Montréal se déconfine et, peu à peu, la vie reprend son cours aux quatre coins de la métropole. Mais la pandémie a laissé des cicatrices dans certains quartiers. Dans le Vieux-Montréal, les évènements violents se sont multipliés au cours des derniers mois, et nombreux sont ceux qui craignent aujourd’hui pour leur sécurité.

Avec la fermeture des bars du centre-ville, le Vieux-Montréal et ses nombreux Airbnb sont devenus le terrain de jeu de criminels, au grand dam des résidants et des commerçants locaux.

C’est du moins la théorie privilégiée par la police pour expliquer la flambée d’évènements violents dans le quartier, a appris La Presse auprès de sources policières et municipales. C’est aussi une explication avancée par la police à ses partenaires, selon nos informations.

Les deux fusillades survenues la fin de semaine dernière ont choqué le quartier, déjà durement affecté par l’absence de touristes internationaux depuis le printemps 2020.

Au-delà des échanges de coups de feu, les résidants du Vieux-Montréal se plaignent d’emblée du bruit causé par le vrombissement des moteurs de voitures de sport rutilantes, jour et nuit.

Cette invasion de Lamborghini, de Ferrari ou de Porsche, qui transforme le quartier en circuit de Formule 1, suscite de la crainte.

« C’était déjà comme ça l’été dernier, ça semble être reparti pareil, constate Florence Girod, qui fait partie des quelque 10 000 résidants du quartier. Le jour, il y a beaucoup de monde dans le quartier, des familles, des jeunes. Le soir, ça change. Ce n’est que des gars de 25 ans en Lamborghini avec des filles en minijupe. »

« On a peur »
  • Copropriétaire du pub Wolf & Workman, rue Saint-Paul, Sean Michael McCaffrey ne cache pas que les évènements violents du week-end dernier le rendent nerveux. « On a peur. Je suis surtout inquiet pour le personnel qui ferme le restaurant. Mais il n’y a pas grand-chose à faire. »

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, LA PRESSE

    Copropriétaire du pub Wolf & Workman, rue Saint-Paul, Sean Michael McCaffrey ne cache pas que les évènements violents du week-end dernier le rendent nerveux. « On a peur. Je suis surtout inquiet pour le personnel qui ferme le restaurant. Mais il n’y a pas grand-chose à faire. »

  • Marlène Loxa, gérante du dépanneur et café Le Petit Dep, constate qu’il y a beaucoup plus de monde dans les rues depuis le déconfinement. « Les gens avaient perdu le goût de se promener, dit-elle. Le Petit Dep a été épargné par les vandales jusqu’ici, mais des commerces voisins ont eu moins de chance. »

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Marlène Loxa, gérante du dépanneur et café Le Petit Dep, constate qu’il y a beaucoup plus de monde dans les rues depuis le déconfinement. « Les gens avaient perdu le goût de se promener, dit-elle. Le Petit Dep a été épargné par les vandales jusqu’ici, mais des commerces voisins ont eu moins de chance. »

  • Guylaine Rodrigue travaille à la galerie d’art Corno par Beauchamp, rue Saint-Paul. « On n’aime pas ça », laisse-t-elle tomber, en parlant des « tirs et des règlements de comptes de gangs de rue ». « J’ai quand même une certaine crainte quand je pars d’ici le samedi soir. Je trouve qu’il n’y a pas tant de présence policière. »

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Guylaine Rodrigue travaille à la galerie d’art Corno par Beauchamp, rue Saint-Paul. « On n’aime pas ça », laisse-t-elle tomber, en parlant des « tirs et des règlements de comptes de gangs de rue ». « J’ai quand même une certaine crainte quand je pars d’ici le samedi soir. Je trouve qu’il n’y a pas tant de présence policière. »

  • Frédérick Lafetière, serveur au restaurant Crêperie Chez Suzette, rue Saint-Paul, estime que « Montréal se traîne les pattes un peu » dans le dossier des actes de violence. La Ville pourrait limiter la consommation d’alcool dans le Vieux-Montréal après 20 h, avance-t-il.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Frédérick Lafetière, serveur au restaurant Crêperie Chez Suzette, rue Saint-Paul, estime que « Montréal se traîne les pattes un peu » dans le dossier des actes de violence. La Ville pourrait limiter la consommation d’alcool dans le Vieux-Montréal après 20 h, avance-t-il.

  • Gino Marinaccio, propriétaire de Cibo & Vino, rue de la Commune, attend le retour des touristes avec impatience. En ce qui a trait aux débordements, le restaurateur pense que les choses vont rentrer dans l’ordre quand les bars pourront rouvrir. « On n’a jamais eu ça ici avant. C’était un endroit sécuritaire. »

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Gino Marinaccio, propriétaire de Cibo & Vino, rue de la Commune, attend le retour des touristes avec impatience. En ce qui a trait aux débordements, le restaurateur pense que les choses vont rentrer dans l’ordre quand les bars pourront rouvrir. « On n’a jamais eu ça ici avant. C’était un endroit sécuritaire. »

  • Inquiète ? « Pas du tout », répond Rana Kerbage (à droite). « Je suis libanaise, j’ai vécu pire ! On est dans un endroit où les gens se respectent. Ce n’est pas la fin du monde. » Sa sœur Roula habite dans le quartier avec son mari et ses enfants. « Les week-ends, à partir de midi, il y a trop de monde », déplore-t-elle.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Inquiète ? « Pas du tout », répond Rana Kerbage (à droite). « Je suis libanaise, j’ai vécu pire ! On est dans un endroit où les gens se respectent. Ce n’est pas la fin du monde. » Sa sœur Roula habite dans le quartier avec son mari et ses enfants. « Les week-ends, à partir de midi, il y a trop de monde », déplore-t-elle.

1/6
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Victime de son succès

Les évènements récents font oublier que le Vieux-Montréal se porte bien.

« Nous, on a bâti le Vieux-Montréal depuis une dizaine d’années, clame Mario Lafrance, directeur général de la Société de développement commercial (SDC) du Vieux-Montréal. On a redonné un caractère attirant au quartier, c’est pour ça que les commerces sont là. Depuis l’année dernière, on a au moins une quinzaine, peut-être 20 nouveaux commerces dans le Vieux. »

On a amélioré le quartier et là, on paye pour. Le Vieux-Montréal étant, pour moi, le vaisseau amiral de Montréal, sur le plan national et international, il faut faire attention. Les évènements m’ont permis de dire cette semaine : wô ! il faut faire quelque chose.

Mario Lafrance, directeur général de la Société de développement commercial du Vieux-Montréal

Cette situation, croit M. Lafrance, pourrait se résorber avec une intervention policière plus musclée et l’arrivée en grand nombre des touristes.

Pour Louise Pelletier, qui habite dans le quartier depuis 30 ans, « la crainte, c’est qu’une nouvelle clientèle est en train de s’installer dans le Vieux-Montréal. Quand vous allez sur la place Jacques-Cartier, après 23 h, c’est un autre public complètement ». « On se sent moins en sécurité. Et ce qui est un peu déconcertant, c’est qu’il y a une grande présence policière. On le voit, on le sent. En même temps, c’est comme si les policiers avaient les mains liées », dit-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Louise Pelletier, résidante du Vieux-Montréal depuis 30 ans

Les accrochages de la fin de semaine dernière sont loin d’être les premiers de la série noire. Par exemple, un homme que la police considère comme un membre du clan sicilien de la mafia, Nicola Spagnolo, est actuellement accusé d’avoir poignardé un client d’un restaurant du quartier le 2 août 2020.

En décembre, les policiers du SPVM ont découvert une arme de poing sous une voiture garée dans le secteur. Et dans la soirée du 13 septembre, une fusillade entre des policiers et un individu a fait quatre blessés, près des Terrasses Bonsecours, dans le Vieux-Port.

« Plus de présence policière »

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a refusé notre demande d’entrevue. Dans une longue déclaration transmise par courriel, le corps de police a dit « observer une diminution de la fréquentation du centre-ville » depuis le début de la pandémie, suivie d’un retour des visiteurs depuis les annonces de déconfinement.

Dans les derniers mois, nos agents ont eu à intervenir à plusieurs reprises pour des rassemblements privés dans les Airbnb. Dans le contexte de pandémie, c’est un endroit qui est devenu populaire, avec la fermeture des espaces commerciaux.

Déclaration transmise par courriel du Service de police de la Ville de Montréal

Publiquement, le SPVM refuse toutefois de tracer une ligne directe avec les incidents violents. Son service des communications souligne même que les crimes contre la personne et la propriété ont diminué de façon importante dans le secteur en 2020.

Mais les élus estiment qu’il y a réellement un problème.

« Mon message, c’est qu’il y aura plus de présence policière », a affirmé jeudi la mairesse Valérie Plante, après l’annonce d’un couvre-feu de minuit à 6 h annoncé par le Vieux-Port voisin. « Le fait d’avoir plus d’effectifs policiers va contribuer à apaiser les esprits, quand il y en a qui s’échauffent. »

La veille, son opposant à la mairie de Montréal Denis Coderre avait semblé blâmer la formation politique de la mairesse, Projet Montréal, qui a flirté au printemps avec l’idée de désarmer et de définancer la police. L’administration « est à la merci de sa base militante », a dénoncé l’ex-maire.

Robert Beaudry, qui représente les citoyens du Vieux-Montréal au conseil municipal, attribue la recrudescence d’évènements violents à trois facteurs : une foule moins dense que d’habitude à cause de la pandémie, le déplacement dans le quartier de membres de gangs de rue, et la location d’appartements sur la plateforme Airbnb qui, en l’absence des touristes internationaux, accueillent « des groupes plus criminalisés ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Robert Beaudry, qui représente les citoyens du Vieux-Montréal au conseil municipal

« Nous, ce qu’on souhaite, c’est que ces sites-là [Airbnb], une fois identifiés, soient dénoncés pour que le gouvernement du Québec puisse les faire fermer », explique l’élu.

Les Airbnb dans la ligne de mire

En effet, les touristes qui ont déserté le Vieux-Montréal ont aussi laissé derrière eux de grands appartements à louer sur Airbnb. Si la majorité des utilisateurs de la plateforme n’ont rien à se reprocher – sauf d’utiliser un service de location à court terme interdit à cet endroit –, elle est aussi utilisée par des individus peu recommandables.

« Même si les Airbnb sont interdits, il y a quand même énormément de locations à court terme qui se font dans le quartier, observe Guylaine Caron, présidente de l’Association des résidants du Vieux-Montréal. Ça génère souvent des occupations bruyantes, quand ce n’est pas pire que ça. »

Lundi dernier, c’est justement dans un espace loué sur Airbnb, rue Saint-Antoine, que le SPVM a envoyé son groupe d’intervention tactique, dans la foulée d’une fusillade. Une dizaine d’individus s’y trouvaient ; six ont été arrêtés. L’affaire pourrait être reliée à des gangs de rue, selon la police et la Ville.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Rue Saint-Antoine, lundi dernier, où le Service de police de la Ville de Montréal a envoyé son groupe d’intervention tactique, dans la foulée d’une fusillade

Un tel évènement reste évidemment exceptionnel, mais pas les fêtes bruyantes qui se multiplient dans les derniers mois, selon des résidants du Vieux-Montréal.

Marc*, qui habite le quartier depuis trois ans, compose depuis plusieurs mois avec des voisins « fantômes » qui louent « très souvent, pour ne pas dire toutes les fins de semaine », à des fêtards. Il a demandé l’anonymat, car il a déjà été victime de représailles par le passé, après avoir pris la parole à ce sujet.

« [Les fêtards] ont fait du vandalisme à partir du toit, en lançant des objets du quatrième étage et en urinant sur des voitures […] la police est venue », a-t-il déploré, en parlant d’une soirée d’octobre 2020 qui a particulièrement dégénéré.

« Je ne sais jamais qui est à côté de chez moi, a-t-il ajouté. J’ai pensé déménager. »

Par écrit, Airbnb a simplement rappelé que ses règlements interdisent maintenant les fêtes rassemblant plus de 16 personnes ainsi que les rassemblements qui causent des nuisances.

Avec la collaboration de Daniel Renaud et d’Isabelle Ducas, La Presse

À lire demain : La misère d’autochtones laissés pour compte dans Milton-Parc