laissé entendre que les liens de son adversaire avec le géant Cogir le décrédibilisent pour parler de logement de densification. « Est-ce qu’il est là pour les promoteurs ou pour les Montréalais ? », a-t-elle lâché, en accusant le chef d’Ensemble Montréal de vouloir « reculer en arrière » en matière d’habitation, avec son règlement « 15-15 » qui supplanterait le « 20-20-20 ».

« Ces données-là ont été fournies sur un bout de papier. Ça a été fait sur le bout d’une table », a aussi déploré la cheffe de Projet Montréal.

Soutenant ultimement que « la transparence n’est pas une valeur extensible », Valérie Plante dit constater de manière générale que « plusieurs Montréalais qui se disaient que Denis Coderre a changé » sont « aujourd’hui déçus » et ne veulent plus rejouer « dans le même film ». « On est à trois jours du vote, et Ensemble Montréal n’a toujours pas déposé son cadre financier. Qu’est-ce qu’ils cachent ? Moi, je n’ai jamais vu ça », a conclu la mairesse à ce sujet.