Il s’appelle le REM de l’Est. Mais, curieusement, depuis l’annonce de ce projet, il y a neuf mois, c’est surtout sur sa portion ouest, dans le centre-ville de Montréal, que les projecteurs ont été braqués. Mais l’est du REM de l’Est fait lui aussi des mécontents et suscite un mouvement d’opposition qui gagne du terrain. Dans ce débat, les gens de l’Est ont l’impression d’être traités en parents pauvres.

« Ma grande crainte depuis le début, c’est que tout le Québec se préoccupe du centre-ville, mais que Hochelaga-Maisonneuve et Tétreaultville soient oubliés », déplore le maire de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais.

Les principales préoccupations des élus et des résidants portent sur la structure aérienne, qui va, selon eux, défigurer la rue Sherbrooke Est et poser des enjeux de sécurité. Au surplus, le Réseau express métropolitain (REM) risque d’entrer en concurrence avec les stations de métro de la ligne verte qu’il va longer. Et derrière tout ça, déplorent-ils, il y a le faible degré de consultation et l’opacité de CDPQ Infra, qui n’a toujours pas rendu publics les documents qui ont dicté son choix d’un tracé aérien au centre-ville et dans la portion est de ce projet de train léger automatisé.

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La rue Sherbrooke Est, où CDPQ Infra prévoit retrancher une voie de circulation dans chaque direction pour ériger, au centre, sa structure aérienne.

« Oui, on en veut du développement, mais pas n’importe comment », lance le député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc.

On dirait qu’on est perçus, à ma grande peine, comme une espèce d’inconvénient. On est sur le chemin, dans le fond.

Alexandre Leduc, député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve

« C’est comme si on ne pensait qu’à une voie, du point A au point B, du centre-ville à Pointe-aux-Trembles. Puis, nous, on est sur le chemin, poursuit-il. C’est à peine si on nous donne quelques stations. »

Solange Picard, qui habite dans un immeuble de la rue Sherbrooke Est depuis plus de 20 ans, est aussi contre le projet dans sa forme actuelle. « Il n’y en a pas qui sont pour, affirme la femme de 82 ans. Non, non, non. Ici, nous sommes 42 condos. Les 42 sont opposés. J’ai vu tout le monde, j’ai parlé à tout le monde. En face, ils sont tous contre aussi. »

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Mathieu Champagne, propriétaire du garage Champagne Atelier mécanique, rue Sherbrooke Est

« Quant à moi, ça ne va servir à rien », ajoute le garagiste Mathieu Champagne, dont le garage se trouve quelques rues plus loin. « Je ne vois pas l’utilité. Il y a le métro et plein d’autobus ici. C’est bien suffisant. C’est insensé, moi, je pense. »

Il faut comprendre que ces réactions proviennent d’un secteur précis de l’est de Montréal, plus densément peuplé, et déjà desservi par le métro : Hochelaga-Maisonneuve, au sud, et Tétreaultville, où se trouve l’emprise de l’autoroute 25. Rue Sherbrooke, entre l’avenue Georges-V et la pointe est de l’île, les enjeux ne sont pas de même nature. D’une part, parce que ce secteur n’est pas desservi par le métro. Et d’autre part, parce que la rue Sherbrooke traverse des zones largement industrielles.

Selon le « projet de référence », le REM de l’Est comptera 25 kilomètres de rails surélevés, reliant le centre-ville (près de la Place Ville Marie) à Pointe-aux-Trembles, en passant notamment par la rue Notre-Dame et la rue Sherbrooke Est. Un tunnel de 7 kilomètres est prévu dans Montréal-Nord.

« La charrue avant les bœufs »

Daniel Chartier, architecte paysagiste à la retraite, est membre du Collectif en environnement Mercier-Est, qui regroupe des citoyens intéressés aux questions entourant l’aménagement urbain. Sur sa chemise, il a épinglé un macaron s’opposant au REM de l’Est. Le Collectif a commandé 1000 macarons, en plus d’une centaine d’affiches destinées à être suspendues aux balcons.

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Daniel Chartier a épinglé un macaron à sa chemise pour manifester son opposition au REM de l’Est.

« On a imprimé des dépliants qu’on n’a pas fini de distribuer dans 12 000 portes. Et ce ne sera pas assez. Il va falloir en réimprimer parce qu’il y a plus de portes que ça dans le quartier », dit M. Chartier, en faisant visiter le secteur à La Presse. « Vous voyez au loin de la rue Sherbrooke, c’est le mont Royal. Il sera caché par le monstre de béton. »

Selon lui, « le REM de l’Est, c’est bon pour le monde qui part de Pointe-aux-Trembles pour aller au centre-ville. Mais on dépense 10 milliards. C’est beaucoup, 10 milliards. Nous, ce qu’on demande, c’est qu’on arrête la course folle du REM et qu’on mandate des experts pour faire une analyse indépendante. Puis, avec ces données-là, tu fais une véritable consultation publique sur le transport collectif dans l’Est. C’est quoi, les besoins ? C’est quoi, les options ? Là, on met la charrue avant les bœufs. »

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Pierre Lessard-Blais, maire de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve

Le maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, se questionne aussi sur l’implantation de la structure aérienne du REM dans le quartier.

Pourquoi on peut le faire en souterrain sur la branche nord et que le souterrain ne peut pas être fait dans la branche est ? On a besoin de preuves.

Pierre Lessard-Blais, maire de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve

« La rue Sherbrooke est une rue qui est déjà très grise, très froide, et qui est dangereuse, surtout autour de la station Honoré-Beaugrand, ajoute l’élu. L’arrivée du REM va couper tous les arbres et amener des enjeux d’insécurité encore plus grands qu’actuellement parce que ça va être un mastodonte. Ça ne sera pas intéressant pour les gens de marcher sur Sherbrooke, où le trottoir fait à peine un mètre. »

Solange Picard se pose les mêmes questions, pour des raisons très concrètes.

« Imaginez-vous, on prévoit que le train va passer entre le 3e et le 4e étage. Moi, j’habite au 2e. Alors, je vais être en dessous des pylônes, comme sous la Métropolitaine, explique-t-elle. Des ingénieurs m’ont dit qu’il faut prévoir une diminution de la valeur de notre immeuble et de nos condos entre 15 % et 30 %. Notre immeuble vaut 18 millions. Enlevez 30 %. Alors, on ne peut pas être pour. »

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Michel Drainville est concierge dans un immeuble de la rue Sherbrooke Est devant lequel on prévoit faire passer la voie surélevée.

« Moi, personnellement, j’espère que ça ne se fera pas, ajoute le concierge de l’immeuble, Michel Drainville. Ça va faire diminuer la valeur de la bâtisse, énormément. »

Des pouvoirs exceptionnels

CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a tenu trois séances de questions/réponses en juin dans le quartier. Après quoi, des groupes de discussion ont eu lieu.

« Le problème, c’est que contrairement à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), où les gens viennent et posent leurs questions, là, tu écrivais tes questions et tu les envoyais, note Daniel Chartier. Eux, ils prenaient les questions et choisissaient celles qu’ils voulaient. Puis, ils les reformulaient. Les questions difficiles, ils ne les posaient pas. »

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Dans l’est de Montréal, le mouvement d’opposition au REM de l’Est prend de l’ampleur.

Le maire Lessard-Blais rappelle que le gouvernement a donné des pouvoirs exceptionnels à la Caisse pour pouvoir « court-circuiter » les processus de planification et de concertation. Et bien qu’il dise comprendre que le gouvernement veuille aller plus vite, il croit que le débat doit avoir lieu. « Surtout quand on compare avec l’exercice de Vancouver, où il y a eu 200 scénarios publics qui ont été étudiés, dit-il. Moi, je n’en ai eu aucun, des scénarios alternatifs pour l’arrondissement. »

À Vancouver, les autorités locales ont opté pour un tunnel plutôt qu’un métro aérien « hideux », selon les termes du ministre des Transports de la Colombie-Britannique, pour le prolongement du Skytrain dans la rue Broadway, au cœur de la ville.

Lisez notre article « Un tunnel plutôt qu’un métro aérien “hideux” »

Dans une entrevue récente avec La Presse, Maud Cohen, présidente du comité d’experts sur l’intégration architecturale et urbaine du REM, a répété qu’aucun segment du tracé ne serait négligé pendant les travaux des prochains mois. Elle a précisé être elle-même résidante d’un quartier de l’est de la métropole.

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Maud Cohen, présidente du comité d’experts sur l’intégration architecturale et urbaine du REM

Je sais que les gens sont très préoccupés par ce qui va se passer sur René-Lévesque et au centre-ville, mais il y a d’autres secteurs de la ville qui sont affectés par ce projet-là, qui vont avoir une infrastructure [aérienne] comme celle-là aussi. Il faut se préoccuper d’eux aussi.

Maud Cohen, présidente du comité d’experts sur l’intégration architecturale et urbaine du REM

« C’est important de ne pas tout mettre à un endroit et de laisser tomber ensuite d’autres secteurs », a-t-elle ajouté.

Le maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve a invité jeudi dernier les 15 membres du comité d’experts sur le REM de l’Est à venir constater sur le terrain les inquiétudes de la population de son arrondissement (140 000 habitants) au sujet de la venue du REM de l’Est. Maud Cohen a confirmé à La Presse avoir bien pris connaissance de cette demande.

En entrevue récente avec La Presse, la ministre déléguée aux Transports et responsable de la Métropole, Chantal Rouleau, s’est dite très consciente des « préoccupations » exprimées par les personnes qui vivront le long du tracé du futur train automatisé. Elle a du même souffle réitéré sa pleine confiance envers le comité d’experts sur l’intégration architecturale.

« Ce que je veux, c’est que ce REM de l’Est se réalise, je veux que ce soit un projet signature, je veux qu’on mette tous les efforts nécessaires pour que ce soit un projet qui va être reconnu comme un très bon projet par la grande majorité des gens », a dit la ministre Rouleau.

CDPQ Infra défend pour sa part ses façons de faire en matière de consultations publiques dans le dossier du REM de l’Est. Une porte-parole du groupe a récemment précisé que les rencontres citoyennes « ont été organisées et tenues conjointement avec la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec » et sont animées par des « facilitateurs indépendants ».

Avec la collaboration de Maxime Bergeron, La Presse