On ne cesse de répéter depuis quelques mois que Valérie Plante est devenue contrôlante, que toutes les décisions doivent passer par sa garde rapprochée, qu’il est difficile pour les élus de faire avancer leurs dossiers.

Mais qu’en était-il de Denis Coderre lorsqu’il était maire ? Cette question me turlupine depuis quelques semaines. Je voulais des réponses, j’en ai eu.

Avant d’aller plus loin, je dois préciser que ça n’a pas été facile de délier les langues. J’ai essuyé de nombreux refus. La plupart des anciens collègues de Denis Coderre qui ont accepté de me parler ont requis l’anonymat. Ils n’ont pas du tout envie d’avoir maille à partir avec l’ex-maire. Toutes les personnes qui m’ont parlé avaient travaillé de près avec lui lors de son mandat comme maire, entre 2013 et 2017.

Bref, une dizaine d’entrevues plus tard, je peux vous dire que ce n’était pas de tout repos que de travailler aux côtés de l’ancien premier magistrat de Montréal. Il prenait de la place, beaucoup de place. On avait intérêt à marcher dans ses traces, sinon on avait parfois droit à ses foudres.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE


Denis Coderre en juin 2017

Dans l’ensemble, on s’entend pour dire que Denis Coderre est un travailleur acharné et qu’il a été un homme « intègre » lorsqu’il a été maire de Montréal.

Mais on m’a aussi parlé de son côté tranchant et autoritaire, de son égocentrisme, de sa façon « one man show » de présenter les choses quand venait le temps de se mettre en valeur. « En conférence de presse, il n’y avait que lui qui pouvait parler », m’a dit une source.

Denis Coderre était parfois dur avec son entourage. Quand un dossier n’avançait pas assez vite à son goût, la personne qui en était responsable se le faisait dire vertement, parfois devant d’autres collègues.

Aucun dossier en développement n’échappait à cet hyperactif. « Il se mêlait de tout, il était archicontrôlant », m’a dit une autre source.

Réal Ménard, qui a longuement travaillé avec Denis Coderre, reconnaît qu’il avait un côté « exigeant » et un « franc-parler ». « Je le lui ai déjà dit, mais en même temps, c’est un homme d’une grande loyauté. Il n’a pas peur d’aller au front pour son équipe et de défendre son monde. »

De son côté, Karine Boivin-Roy, conseillère pour Ensemble Montréal dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, voit en lui un homme « solide » qui ne craint pas d’« assumer ses décisions ». « Je ne peux pas dire qu’il était contrôlant. Quand on est maire, on doit souvent trancher. »

Dans les mois qui ont précédé les élections de novembre 2017, des proches ont remarqué que Denis Coderre vivait une grande tension, un stress constant. « Je pense que vers la fin, il a perdu contact avec la réalité, m’a confié un proche collaborateur. Il a eu du mal à décoder ce qui se passait lors de la campagne électorale. »

Denis Coderre ne cesse de répéter qu’il est un homme nouveau. Son entraînement à la boxe, sa perte de poids, le travail d’introspection qu’il dit avoir fait, tout cela ferait de lui quelqu’un de différent.

A-t-il changé, comme il l’affirme ? Certains anciens collaborateurs ont hâte de le savoir.

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Il est intéressant de voir que ce que m’ont décrit les ex-collègues de Denis Coderre est en tout point similaire à ce que l’on reproche depuis quelques mois à Valérie Plante.

Ironiquement, cet autoritarisme unit ces deux adversaires, qui, dans les mois qui ont précédé les élections de novembre 2017, étaient comme chien et chat. Mais si les électeurs montréalais ont voté pour Valérie Plante, c’était entre autres pour se débarrasser de l’attitude complaisante qu’avait Denis Coderre.

Souvenez-vous du fameux « There is a new sheriff in town » qu’il avait balancé lors d’une conférence de presse en compagnie de Philippe Couillard.

Deux maires, deux formes de contrôle, deux sexes…

Denis Coderre a compris la chose il y a longtemps. Valérie Plante l’a découverte récemment. La clé, en politique, c’est le contrôle du message.

Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, le leader devient souvent l’ultime messager.

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Depuis des mois, les observateurs se demandent de quelle façon Denis Coderre effectuera son retour. Se présentera-t-il comme indépendant, ou se greffera-t-il à un nouveau parti ?

Il semble assuré qu’il ne reviendra pas sur la scène municipale avec la base de son ancien parti. Il y a une explication très claire à ce sujet, et c’est la dette que traîne Ensemble Montréal.

S’élevant actuellement à 300 000 $, selon Thomas Marchand, porte-parole d’Ensemble Montréal, elle serait un boulet pour Denis Coderre. Cette dette est par ailleurs un objet de frustration pour certains élus d’Ensemble Montréal.

Selon plusieurs sources, des élus d’Ensemble Montréal en veulent à Denis Coderre d’avoir laissé le parti dans cet état en 2017 et de n’avoir rien fait au cours des trois dernières années pour redresser la situation. Ce contexte n’empêche pas Denis Coderre de tendre des perches à certains membres du parti afin de voir s’il peut compter sur leur appui dans le cas d’un éventuel retour, m’a-t-on dit.

Plusieurs ont été déçus de voir Denis Coderre soutenir certaines causes caritatives ces dernières années (il est devenu ambassadeur pour la Fondation de l’Hôpital général juif en mai 2018) tout en réalisant qu’il ne faisait rien pour aider son ancien parti.

La situation financière d’Ensemble Montréal est devenue à ce point critique que certains élus renoncent à utiliser la petite allocation offerte par le parti pour le bon fonctionnement de leur bureau.

« Attention, je n’[attribuerais] pas toute la dette du parti à Denis Coderre », a tenu à me dire un ancien collègue qui continue d’avoir une réelle admiration pour celui qu’il qualifie de « grand passionné de politique et du service public ». « Cette dette est la responsabilité de tous les membres du parti. »

Au fait, où est le shérif en ce moment ? Lui, si friand des médias, continue de refuser les demandes d’entrevue.

On a ignoré mes demandes répétées des derniers jours. Denis Coderre préfère s’en remettre aux réseaux sociaux.

Il y a quelques jours, sur Twitter, il a défendu l’idée d’un partenariat entre Montréal et Toronto pour accueillir éventuellement les Jeux olympiques. L’ancien maire rêve déjà d’un TGV entre Montréal et Toronto. Il souhaite aussi que l’on conserve l’entente avec la FIFA pour la tenue de quelques matchs de la Coupe du monde à Montréal en 2026, même si cela coûtera une fortune aux Montréalais.

Ça sent la Coupe. Mais aussi un retour en politique, vous ne trouvez pas ?

Le shérif a-t-il vraiment changé ? On le saura quand il sera de nouveau en ville. En attendant, il continue de faire passer quelques messages. Et de les contrôler.

Un mariage de courte durée

C’est un départ difficile pour le nouveau parti Ralliement pour Montréal. Le mariage qu’il venait de célébrer avec Félix-Antoine Joli-Cœur, candidat à la mairie, a été dissous.

L’annonce a été faite mercredi en catimini. Dans un bref communiqué, la présidente du parti, Jane Underhill, a dit que cette séparation était liée à des « divergences au niveau de la vision et du fonctionnement du parti ».

En coulisses, on me dit que le « style de leadership » de Félix-Antoine Joli-Cœur ne cadrait pas avec l’approche que le parti désire adopter. De part et d’autre, on s’est rapidement rendu compte que la mayonnaise ne montait pas.

Félix-Antoine Joli-Cœur ne renonce toutefois pas à l’idée de briguer la mairie. Une annonce doit être faite dans ce sens très bientôt.

Quant à Ralliement pour Montréal, je ne serais pas surpris de voir Marc-Antoine Desjardins, qui assure pour le moment l’intérim, devenir le candidat désigné par le parti.

Ce revirement de situation est très étrange. Lorsqu’un nouveau parti s’associe à un candidat, il doit d’abord régler ces choses. Il me semble que c’est la base. Cette association a-t-elle été créée dans l’empressement et l’improvisation ? Tout semble indiquer que oui.