Trois mois après avoir claqué la porte du projet de Réseau express métropolitain (REM) aérien au centre-ville, les architectes du projet seront remplacés par la firme Lemay, étroitement liée à la Caisse de dépôt sur le plan financier, a appris La Presse.

Lemay devra se frotter à la conception des structures aériennes le long du boulevard René-Lévesque, un immense contrat auquel ses compétiteurs ont renoncé par crainte d’être associés à l’enlaidissement du centre-ville.

C’est l’architecte français Jean-Paul Viguier, qui a signé de nombreux projets d’envergure en Europe, qui agira comme « expert international » sur le projet.

CDPQ Infra, le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal l’annonceront ce mardi, en confirmant que le dernier kilomètre du projet, avant le cégep Marie-Victorin, à Montréal-Nord, sera finalement souterrain. C’est Radio-Canada qui a d’abord rapporté cette information, lundi.

« Contrairement au centre-ville […], dans Montréal-Nord, on peut maintenir le tunnel à une bonne profondeur sans avoir à rencontrer d’infrastructures enfouies problématiques », a expliqué en ondes une porte-parole de CDPQ Infra.

Des liens étroits

Car au centre-ville, la filiale de la Caisse de dépôt n’en démord pas : le REM sera aérien ou ne sera pas.

C’est cette position inflexible qui a coûté à CDPQ Infra ses architectes l’hiver dernier. Selon Le Journal de Montréal, les firmes Daoust Lestage et STGM ne voulaient pas risquer leur réputation pour un contrat, aussi lucratif soit-il.

Ce mardi, CDPQ Infra annoncera que c’est Lemay, l’un des plus gros cabinets d’architectes au pays, qui prend le relais de cette tâche. La firme n’a pas répondu aux messages de La Presse. Selon nos informations, elle n’aura pas de lien contractuel direct avec le donneur d’ouvrage, mais deviendra plutôt un sous-traitant du consortium d’ingénieurs AECOM-Systra, qui planche sur le REM de l’Est.

Au fil des années, la Caisse de dépôt a fait des investissements importants dans la société : 6 millions en 2014 pour acheter quatre compétiteurs, une somme non révélée en 2017 pour l’acquisition d’un cabinet albertain et 8,7 millions l’an dernier pour « poursuivre son plan de croissance ».

La proximité ne s’arrête pas là : Lemay a participé à la conception du siège social de la Caisse de dépôt au centre-ville de Montréal, a conçu ses locaux destinés à servir d’interface avec les PME, l’Espace CDPQ, et est cité comme premier concepteur des stations du REM de l’Ouest.

En outre, un ancien associé chez Lemay, Marc Choquette, a récemment été embauché comme « directeur, architecture et intégration urbaine », chez CDPQ Infra, selon son profil virtuel.

Tout processus qu’on fait est très robuste, très intègre, très rigoureux. On s’assure vraiment de procéder dans les règles de l’art. On ne fait aucun compromis sur ça.

Jean-Vincent Lacroix, porte-parole de CDPQ Infra

Dans la conférence de presse prévue pour ce mardi, la Ville de Montréal, CDPQ Infra et le gouvernement du Québec annonceront aussi la nomination d’un comité d’experts indépendants chargés de commenter le travail des architectes du REM.

Ils ont recruté l’architecte Jean-Paul Viguier pour mener les travaux du comité. Ce « starchitecte » a notamment signé les sièges sociaux des plus grandes sociétés françaises, en plus de participer à l’immense projet ferroviaire de Grand Paris Express, qui partage des caractéristiques avec le REM. Il prône une « conception favorisant un ancrage dans la culture des lieux », a-t-il expliqué en 2017.

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L’architecte Jean-Paul Viguier agira comme « expert international » sur le REM.

Monique Simard, ex-patronne de la SODEC, fera aussi partie du groupe d’experts. « Je ne suis pas autorisée à vous parler de ça », a-t-elle indiqué lundi soir au bout du fil. Christian Savard, de l’organisme Vivre en ville, participera également aux travaux.

Héritage Montréal a été invitée à participer au comité, mais a refusé. « Le mandat qu’on nous a présenté prenait pour acquis le tracé aérien du REM au centre-ville, ce que nous trouvons irrecevable, peu importe la décoration des piliers, a indiqué le porte-parole Dinu Bumbaru. L’attitude ouvertement rigide de CDPQ Infra jette aussi un doute sérieux sur l’utilité de cet exercice et ce comité. »

Pas de train-tram

Par ailleurs, une solution apparemment mitoyenne pour le parcours du REM au centre-ville a été écartée par le grand patron de CDPQ Infra, la semaine dernière. Jean-Marc Arbaud a levé le nez sur la possibilité d’un REM qui se transformerait en tramway de surface une fois rendu au centre-ville de Montréal. Cette option avait été évoquée par l’ex-chef de Projet Montréal Richard Bergeron.

« Qu’on le veuille ou non, ça impacte la vitesse », a dit M. Arbaud, au cours d’une conférence organisée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). « On l’a regardé avec des études d’achalandage et l’achalandage s’effondre, ça fait des temps d’accès de quasiment une heure (ou plus d’une heure) pour se rendre au centre-ville. »

La lenteur des tramways — qui doivent croiser des rues et s’arrêter fréquemment — aurait un impact majeur sur la capacité de CDPQ Infra de faire rouler des trains toutes les 2 minutes sur la partie « REM » du projet, a indiqué M. Arbaud.