Insultes dans le métro, commentaires accusateurs liés au virus, propos discriminatoires sur les réseaux sociaux, commerçants boudés dans le Quartier chinois : ils étaient un peu plus de 3000 manifestants à prendre la rue dimanche pour dénoncer les actes à caractère raciste envers la communauté asiatique, en hausse au pays depuis le début de la pandémie.

À l’angle des rues de la Montagne et Saint-Antoine, à deux pas du Centre Bell, des lettres rouges sur un bloc de ciment donnaient le ton. « China lied, people died », pouvait-on lire.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Bloc de ciment à l’angle des rues de la Montagne et Saint-Antoine sur lequel on peut lire « China lied, people died »

Le graffiti inquiète la jeune Nhu Pham Tran, Québécoise d’origine vietnamienne, qui y voit une énième manifestation de l’intolérance qui règne depuis un an. À la station de métro Sherbrooke, quelques mois auparavant, trois hommes l’ont interpellée. « La pandémie, c’est de ta faute », « As-tu ramené le virus ici ? », lui ont-ils dit. Malgré aucun geste violent de la part des individus, elle est rentrée chez elle secouée.

À ce climat teinté de peur se greffe le drame d’Atlanta, qui a fait huit morts, dont six femmes asiatiques. La tuerie survenue dans trois salons de massage a bouleversé nombre de Québécoises d’origine asiatique.

Laetitia Vu n’a que 21 ans, mais elle a reçu son lot de commentaires « douteux » liés à ses origines, certains à connotation sexuelle. « On n’en parle pas assez, c’est vraiment tabou. On attache vraiment aux femmes asiatiques l’image de la femme soumise. On se fait approcher avec des intentions », explique la femme de 21 ans.

Les assassinats d’Atlanta ont suscité chez elle beaucoup d’émotions.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Laetitia Vu

La violence de ces actes est le résultat d’un problème qui est beaucoup plus large : le fait qu’on choisisse d’ignorer ce racisme de tous les jours et qu’on le laisse s’envenimer.

Laetitia Vu

« Quand on parle d’expériences racistes, les gens nous disent que ce sont des compliments », s’étonne-t-elle.

La Presse rapportait au début du mois que le nombre d’actes racistes et de crimes haineux envers les Québécois d’origine asiatique rapportés au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait quintuplé depuis le début de la pandémie.

Même les gens de la communauté épargnés par les incidents racistes ont des craintes. « Je vois passer des commentaires sur les réseaux sociaux, où il règne un racisme décomplexé. Je sens un climat de peur et de stress qui est réel », a confié Haru Greco-Liu, de Longueuil.

Le racisme anti-asiatique existait bien avant la pandémie, estime-t-il. « Ça va de gens qui me surnomment Chinatown à un voisin qui était carrément raciste et méchant à mon égard. »

Manifester pour dénoncer

Les slogans ont commencé à retentir vers 13 h au square Cabot, où environ 1000 personnes s’étaient rassemblées dimanche pour dénoncer le racisme anti-asiatique. En fin d’après-midi, ils étaient 3000.

« STOP ASIAN HATE », « Non à la fétichisation des femmes asiatiques » et « Fini les insultes », pouvait-on lire sur les nombreux cartons tenus à bout de bras.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Les slogans ont commencé à retentir vers 13 h au square Cabot, où environ 1000 personnes s’étaient rassemblées dimanche pour dénoncer le racisme anti-asiatique. En fin d’après-midi, ils étaient 3000.

Les discours émouvants montraient du doigt les incidents violents, mais aussi un quotidien truffé de racisme « ordinaire » et les stéréotypes hyper sexualisés rattachés aux femmes asiatiques. « C’est ce fétichisme qui a tué ces personnes à Atlanta », a scandé une jeune femme d’origine coréenne au micro.

À 16 h, la foule s’est immobilisée en hommage aux victimes d’Atlanta, dans un silence percé par quelques murmures. Certains s’étaient donné le mot et ont déposé au sol des bouquets de fleurs blanches.

D’autres mesures à venir

Le ministre de la Lutte contre le racisme, Benoît Charette, était présent pour soutenir la communauté asiatique. En entrevue avec La Presse, il a admis que le racisme anti-asiatique a proliféré.

« Il y a un lien maladroit et inadéquat qui est fait avec la pandémie et on offre notre support à la communauté. »

Un manifestant l’a interrompu d’un ton agressif et abrupt, plaidant qu’il était hypocrite qu’il soit présent alors que le gouvernement Legault refuse d’admettre la présence de racisme systémique au Québec.

Le ministre a vite répliqué.

Ce n’est pas un discours acceptable qu’on est en mesure de reprendre. Le débat du racisme est à ce point important qu’il ne faut pas créer de la division.

Benoît Charette, ministre de la Lutte contre le racisme

Par contre, son gouvernement a fait des gestes concrets depuis le début de son mandat, a-t-il estimé.

Au sujet de mesures claires, rapides et spécifiques pour y remédier, le ministre a assuré qu’une « campagne sociétale de sensibilisation » était en cours et sera lancée d’ici l’automne. « Depuis ma nomination, on rencontre les leaders de chaque communauté pour établir un contact et voir comment on peut mieux répondre à ces attaques, informer les gens des recours qu’ils ont. »

Pour Bochra Manaï, commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal, le racisme est systémique, a-t-elle dit sans toutefois commenter les propos du ministre.

« Que ce soit une insulte, du vandalisme, des commentaires haineux sur les réseaux sociaux, n’hésitez jamais à prendre des photos ou des captures d’écran et le dénoncer auprès des policiers. J’insiste : vous pouvez faire confiance au SPVM si vous êtes victimes d’actes haineux. »

La conseillère municipale Cathy Wong considérait la marche de dimanche comme « un devoir d’histoire », car le racisme anti-asiatique ne date pas d’hier. « Nous nous tenons encore debout », a-t-elle dit à la foule.