La nouvelle escouade Quiétude, créée à la fin de 2019 par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour s’attaquer aux armes en circulation dans la métropole, a arrêté 74 % de personnes noires au cours de ses quatre premiers mois d’existence. Et moins de 30 % des accusations portées contre elles concernaient des infractions reliées aux armes à feu.

Ce sont les conclusions d’une étude de Ted Rutland, professeur au département de géographie, d’urbanisme et d’environnement à l’Université Concordia, qui sera dévoilée jeudi en conférence de presse, et que La Presse a obtenue. Et c’est ce qui pousse l’universitaire à tirer une conclusion lapidaire : « L’escouade Quiétude n’est pas une escouade anti-armes. C’est une escouade anti-Noirs. »

En février dernier, inquiet de la création de cette nouvelle escouade qui compte une vingtaine d’enquêteurs, Ted Rutland a demandé à la Commission de la sécurité publique d’exiger un bilan du SPVM, qui aurait montré l’origine raciale des personnes arrêtées par la nouvelle escouade. Sa demande s’est soldée par un refus.

Il a alors demandé, par l’entremise de la Loi sur l’accès à l’information, d’obtenir les numéros de dossiers des 31 personnes arrêtées par l’escouade entre décembre 2019 et avril 2020. Par divers moyens, il a ensuite déterminé l’origine raciale de l’ensemble de ces prévenus. Résultat : 74 % d’entre eux sont noirs, 19,4 % sont blancs et 6,5 % sont des personnes racisées, mais non noires.

« Les Noirs sont 42 fois plus susceptibles d’être arrêtés et accusés par l’escouade anti-armes à feu que les Blancs », en conclut M. Rutland. La majorité des cibles de l’escouade anti-armes à feu sont situées dans le nord-est de la ville, notamment à Montréal-Nord.

Et une fois arrêtées, ces personnes sont accusées d’infractions qui n’ont souvent rien à voir avec la possession d’une arme. Un peu plus de 30 % seulement sont accusées pour des infractions liées à des armes à feu. Plus de la moitié (54 %) sont accusées de possession de drogues. Les autres prévenus sont accusés en rapport avec des crimes violents (dans moins de 2 % des cas) ou non violents (dans 13 % des cas). Et ces pourcentages sont encore plus marqués lorsqu’on parle seulement des personnes racisées : moins de 30 % des accusations sont liées aux armes à feu dans leur cas, contre plus de 40 % pour les Blancs.

Des histoires troublantes

En prenant contact avec certaines de ces personnes arrêtées, Ted Rutland a également recueilli des histoires qu’il juge troublantes. « Une personne de Montréal-Nord rapporte que la police l’a arrêtée dans sa voiture, l’a bombardée de questions sur le trafic de drogue et les armes, puis s’est présentée à son domicile, a fouillé les lieux et l’a arrêtée pour possession de drogue. »

« Bref, l’escouade Quiétude n’est pas une vraie réponse à de vrais problèmes, qui existent bel et bien, estime M. Rutland. Il faut sortir du paradigme qui veut que la police et la prison soient la solution à ce type de problème. »

La vraie solution, c’est de s’attaquer au problème de marginalisation et d’embaucher des travailleurs de rue pour faire de la prévention et de la médiation.

Ted Rutland, professeur au département de géographie, d’urbanisme et d’environnement à l’Université Concordia

La hausse des infractions impliquant des armes à feu est effectivement indéniable dans certains quartiers comme Montréal-Nord : elles sont passées de 12 en 2018 à 18 en 2019, puis à 29 en 2020, selon des données qui nous ont été fournies par le poste de quartier 39. À l’échelle de l’île de Montréal, le nombre de crimes contre la personne est aussi clairement à la hausse. En 2015, on recensait 19 000 crimes contre la personne, contre 23 000 en 2019, une hausse de près de 22 %.

Une enquête publiée samedi dans nos pages montrait l’ampleur du problème des armes dans le secteur nord-est de Montréal-Nord. La Presse a recueilli les témoignages de multiples résidants et intervenants œuvrant dans le quartier, qui estiment qu’une « escalade de violence » a été observée au cours de la dernière année dans le secteur.

Biais systémiques

La création de ce type d’escouades spécialisées, estime M. Rutland, est en réalité une réponse du SPVM aux critiques sur le racisme systémique : « On cible certains types de crimes, mais en réalité, ce qu’on cible, ce sont les personnes racisées. » Et pour lui, l’escouade Quiétude ne fait pas exception : on l’a lancée à l’automne 2019, au moment où le SPVM était de plus en plus critiqué sur les questions de profilage racial, rappelle-t-il.

En octobre 2019, une étude menée par des chercheurs indépendants montrait en effet que les Noirs, les autochtones et les jeunes Arabes sont victimes de biais systémiques reliés à l’appartenance raciale par les policiers du SPVM. Le quart des interpellations effectuées par les policiers concernaient des personnes noires, alors qu’elles représentent moins de 10 % de la population montréalaise. Les jeunes Arabes avaient quant à eux quatre fois plus de risques d’être interpellés dans l’île que les jeunes Blancs. La situation était encore plus préoccupante chez les femmes autochtones, qui couraient 11 fois plus de risques d’être interpellées que les femmes blanches.