Les inspecteurs des aliments de la Ville de Montréal ont été occupés tout l’été à épingler des délinquants du poisson fumé, produit posant des risques dont consommateurs et commerçants ne sont pas toujours conscients, selon le service municipal.

Maquereau, saumon, aiglefin : neuf rappels de produits ont été faits en trois mois au Québec, une concentration de rappels jamais vue dans les dernières années, selon une compilation de La Presse. Tous les rappels sauf un concernaient le territoire montréalais.

Chaque fois, les inspecteurs s’inquiétaient parce que les produits auraient pu entraîner des intoxications extrêmement graves, voire mortelles.

Le retour à la mode des produits alimentaires artisanaux et la méconnaissance des risques d’intoxication posés par les produits de la mer fumés ont contribué à cette augmentation, selon Myrta Mantzavrakos, patronne de l’inspection des aliments à la Ville de Montréal.

« Il y en a plus dans les derniers temps », a-t-elle signalé en entrevue téléphonique. Lorsqu’on mange du poisson fumé, « on mange du poisson cru » dont les éventuels parasites n’ont pas pu être tués par la cuisson, et le produit est donc classé comme étant « à risque » par le service. « Tu peux t’improviser pour faire des hot-dogs et des frites », mais pas pour faire du poisson fumé, a continué Mme Mantzavrakos.

  • Darnes de saumon fumé commercialisées par l’épicerie Krazy Kris

    PHOTO FOURNIE PAR LE MAPAQ

    Darnes de saumon fumé commercialisées par l’épicerie Krazy Kris

  • Mousse de truite fumée de National Herring Co.

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    Mousse de truite fumée de National Herring Co.

  • Filets d’aiglefin fumés produits et commercialisés par la Poissonnerie Sherbrooke

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    Filets d’aiglefin fumés produits et commercialisés par la Poissonnerie Sherbrooke

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« Au Québec, la consommation du poisson est de plus en plus populaire. Et on sait que la mode de l’artisanal revient, donc on voit dans nos commerces beaucoup plus de produits » de ce type.

Problèmes répandus

Deux types d’intoxications graves inquiètent les inspecteurs des aliments lorsqu’il est question de poisson fumé : la listériose et le botulisme. Les deux peuvent être mortelles, particulièrement chez les individus plus vulnérables comme les enfants et les personnes âgées.

Les produits de la mer fumés ne subissent aucun traitement susceptible d’éliminer la contamination bactérienne. La fumée, c’est vraiment pour le goût, mais il n’y a pas vraiment d’effet bactérien documenté.

Ismail Fliss, directeur du département des sciences des aliments de l’Université Laval

Le sel peut aider à contrôler la bactérie responsable du botulisme, mais les efforts de réduction de la quantité de sel dans les produits alimentaires, ces dernières années, ont poussé les fabricants à en diminuer la quantité dans leurs recettes.

La listeria, quant à elle, peut se retrouver dans le poisson frais utilisé par les transformateurs. Les règles doivent être respectées à la lettre pour bloquer sa multiplication.

Les neuf rappels faits cet été visent surtout des produits qui ont été emballés ou entreposés de manière non sécuritaire. Un poisson fumé doit être vendu soit congelé, soit décongelé, mais dans un emballage spécialisé, perméable à l’air. Un emballage imperméable à l’air permettrait à des bactéries néfastes de proliférer.

C’est pour cette raison que la Poissonnerie Sherbrooke, dans l’ouest de Montréal, a dû rappeler et jeter six produits fumés différents, au début de juillet. « C’était l’emballage, le problème, a dit Marc Céré. Les inspecteurs viennent régulièrement. Ils font leur job, ils n’ont pas le choix. »

Des poissons fumés vendus à l’Épicerie Butterblume, sur le boulevard Saint-Laurent, chez Lester’s Deli, rue Bernard, au Marché Mokolo, chemin Queen-Mary, à la Boulangerie Vova, sur le boulevard LaSalle, et à la Fruiterie Krazy Kris, sur l’avenue Van Horne, ont aussi fait l’objet de rappels.

Julie Romano, copropriétaire du Butterblume, a indiqué à La Presse que son commerce vendait des pavés de son saumon fumé à l’érable depuis quelques années jusqu’à la visite d’inspecteurs municipaux, cet été. « C’était la première fois depuis l’ouverture de l’épicerie, en 2017, a-t-elle dit. Il n’y a personne qui est revenu, qui a été malade ou quoi que ce soit, mais il y avait une faute sur le plan de l’emballage. »

Les poissons utilisés pour fabriquer le poisson fumé contiennent souvent déjà la bactérie responsable de la listériose, mais à très petite concentration. Ce sont les conditions dans lesquelles ils sont préparés et emballés, puis entreposés qui doivent limiter sa propagation.

Usine insalubre

Par ailleurs, deux rappels visent des produits de poisson fumé de la National Herring Co., entreprise du secteur Anjou qui vend ses produits sous les marques « La Boucanerie » et « ADAR » dans la plupart des supermarchés québécois.

En juillet, La Presse a révélé le contenu de documents internes du service d’inspection des aliments de la Ville de Montréal qui décrivaient des conditions de production déplorables dans l’usine de la National Herring Co. : la saleté y était omniprésente, notamment les moisissures et les crottes de rongeurs.

Des inspectrices avaient rapporté avoir constaté la présence d’« équipements malpropres en contact direct ou indirect avec les aliments », d’« eau souillée tombant sur des barquettes » destinées aux aliments, de « beaucoup de moisissures » et d’une « matière beige et gluante » sur un contenant de poissons.

L’entreprise avait dû effectuer cinq rappels de produits en 12 mois, entre le printemps 2019 et le printemps 2020, de crainte que ceux-ci ne donnent la listériose aux consommateurs.

Cet été, c’est la tartinade de truite « La Boucanerie » qui est tombée sous le couperet de l’inspection des aliments. Des maquereaux fumés entiers, vendus sous la marque « ADAR » à l’état refrigéré, ont aussi été rappelés.

La National Herring Co. a récemment acquis une usine plus moderne avec laquelle elle espère tourner la page sur ses problèmes d’innocuité alimentaire. Elle tombera sous le coup de la réglementation fédérale, jugée plus sévère.

Vigilance de mise

Même avec un poisson fumé produit puis emballé dans des conditions optimales, les consommateurs doivent tout de même prendre garde à la façon dont ils l’utilisent, a souligné Myrta Mantzavrakos, de l’inspection des aliments à la Ville de Montréal. Il faut suivre à la lettre les instructions inscrites sur l’emballage et percer des ouvertures dans un emballage de poisson fumé congelé avant de le faire décongeler, puis consommer rapidement le produit.