Le gouvernement du Québec a ordonné une enquête publique afin d’« éclaircir les causes et les circonstances » de la mort de Joyce Echaquan, a annoncé Geneviève Guilbault samedi après-midi alors que des milliers de manifestants ont rempli la place Émilie-Gamelin à Montréal. Choqués par la mort de Joyce Echaquan et excédés par l’inertie des gouvernements fédéral et provincial par rapport au racisme subi par les communautés autochtones, ils demandent du changement.

« À la suite du décès tragique de Mme Joyce Echaquan, qui a secoué tout le Québec, j’ai demandé au bureau du coroner d’ordonner la tenue d’une enquête publique afin d’en éclaircir les causes et les circonstances. Nous devons tout faire pour éviter que de tels drames se reproduisent », a précisé la ministre de la Sécurité publique sur son compte Twitter.

La mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de 37 ans, sous les injures dégradantes et racistes de deux employées de l’hôpital de Joliette a provoqué une onde de choc au Québec.

Dénoncer le racisme envers les autochtones ne suffit plus, a plaidé l’imposante foule de manifestants présente au parc Émilie-Gamelin à Montréal vers 13 h. Il faut agir. Quelques jours plus tard, la fureur est tout aussi profonde et l’indignation reste vive.

Sur plusieurs pancartes, dans la cacophonie des slogans qui réclament justice pour Joyce, on peut lire : « J’ai honte. » La honte se lit aussi sur les visages masqués. Des familles et des groupes d’amis se tiennent à bonne distance, sourcils froncés et regards consternés.

Du changement réclamé

  • La chanteuse Elisapie Isaac s’est exprimée lors de la manifestation à Montréal, samedi.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    La chanteuse Elisapie Isaac s’est exprimée lors de la manifestation à Montréal, samedi.

  • Des manifestants ont dénoncé le racisme systémique lors de la manifestation à Montréal, samedi.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Des manifestants ont dénoncé le racisme systémique lors de la manifestation à Montréal, samedi.

  • La mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de 37 ans, sous les injures dégradantes et racistes de deux employées de l’hôpital de Joliette a provoqué une onde de choc au Québec.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    La mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de 37 ans, sous les injures dégradantes et racistes de deux employées de l’hôpital de Joliette a provoqué une onde de choc au Québec.

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« Le racisme systémique, nous, les autochtones, on connaît ça. […] Mais aucune action concrète n’a été faite pour réellement stopper le racisme », s’époumone Marie-Ève Bordeleau, commissaire aux Affaires autochtones de Montréal, au bord des larmes. Des cris de colère retentissent parmi la foule après son discours.

Joyce Echaquan ne sera pas morte en vain, espèrent des manifestants. Désormais, « on va arrêter de se mettre la tête dans le sable », juge Johanne Marcotte, travailleuse du réseau de la santé. Les propos des deux employées de l’hôpital diffusés lundi dans la vidéo sont épouvantables, ajoute-t-elle. Elle a déjà entendu des commentaires de ce type durant sa carrière.

En l’espace de quelques secondes, on entend dans cette vidéo filmée par Joyce tous les préjugés que les gens ont envers les autochtones. Il est vraiment temps de parler de racisme systémique au Québec et ça presse.

Johanne Marcotte, travailleuse du réseau de la santé

Nathalie Lavoie et Soleil Renaud ne cachaient pas leur tristesse en évoquant la mort de Joyce Echaquan. Mais les deux enseignantes sont également indignées et s’attendent à du changement. « Ça passe par l’éducation. On est toujours très surprises qu’au Québec les programmes dans les écoles ne fassent pas une plus grande place à l’histoire des peuples autochtones. C’est le premier pas pour une ouverture réelle sans racisme ni préjugés. Le manque de sensibilité, on le voit dans tous les systèmes », analyse Mme Lavoie.

Accompagnée de sa petite-fille, Elena Tapia dénonce avec vigueur le manque d’action concrète de tous les paliers gouvernementaux. « Toutes les promesses sont sans suivi. Si tu es autochtone, tu es invisible. Il faut que ça cesse », s’insurge-t-elle, exhibant avec fierté un immense drapeau coloré représentant le peuple autochtone sud-américain aymara, dont elle est issue.

Ça fait des décennies que je vis au Canada. J’ai vécu à Winnipeg, puis à Montréal. Partout, on montre aux autochtones qu’ils ne comptent pas. Le ton est haineux et les commentaires remplis de préjugés.

Elena Tapia

Le rassemblement s’est transformé en marche vers 14 h 15. Les manifestants suivis des policiers ont longé le boulevard René-Lévesque, pour ensuite s’arrêter au Quartier des spectacles.

Joyce Echaquan, une mère de famille atikamekw de 37 ans, s’est filmée en direct de sa civière à l’hôpital de Joliette avant de mourir lundi dernier. Elle poussait alors des cris de détresse, alors que deux membres du personnel de l’hôpital l’insultaient.

Le lendemain, une enquête du coroner et une enquête interne du CISSS de Lanaudière étaient lancées. La famille de Mme Echaquan, qui laisse dans le deuil sept enfants, a entamé des procédures judiciaires. Les deux travailleuses de l’hôpital ont été congédiées et le traitement réservé à la défunte dénoncé unanimement par la sphère politique.

Un système qui perdure

La Dre Pascale Breault, présente à la marche de samedi, est la médecin de famille de 550 Atikamekw de Manawan.

Ce qu’elle a vu et entendu dans la vidéo diffusée par Joyce Echaquan l’a ébranlée.

Soudain, elle a revu des dizaines de visages et s’est remémoré de nombreuses discussions avec des patients, dit-elle. Plusieurs Atikamekw de Manawan lui ont demandé dans le passé de ne pas être envoyés à Joliette, de peur d’être dénigrés par le personnel soignant.

La professionnelle de la santé se remet beaucoup en question depuis lundi.

Je fais aussi partie du système. Il m’est arrivé d’avoir un témoignage et de tenter de rationaliser ce qui s’était passé. De dire qu’il s’agissait d’un malentendu, que l’infirmière ou la préposée était probablement débordée et qu’elle n’avait pas voulu les blesser.

La Dre Pascale Breault

Désormais, elle se fera un devoir d’écouter et d’arrêter d’imposer sa propre narration aux histoires. Pour une fois, la violence que les communautés autochtones subissent depuis vraiment longtemps, on la partage. Il y a une fenêtre pour la voir, dit-elle.

« J’espère qu’on en retirera quelque chose de réparateur. L’histoire de Joyce, ça fait en sorte qu’on ne peut plus mettre ça sous le tapis. »