Près de 35 000 dossiers d’infraction au règlement municipal pourraient être annulés, maintenant que la Ville de Montréal a perdu en Cour d’appel sur la question des délais déraisonnables. Une décision qui pourrait lui ravir 6,8 millions de dollars.

La saga judiciaire opposant la Ville de Montréal à la décision de la juge Line Charest, en 2018, d’arrêter les procédures judiciaires sur un dossier d’infraction au règlement municipal (pour cause de délai déraisonnable) s’est terminée le 17 septembre.

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Résultat : ce sont maintenant 34 577 dossiers d’infraction au code municipal qui pourraient être visés par un arrêt du processus judiciaire, ce qui équivaut à une somme théorique de 6,8 millions de dollars d’amendes, de frais et de contribution à la Société de l’assurance automobile du Québec. En d’autres mots, la Ville de Montréal risque de ne jamais toucher aux montants de ces amendes, puisque le délai de traitement judiciaire est considéré comme déraisonnable.

Rappelons qu’en juillet 2016, la Cour suprême du Canada a statué que les procédures devant une cour provinciale devaient être fixées dans un délai de 18 mois pour respecter la Charte des droits et libertés – une décision mieux connue sous l’appellation d’arrêt Jordan.

« La Ville ne formulera aucun commentaire quant au résultat obtenu en Cour d’appel », a indiqué par courriel Gonzalo Nunez, relationniste pour la Ville de Montréal. Il a toutefois précisé que la somme de 6,8 millions équivalait à près de 4,5 % des montants annuels générés par l’émission de constats d’infraction. De plus, aucune infraction criminelle ne fait partie de ces dossiers.

Des infractions qui touchent les plus vulnérables

Troubler la paix, quêter au coin des rues avec des automobilistes, ne pas avoir de permis de musicien ou de sollicitation dans le métro : ces constats d’infraction touchent souvent des personnes qui vivent des difficultés.

« Je comprends la logique de la Ville de vouloir aller chercher des fonds », explique Bernard Saint-Jacques, directeur général de la clinique Droits Devant, organisme qui accompagne les personnes itinérantes dans leur processus judiciaire, notamment pour les constats d’infraction. « Mais sur le plancher des vaches, une grande partie de ces constats s’adressent à des personnes en situation d’itinérance », remarque-t-il.

Or, si la Ville de Montréal a tenté de s’opposer au jugement de Line Charest pour éviter un précédent, elle finance aussi divers programmes soutenant les gens dans la rue, comme le Programme d’accompagnement justice-itinérance à la cour.

Grâce à celui-ci, des personnes itinérantes en processus de réinsertion sociale peuvent voir leurs constats d’infraction annulés si elles montrent qu’elles reprennent leur vie en main. Il est donc étonnant, selon Bernard Saint-Jacques, de voir que la Ville se battait sur le plan judiciaire pour des constats d’infraction qui seraient possiblement annulés en fin de compte.

« Ce qui est important de retenir de ça, c’est que la remise de contravention est une approche qui est encore très systématique. Et le fait de pouvoir en enlever beaucoup par un arrêt, ça montre l’accumulation et l’emballement du système », estime le directeur général de Droits Devant.

Montréal, roi de la lenteur ?

Montréal traite-t-il plus rapidement les dossiers maintenant ? « Depuis le jugement de décembre 2018, le mode de fonctionnement du traitement des dossiers par défaut [...] a été revu […]. Les délais de traitement des dossiers par défaut débutés depuis lors sont maintenant bien en deçà du seuil ‟Jordan” de 18 mois », a affirmé par courriel Gonzalo Nunez, de la Ville de Montréal.

D’après Bernard Lévy-Soussan, avocat pour le cabinet Ticket911.ca, situé à Montréal, la cour municipale se distingue encore par sa lenteur. « Il y a toujours des problèmes de délais à la Ville de Montréal. J’ai eu des dossiers qui traînaient depuis plus de 33 mois. Donc une personne qui avait eu son constat d’infraction en 2018 n’a eu sa date de cour qu’en 2021 », dénonce-t-il.

Même si la pandémie a entraîné la fermeture de toutes les cours municipales de la province pendant quelques mois en 2020, cette lenteur serait « propre à la Ville de Montréal », selon Me Lévy-Soussan.

« Quand on regarde ailleurs, on n’a pas les mêmes données. La Ville de Laval s’est remise à fonctionner très rapidement. La couronne nord, la couronne sud ont aussi opéré très vite », dit-il.

Un jugement de la cour municipale rendu le 28 mai dernier a cependant exempté la Ville de Montréal de toute faute, en stipulant que « rien n’a été ménagé par tous les intervenants municipaux pour contrer les délais qui se sont accumulés durant la pandémie ».

Pour régler la question, la Ville de Montréal travaille depuis quelques années à mettre en place, à l’instar de l’Ontario, un « régime de sanctions administratives pécuniaires […] qui optimiserait, au bénéfice des citoyens, le traitement [...] de dossiers aujourd’hui judiciarisés », a indiqué M. Nunez.