(Montréal) Des casseurs ont tenté de faire de l’ombre à la grande manifestation pacifique tenue dimanche soir à Montréal. Si les commerçants ont ramassé les dégâts et que l’enquête se poursuit pour retrouver les malfaiteurs, le message clamé par les manifestants, lui, continue de résonner.

Dorothy Rhau, directrice générale de l’organisme Audace au féminin, n’a pas du tout envie d’accorder une miette d’importance aux casseurs qui ne cherchent qu’un prétexte pour faire du grabuge.

« Je ne veux pas que ces gens-là viennent entacher le message de cette manifestation qui veut rappeler aux gens que le racisme existe ; que la brutalité policière ne doit plus se faire ; qu’on demande à nos élus de mettre des lois en place contre le profilage racial », a commenté Mme Rhau, dont l’organisme a pour mission d’aider à l’émancipation et à l’autonomisation sociale et économique de la femme noire.

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« Je salue le courage des gens qui se sont déplacés dans cette pandémie où l’on commence à peine le déconfinement. Je suis impressionnée de voir autant de gens et je suis sûre que si ce n’était pas en temps de crise on aurait doublé ou triplé le nombre de personnes », souligne celle qui n’a pas pu elle-même y assister alors que se tenait au cours du week-end son Salon international de la femme noire en mode virtuel.

Pour Dorothy Rhau, le mouvement antiracisme « Black Lives Matter », relancé vigoureusement depuis la mort de George Floyd, cet Afro-Américain tué lors d’une intervention policière au Minnesota, touche tout autant la communauté noire du Québec et du Canada.

« Au-delà des actes médiatisés, il y a tous ceux et celles qui vivent le profilage racial quotidiennement, note-t-elle. Comme on dit en bon québécois, on est écœuré ! »

Solidarité chez Steve’s

De nombreux commerces du centre-ville ont subi les foudres de quelques personnes mal intentionnées, mais Steve’s Music Store est sans doute l’un de ceux qui ont souffert du plus de dommages. Chez cette institution si chère aux musiciens, on déplore les méfaits, mais on regrette surtout de faire de l’ombre aux manifestants.

« On est heureux que le monde pense à nous, mais ça enlève de la visibilité à une manifestation qui était noble, qui aurait dû avoir un impact différent sur notre ville », regrette Lenny Lanteigne responsable du département des percussions à la boutique.

« Malheureusement, ça laisse un œil au beurre noir à cette manifestation-là », décrit-il en qualifiant de « catastrophique » la situation de la brutalité policière, du racisme et du profilage racial que dénonçaient les manifestants.

En ce qui concerne le bilan des dégâts chez Steve’s, on parle d’« un petit ouragan dans le magasin ». De nombreuses guitares et autres équipements ont été volés et brisés. Une scène qui brise le cœur pour un musicien, confie M. Lanteigne qui se rassure de savoir que personne n’a été blessé.

Évènement pacifique

Dimanche, la manifestation avait débuté pacifiquement, en fin d’après-midi, à proximité du quartier général du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Plusieurs milliers de personnes ont marché pour dénoncer la violence raciste et l’impunité policière, dans la foulée de la mort de George Floyd, cet Afro-Américain tué lors d’une intervention policière, lundi dernier, à Minneapolis, au Minnesota.

L’évènement se voulait non seulement une démonstration de solidarité avec la mobilisation au sud de la frontière, mais aussi l’occasion de décrier les violences vécues ici même, au Québec et ailleurs au Canada.

Le cofondateur du forum social Hoodstock, Will Prosper, qui faisait partie de l’organisation de la marche, a affirmé n’avoir jamais vu un aussi grand mouvement pour la cause antiraciste au Québec.

« Pour que les gens sortent en période de coronavirus pour venir donner ce message-là, c’est parce qu’on ne tolérera plus ça ici », a observé dimanche l’ex-policier devenu militant et documentariste.

Sur Twitter, le SPVM a reconnu que tout se déroulait « dans le respect et dans l’ordre » jusqu’à l’arrivée des casseurs.

C’est au retour des manifestants à leur point de rencontre qu’ils ont buté sur deux barrages policiers qui bloquaient l’accès au quartier général du SPVM, sur la rue Saint-Urbain, ce qui a donné lieu à des face-à-face tendus avec des agents en tenue antiémeute. La Sûreté du Québec était également présente.

L’ordre de dispersion est venu peu après 20 hsur Twitter et la situation a rapidement dégénéré. Selon le SPVM, l’ordre a dû être donné parce que des casseurs avaient commis « des actes criminels ».

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Des gaz lacrymogènes ont été utilisés sur le parterre du Quartier des spectacles d’abord, où des casseurs ont tiré des projectiles dans la direction des policiers et saccagé des immeubles ainsi que des chantiers de construction environnants.

Les policiers ont mis plusieurs heures à dégager le secteur, employant à répétition des gaz lacrymogènes. Plusieurs vitrines de commerces ont été fracassées sur la rue Sainte-Catherine.

D’après le bilan du SPVM, 11 personnes ont été arrêtées, soit neuf pour introduction par effraction, une pour agression armée et une pour méfaits.