Un vélo fantôme a été installé samedi au coin de l’avenue Christophe-Colomb et de la rue Mistral, dans Villeray, à l’endroit exact où un cycliste de 33 ans, Louis Morency, est mort il y a neuf ans. Il s’agissait du quatorzième mémorial du genre à être érigé à Montréal, afin sensibiliser les élus et la population à l’importance de sécuriser les grandes artères pour les cyclistes et les piétons.

« Après neuf ans, rien n’a changé sur la rue Christophe-Colomb. N’importe quelle personne qui meurt forme un gros trou dans le cœur des autres personnes. Je crois que ce vélo lui revient, parce que personne ne mérite cela », a témoigné la fille du défunt, Jeanne Morency, au cours d’une cérémonie chargée d’émotions.

La jeune femme n’a « aucun souvenir de son père », comme celui-ci est mort alors qu’elle n’avait que 15 mois. Sa grande sœur, Delphine Morency, avait six ans quand son père est mort. « Tu sais papa, on dit souvent qu’il faut attendre que le pire arrive pour que les choses changent. Mais quand le pire est arrivé et que les choses ne changent même pas, je trouve ça scandaleux », a lancé celle-ci au micro.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jeanne, la fille de Louis Morency est réconfortée par sa sœur Delphine lors de l’installation d’un vélo blanc en mémoire de leur père.

« J’aurais accepté ton départ seulement quand, à un âge vénérable, tu te serais mis à l’attendre. Là, ça n’a pas été le cas. Tu n’as pas eu cette chance », a ajouté l’aînée.

Louis Morency était chercheur en chimie pharmaceutique dans un établissement de Laval. Il faisait régulièrement le tracé en vélo entre le bureau et sa résidence, dans Rosemont. « Neuf ans plus tard, je l’entends encore comme si c’était hier. Louis était un épicurien, un homme qui vivait sa vie à 100 miles à l’heure, et qui profitait de chaque instant sans peur », a dit son ami de longue date, Alexandre Larivée.

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J’espère que la sensibilisation des gens aux risques associés à cette intersection puisse sauver une seule personne.

Alexandre Larivée, ami de Louis Morency

Encore beaucoup à faire

Pour la co-porte-parole de l’organisme Vélo fantôme, Shanti Larochelle, la réalité est que le décès de Louis Morency pourrait se reproduire aujourd’hui, car aucun nouvel aménagement n’a été pérennisé sur l’avenue Christophe-Colomb. « Déjà après le décès, un feu cycliste aurait pu être immédiatement installé aux intersections le long de cette piste cyclable afin de la sécuriser. Mais surtout, toutes les grandes artères devraient être dotées de pistes cyclables séparées et unidirectionnelles », a-t-elle soulevé.

« Une piste unidirectionnelle limite en effet grandement les risques, comme on peut le constater avec le REV Saint-Denis », a insisté Mme Larochelle, en déplorant que la voie active sécuritaire (VAS) qui avait été installée sur Christophe-Colomb l’été dernier, dans la foulée de la pandémie, a finalement été retirée « malgré une forte mobilisation » pour la conserver.

Questionnée à ce sujet après la cérémonie, la conseillère à la mobilité au comité exécutif de la Ville de Montréal, Marianne Giguère, a indiqué que l’objectif est toujours de rendre le VAS permanente sur cette artère. « C’est ce qui est prévu. On veut faire comme on a fait pour le REV, donc d’avoir des quais de débarquement pour les autobus qui soient bien faits, sécuritaires et accessibles universellement », a-t-elle dit.

« C’est un projet qu’il faut travailler, qui recoupe trois arrondissements, mais c’est clairement identifié comme prioritaire pour le prochain mandat », a aussi expliqué l’élue, en précisant qu’une telle voie cycliste serait probablement aménagée d’ici 2023. « Le défi est de trouver l’équilibre entre mettre à niveau un réseau qui existe et développer de nouveaux liens. »

C’est le conducteur d’un camion-benne qui avait happé mortellement Louis Morency, le 24 juillet 2012. Selon les données de Vélo fantôme, « les camionneurs sont impliqués dans 38 % des décès cyclistes et dans 32 % des décès piétons à Montréal, bien qu’ils ne soient qu’une fraction du trafic motorisé ». « L’inaction face à cette épidémie est désolante. Les conducteurs de poids lourds ne devraient plus avoir à travailler avec des véhicules qui les rend presque aveugles », a plaidé Shanti Larochelle en marge de l’évènement.

Début juin, la Ville de Montréal avait indiqué qu’elle prévoyait accorder un contrat d’ici la fin de 2021 afin de sécuriser l’intersection Papineau – Saint-Joseph, où un autre cycliste montréalais, Maxime Levesque, a été tué en avril dernier.