Un projet de commerce adjacent à une usine de bière artisanale liée au maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, est critiqué par des résidants du secteur, qui s’inquiètent de l’indépendance du processus

À titre d’homme d’affaires au sein de la Brasserie L’Espace public, le maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, a récemment ouvert une usine de bière artisanale dans un édifice industriel de son arrondissement. Avec ses partenaires, il prévoit d’y ajouter un service de restauration, un salon de dégustation, un comptoir de vente et une terrasse estivale, ce qui exige l’approbation des élus. En dépit de son retrait systématique des discussions sur le dossier, des citoyens du voisinage croient que « les dés sont pipés ».

« Même si le maire ne vote pas, tout le monde sait qu’il a un intérêt dans le dossier, et ça, ça influence les autres élus et les fonctionnaires », croit Gino Cormier, qui habite dans un complexe de condos situé juste en face de la microbrasserie, sur la rue Letourneux, au sud du Parc olympique.

M. Cormier ne décolère pas depuis le dépôt du projet au conseil d’arrondissement, l’automne dernier. Au-delà des questions éthiques, il estime que la quiétude du quartier est en péril. Et la mise sur pied d’un comité de bon voisinage par le promoteur n’apaise en rien son mécontentement, ni celui de sa conjointe Nathalie Côté, ni celui des autres propriétaires de condos qu’il représente.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lessard-Blais, maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve

Pour Mme Côté, le comité de bon voisinage n’est que de la poudre aux yeux. « C’est nous qui subirons les nuisances et c’est nous qui devrons trouver des solutions. Ben voyons donc ! », laisse-t-elle tomber.

Ouverture du registre

Chose certaine, M. Cormier et Mme Côté entendent bien faire valoir leur désaccord lors de l’éventuelle tenue d’un registre. Si le nombre d’opposants est suffisant, l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve devra tenir un référendum, à moins de choisir d’abandonner le projet.

L’enjeu ne concerne pas l’usine qui est déjà en production depuis le 30 juin dernier, mais la dérogation aux règles de zonage pour les activités commerciales.

Avec la pandémie de COVID-19, le gouvernement du Québec avait d’abord demandé l’annulation ou le report de toutes les consultations dans le monde municipal pour éviter la propagation de la maladie. Puis, le processus a été modifié afin de permettre aux citoyens de se prononcer sur les projets d’urbanisme, comme celui de L’Espace public. Plutôt que de le faire en personne, la population pourra signer le registre par voie électronique pendant une période de deux semaines. Les dates et les modalités restent à déterminer.

Mais on ne se fait pas d’illusions. Les dés sont pipés. Un registre en plein été, c’est la meilleure façon d’étouffer la voix du monde. Ma seule consolation, c’est que les gens en place ne restent jamais en place. Les élus changent.

Gino Cormier, qui habite dans un complexe de condos situé juste en face de la microbrasserie, sur la rue Letourneux

Deux projets brassicoles

Si le projet est accepté, le salon de dégustation limitera la consommation d’alcool aux bières produites sur place. Il sera situé, tout comme la terrasse, à l’arrière du bâtiment. Pour y accéder, les clients devront passer par la ruelle où un aménagement est annoncé (éclairage et verdissement pour assurer la sécurité). La fermeture est prévue à 23 h.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Si le projet est accepté, le salon de dégustation limitera la consommation d’alcool aux bières produites sur place. Il sera situé, tout comme la terrasse, à l’arrière du bâtiment.

Un projet semblable, mené par la Brasserie Balboa deux kilomètres plus à l’ouest, dans le même quartier, ne rencontre pas de résistance dans la population. L’ancien atelier de mécanique automobile accueille une usine brassicole avec un objectif de 300 000 litres par année (comme L’Espace public), un salon de dégustation, un magasin et une terrasse.

« La cohabitation entre les résidants et les secteurs industriels pose toujours des défis. […] Mais on considère que cette activité va amener une meilleure animation de quartier », affirme le conseiller municipal du district d’Hochelaga, Éric Alan Caldwell.

Un local rêvé

C’est M. Caldwell qui a été envoyé au front pour défendre L’Espace public puisque le maire Lessard-Blais refuse toute demande d’entrevue afin, explique-t-on à son cabinet, de ne pas s’immiscer dans le dossier. « Le processus se fait à l’abri de toute interférence », soutient M. Caldwell. « Les quatre élus, des deux couleurs politiques, et le Comité consultatif d’urbanisme ont décidé que c’était, de leur avis, un bon projet. On prend la décision sur cette base. »

On a respecté de façon intégrale l’ensemble des dispositions éthiques pour le cheminement de ce dossier-là et c’était important que ce soit ainsi.

Éric Alan Caldwell, conseiller municipal du district d’Hochelaga

Lorsque le projet s’est retrouvé entre les mains de l’administration municipale, le maire Lessard-Blais a obtenu un avis du commissaire à l’éthique de Montréal pour s’assurer de ne pas déroger aux règles et éviter un conflit d’intérêts. L’avis est confidentiel, mais le maire déclare publiquement son intérêt chaque fois qu’il est question du projet ; ce fut le cas lors de la dernière assemblée du conseil d’arrondissement lundi dernier.

Selon le Registre des entreprises du Québec, Pierre Lessard-Blais siège au conseil d’administration de la Brasserie L’Espace public. Il n’occupe plus de fonction de dirigeant. La société compte quatre autres associés. La présidence est occupée par Frank Privé.

Ce dernier parle du projet de la rue Letourneux avec enthousiasme, mais il est vraisemblablement ébranlé par « le dialogue qui semble impossible avec le noyau dur des opposants ». « Ce local est un rêve. On rapatrie la production de nos bières qu’on avait confiée il y a cinq ans à un sous-traitant. En plus, on a une cour intérieure entre deux bâtiments industriels, ce qui nous permet d’être discrets », indique M. Privé.

Malgré cela, il constate que L’Espace public fait les frais de « la grogne contre la Ville ». « On est devenu la cible parce qu’il y a une accumulation de frustration causée par les chantiers des deux dernières années dans la rue et la circulation automobile qui est devenue difficile », explique Frank Privé.