L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui chapeaute et finance les services de transports collectifs dans la région de Montréal, a demandé aux sociétés de transport de Montréal, de Laval, de Longueuil et des banlieues (exo) d’effectuer des compressions budgétaires qui pourraient totaliser 400 millions sur trois ans afin de rééquilibrer les finances mises à mal par la COVID-19.

En plus de compressions budgétaires totalisant 152 millions sur trois ans, les quatre sociétés de transport relevant de l’ARTM devront assumer des coûts de systèmes ou des coûts de nettoyage directement liés à la COVID-19, qui ne seront pas remboursés par l’ARTM ou le programme d’aide de 400 millions annoncé le mois dernier par Québec.

De plus, l’ensemble de ces compressions, a confirmé l’ARTM, devront s’effectuer à même les budgets courants des sociétés, parce que l’ARTM a interdit d’utiliser leurs surplus pour les éponger. La Société de transport de Montréal (STM) et la Société de transport de Laval (STL) contestent vivement cette exigence.

Réductions de dépenses (2020-2022)

STM : 114,1 millions
Exo : 15,1 millions
RTL : 14,3 millions
STL : 8,9 millions
Total : 152,4 millions

Ces compressions budgétaires s’ajoutent aux « frais de système », comme l’augmentation des salaires prévue aux conventions collectives, et d’autres coûts d’équipements ou de nettoyage directement liés à la pandémie.

Tous ces coûts devront donc aussi être « absorbés » à même les budgets courants des trois prochaines années par la STM, la STL, le Réseau de transport de Longueuil (RTL) et le réseau exo.

Selon un document interne de l’ARTM, que La Presse a obtenu, l’« effort global » demandé par l’ARTM aux quatre sociétés de transport s’élèverait alors, au total, à… 399 millions.

Effort global demandé* (2020-2022)

STM : 276,2 millions
STL : 28,0 millions
RTL 29,6 millions
Exo : 65,3 millions
Total 399,1 millions

*Inclut les coûts de système (hausses de salaire conventionnées, etc.) et les coûts des mesures sanitaires (nettoyage des voitures, désinfectant, etc.) devant être assumés par les sociétés de transport.

Refus net

En entrevue avec La Presse, lundi, des dirigeants de la STM et de la STL ont affirmé, lors d’entretiens distincts, qu’il « n’est absolument pas question d’aller dans cette direction », qui mènerait à des mises à pied importantes et à des réductions de services.

Ces deux sociétés de transport ont proposé à l’ARTM de financer les réductions de dépenses exigées en utilisant des surplus accumulés. L’ARTM a rejeté ces propositions et a demandé un nouveau plan de compressions, conforme à ses exigences et à celles de Québec, pour accéder à l’aide d’urgence annoncée.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La chute de fréquentation du métro, des autobus et des trains lors du confinement a entraîné une importante baisse de revenus des sociétés de transport.

« Les discussions se poursuivent de manière constructive et le dossier évolue, a fait savoir l’ARTM, lundi, en réponse aux questions de La Presse. L’ARTM a établi des paramètres et le gouvernement du Québec a aussi posé des conditions dans son programme d’aide. »

« Nous poursuivons plusieurs objectifs, ajoute l’ARTM. Avoir accès à l’aide gouvernementale, garder sous contrôle les contributions municipales, ne pas augmenter le fardeau des usagers, limiter les impacts sur le service. On cherche une approche cohérente et équitable à l’échelle de la région. »

« C'est aberrant »

« La commande finale qu’on nous demande, affirme le directeur général de la STM, Luc Tremblay, c’est 276 millions. C’est tout simplement aberrant. L’ARTM nous demande de contribuer en réduisant les dépenses de 114 millions en raison de la perte d’achalandage. »

« Deuxièmement, on nous dit d’absorber les coûts liés à la pandémie comme les produits désinfectants, le lavage quotidien des voitures et des autobus. Pour la STM, c’est 24 millions sur trois ans. Troisièmement, l’ARTM nous demande de geler les budgets des années 2021 et 2022 au niveau de 2020. Le problème, c’est que nous avons des conventions collectives avec nos 10 000 employés qui ont des augmentations de salaire prévues, ce qui ajoute environ 138 millions en coûts directs qu’on devrait absorber.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Tremblay, directeur général de la STM

On ne peut pas régler tous les enjeux budgétaires liés à la pandémie de COVID-19 en coupant dans notre budget d’exploitation. C’est impossible : on a des clauses de garantie de non-mises à pied qui couvrent environ 95 % de nos employés. Et puis, on ne veut juste pas aller là. Il faudrait réduire les services de façon significative.

Luc Tremblay, directeur général de la STM

La STL refuse de réduire ses services

Son homologue de la STL, Guy Picard, est tout aussi catégorique. La STL a déjà mis à pied temporairement 25 de ses chauffeurs et assure actuellement 95 % des services qui étaient offerts avant la pandémie. Mais selon lui, il n’est pas question d’effectuer une tranche de coupes supplémentaires exigées par l’ARTM pour 2021 et 2022, qui se traduirait, assure-t-il, par une dégradation des services, aggravée par la pandémie.

Si on suit à la lettre les exigences imposées par l’ARTM, soit qu’on coupe dans les services d’une manière où on va mettre la sécurité des usagers en jeu, soit on coupe dans les coûts d’entreprise d’une façon qui va mettre en danger la pérennité de la STL.

Guy Picard, directeur général de la STL

« Il n’y a aucune de ces avenues-là qu’on va poursuivre, ajoute-t-il. Si on n’est pas capables d’utiliser les surplus budgétaires passés, on ne peut juste pas faire ce que nous demande l’ARTM. »

Selon le président de la STL, Éric Morasse, une réduction globale de 10 % des services de bus se traduirait dans les faits par une réduction de 25 % de la capacité d’accueil durant les périodes de pointe, et par un entassement des passagers qui va à l’encontre des mesures sanitaires de base pour prévenir la propagation du coronavirus.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Autobus de la STL

« Au lieu d’avoir 500 passagers par jour qui montent dans un autobus où il y a déjà 40 personnes, dit M. Morasse, on en aurait environ 14 000. »

Des pertes de 960 millions

Les demandes de compressions budgétaires de l’ARTM s’inscrivent dans un exercice budgétaire plus large qui vise à rééquilibrer l’ensemble du financement des transports collectifs mis à mal par la COVID-19.

L’effondrement quasi complet de l’achalandage des réseaux, en mars et en avril derniers, et la lente reprise de la fréquentation depuis mai vont se traduire d’ici la fin de 2020 par une perte de revenus en provenance des usagers d’environ 467 millions, pour 2020 seulement. Sur une période de trois ans, d’ici à ce que l’achalandage revienne à son niveau d’avant la COVID-19, l’ARTM estime que les revenus tarifaires qui servent à financer les activités des transports en commun accuseront un manque à gagner de 740 millions en 2022.

« L’impact pour les usagers sera mineur, a assuré l’ARTM dans un courriel à La Presse, et le niveau de services, de manière générale, va demeurer comparable à celui qui avait cours en 2019. D’autres dispositifs peuvent permettre d’atteindre les cibles : report de projets, gels d’embauche, réductions de dépenses diverses. »

Un choc financier, une lente reprise

Le graphique résume à lui seul la chute des revenus tarifaires causée par la COVID-19, et le retour graduel de la clientèle d’ici 2022, tel que prévu par l’ARTM. Depuis 2012, l’achalandage des réseaux d’autobus, de trains et de métro de la région de Montréal s'approchait peu à peu de 600 millions de déplacements par année. Conséquemment, les revenus auraient dû frôler 1 milliard cette année. Mais ce double élan a été stoppé par la pandémie. Résultat : les revenus tarifaires ne devraient pas dépasser 501,5 millions en 2020. Selon l’ARTM, le nombre de clients de la STM, du RTL, de la STL et d’exo repartira à la hausse l’an prochain, atteignant 76 % de l’achalandage constaté avant la pandémie, en 2019. Un retour au sommet de fréquentation est prévu pour 2022. Sur l’ensemble de la période 2020-2022, l’ARTM prévoit ainsi un manque à gagner de 740 millions, en revenus tarifaires seulement, par rapport aux revenus anticipés. Ces prévisions sont conditionnelles à deux facteurs que l’ARTM ne peut contrôler : l’introduction d’un vaccin au milieu de 2021 qui ferait grimper l’achalandage et l’absence d’une deuxième vague nécessitant un nouveau confinement.

Source : ARTM