La chute est brutale pour l’ancien roi des égouts. La Presse a pu confirmer que le comité exécutif de la Ville de Montréal votera ce mercredi pour son inscription sur la liste noire des contrats publics montréalais, en raison d’un déversement clandestin de boues contaminées sur des terres agricoles. En parallèle, des dizaines d’organismes publics et privés remettent en question leurs liens d’affaires avec son entreprise.

L’automne dernier, une équipe de La Presse avait suivi à plusieurs reprises un semi-remorque qui venait chercher les boues contaminées chez Beauregard Environnement, à Saint-Jérôme. Cette entreprise avait connu une croissance phénoménale en quelques années.

Les boues provenaient notamment du nettoyage des puisards et du récurage des égouts pluviaux à Montréal. On peut y retrouver de l’essence, de l’huile à moteur, du sel de déglaçage, des résidus de traitement antirouille, des emballages de toutes sortes et des déchets.

Selon les contrats signés avec la Ville de Montréal et ses arrondissements, les sédiments étaient censés être envoyés dans un site d’élimination accrédité en Ontario. En réalité, le camion les déversait en secret sur une terre agricole de Mirabel.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les sédiments étaient déversés en secret sur une terre agricole de Mirabel, comme l’a révélé le travail de notre photographe.

« Des processus inacceptables qu’on doit bannir »

Le Bureau de l’inspecteur général (BIG) avait mené enquête et publié un rapport dévastateur sur ce stratagème au printemps. Ses équipes ont démontré que le manège durait depuis des années. L’entreprise facturait aussi certains nettoyages sans faire le travail et omettait de procéder à certains tests pour lesquels elle était payée. L’inspectrice Brigitte Bishop parlait de « manœuvres frauduleuses ».

« Montréal a mis en place le BIG, ce qui est une bonne chose. Il y a des enquêtes, il y a beaucoup de choses qui retroussent, et ça lève le voile sur des processus inacceptables qu’on doit bannir, comme on le fait en ce moment », a confirmé à La Presse le responsable de l’environnement au comité exécutif, Jean-François Parenteau.

Sur papier, la dirigeante de Beauregard Environnement se nomme Dany Fréchette. Mais le BIG a découvert que l’entreprise est plutôt contrôlée par son conjoint Michel Chalifoux, ce que d’anciens employés ont confirmé à La Presse.

D’anciennes entreprises exploitées par M. Chalifoux ont été jugées coupables d’exploitation illégale d’un centre de transbordement de boues de fosses septiques, de rejets de contaminants dans l’environnement et de participation à un cartel de truquage d’appels d’offres. Sa nouvelle entreprise était pourtant très vite devenue un acteur dominant de l’industrie grâce à ses tarifs imbattables.

Longue liste de clients

L’inspectrice générale a déjà ordonné la résiliation des contrats de l’entreprise, d’une valeur de plus de 4 millions de dollars. Ce mercredi, le comité exécutif ira plus loin et votera pour exclure M. Chalifoux et son entreprise de tout contrat municipal à Montréal pour une période de trois ans. L’agriculteur Pascal Pesant, qui acceptait de transporter jusque sur sa terre les boues souillées, sera quant à lui banni pour cinq ans.

Beauregard Environnement avait tenté sans succès de contester le rapport du BIG devant la Cour supérieure. Dans sa requête déposée au tribunal, l’entreprise explique être prise dans une tempête de remises en question de contrats, de suspension ou d’annulations pures et simples depuis la publication du rapport.

Elle affirme que le Canadien National, le Canadien Pacifique, Ivanhoé Cambridge, des haltes routières et des associations de lacs ont mis fin à leurs contrats, alors que plusieurs autres organisations se posent des questions sur leur continuité.

La très longue liste des clients présentée en cour montre à quel point l’entreprise avait réussi à dominer le marché en quelques années.

« En sachant qu’on ne va pas s’occuper des boues de façon conforme, on peut s’essayer dans un appel d’offres à plus bas prix et avoir un avantage sur ceux qui font les choses comme il faut », souligne Jean-François Parenteau.

« J’espère que le message va passer chez les entreprises, dit-il. Ne prenez pas de risques, vous allez vous faire prendre. »