La Ville de Montréal ne parvient pas à convaincre les marchands et les clients de l’utilité de son plan estival de réaménagement des rues et des trottoirs.

Une tournée effectuée par La Presse, sans avoir de valeur scientifique, permet de constater un réel niveau d’irritation.

Les détaillants et les clients se plaignent de ne pas avoir été consultés et soupçonnent même l’administration Plante de profiter de la pandémie pour faire avancer son plan de ville verte, en réduisant les voies carrossables et les places de stationnement.

Le responsable de l’urbanisme au sein du comité exécutif, Éric Alan Caldwell, s’en défend bien et jure que ces aménagements sont temporaires et qu’ils seront démantelés au retour à la normale.

Mais bien des gens se demandent en quoi ces mesures contribuent à régler les problèmes des commerces locaux engendrés par la crise de la COVID-19.

« Est-ce qu’on va vite ? Oui. Le contexte de la pandémie l’exige, explique le conseiller Caldwell. Est-ce qu’on saura s’ajuster ? Bien entendu. Il y avait un besoin d’espace pour les piétons, une augmentation du trafic cycliste, une diminution du trafic automobile et une programmation estivale à trouver pour les Montréalais. »

Stéphanie Labelle, propriétaire de la pâtisserie Rhubarbe, rue Laurier, redoute toutefois les effets de ces mesures sur l’achalandage de son commerce.

« C’est sûr que d’enlever des places de stationnement, pour un commerçant, c’est toujours inquiétant. On se demande si les gens vont venir », dit la pâtissière, qui ne comprend pas pourquoi la Ville interdit désormais aux automobilistes de se stationner des deux côtés de la rue, entre Brébeuf et Marquette.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphanie Labelle, propriétaire de la pâtisserie Rhubarbe

« Un côté, je peux comprendre. Le côté où il y a la SAQ, le Metro, le Jean-Coutu, il peut y avoir des accumulations de gens. Mais du côté résidentiel, je ne comprends pas. Des clients arrivent mécontents parce qu’ils ont tourné en rond pendant une demi-heure pour trouver du stationnement. Ils vont être découragés. Ils vont venir une fois sur trois. Ce n’est pas le fun. Je trouve ça complètement non nécessaire. »

En plus, souligne-t-elle, son équipe est obligée de garer le camion de livraison illégalement dans les ruelles, faute de place rue Laurier et dans les rues avoisinantes. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? »

327 km de voies réservées

Le plan estival de voies actives sécuritaires, présenté le 15 mai par la mairesse Valérie Plante, prévoit l’ajout de 327 kilomètres de voies réservées aux piétons et aux cyclistes, notamment sur le boulevard Saint-Laurent, la rue Saint-Denis, l’avenue Christophe-Colomb et le boulevard Gouin, de même que la piétonnisation de plusieurs rues, dont l’avenue du Mont-Royal et les rues de la Commune et Wellington. Le plan s’échelonnera en deux phases. La première sera mise en place le 6 ou le 7 juin et la seconde, plus tard cet été.

Le but est de relier le boulevard Gouin au fleuve Saint-Laurent et les quatre grands parcs montréalais : Mont-Royal, Maisonneuve, Jarry et Frédéric-Back.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LA VILLE DE MONTRÉAL

Les phases 1 et 2 du plan estival de voies actives sécuritaires de la Ville de Montréal

Les réaménagements de certaines artères commerciales, comme Laurier, Masson et Saint-Hubert, ne font pas partie du grand réseau, mais s’ajoutent aux coupes de voies de circulation automobile.

Toutes ces mesures ont été approuvées par le Centre de coordination des mesures d’urgence de la Ville de Montréal, assure Éric Alan Caldwell, « parce qu’elles sont faites dans un contexte de pandémie, pour laisser plus de place aux piétons et aux cyclistes, entre autres sur les artères commerciales ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Alan Caldwell, responsable de l’urbanisme au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal

Combien de cases supprimées ?

Combien de places de stationnement seront éliminées cet été ? « Nous n’avons pas de chiffre exact pour le moment, mais ce sera quelques centaines assurément, principalement dans les projets de piétonnisation », répond Geneviève Jutras, attachée de presse de Valérie Plante.

Sur le boulevard Saint-Laurent, où la Ville songe à aménager une piste cyclable entre les rues Sherbrooke et Laurier, des commerçants s’inquiètent aussi des répercussions de ce plan.

« Ça ne fait pas mon affaire parce que ça fait moins d’accès aux voitures, donc moins de gens de l’extérieur qui peuvent rentrer à Montréal », dénonce Caroline Husband, propriétaire du commerce Un monde, ouvert depuis 22 ans. « La Ville de Montréal est idéale pour ceux qui se déplacent en bicyclette ou à pied. C’est magnifique. Mais on est dans un pays où il y a un hiver. On a besoin de voitures. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Caroline Husband, propriétaire du commerce Un monde

Des clients de la boutique de meubles EQ3, boulevard Saint-Laurent, pestent aussi contre l’interdiction de stationner. Lundi, des ouvriers engagés par la Ville ont pris des mesures et fait des marques au sol. M. Caldwell assure que les plans ne sont pas définitifs sur cette artère majeure qui sépare la ville en deux. « C’est un dossier que je surveille personnellement, précise l’élu. Il n’y a rien de fixé parce qu’on est encore en discussion avec l’arrondissement et la SDC [Société de développement commercial, ndlr]. Il faut trouver une façon de faire de la place aux cyclistes et aux piétons. »

La piste cyclable, si elle voit le jour sur Saint-Laurent, pourrait permettre de désengorger celle de la rue Saint-Urbain.

« Ce serait bien pourvu qu’on garde un côté de la rue pour le stationnement », insiste Josée Fournier, gérante d’EQ3.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Josée Fournier, gérante d’EQ3

Frictions

De son côté, Billy Walsh, président de l’Association des Sociétés de développement commercial de Montréal, admet que le plan de l’administration municipale peut créer des frictions.

« Chaque artère a un ADN qui lui appartient et des enjeux qui lui sont propres, affirme-t-il. On doit être en mesure de travailler en collaboration pour freiner la propagation du virus. Mais là où le bât blesse, c’est le manque de communication entre les SDC, les arrondissements et la Ville. On doit être flexibles mur à mur. Je ne suis pas convaincu que c’est la façon idéale de faire. »

Le directeur du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), Stéphane Drouin, approuve quant à lui les mesures qui facilitent la distanciation physique et qui permettent d’accéder aux commerces de façon sécuritaire.

« L’expérience de magasinage est d’autant plus attrayante pour les consommateurs. Par contre, ces aménagements ne doivent surtout pas nuire à la circulation, à l’accès aux espaces de stationnement et à la livraison des marchandises aux commerces », prévient-il.

« Un pas en avant et deux pas en arrière »

« On ne veut pas faire un pas en avant et deux pas en arrière », ajoute le chef d’Ensemble Montréal, Lionel Perez, qui estime que le rôle de la Ville est de faciliter la vie des commerçants, « pas de leur nuire ».

Une partie de la piste cyclable promise sur l’avenue Christophe-Colomb, dans le cadre de ce plan, est déjà réalisée. On a retiré les places de stationnement des deux côtés de la rue pour aménager des voies réservées aux vélos – deux dans chaque direction.

Marilyn Champagne, qui habite sur l’avenue Christophe-Colomb, près du boulevard Rosemont, a remarqué qu’il y a déjà des altercations entre les conducteurs de camions de livraison et les cyclistes. « Je pense que c’est une bonne chose, même si j’ai une auto que je dois maintenant garer deux rues plus loin, glisse-t-elle. Mais ça ne sera pas l’harmonie. Hier, on entendait vraiment des gens se crier dessus. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Marilyn Champagne

Maxime Geraldes et Olivier Pronovost, qui habitent tout près, se plaignent du manque d’information fournie par la Ville. « On n’est pas avertis, on ne sait pas ce qui va se passer, on est complètement dans le noir, dit Maxime. Je suis content qu’il y ait une piste cyclable, mais on répond à un problème en en créant un autre. C’est ça qui est problématique. »

Le gérant de la boulangerie Automne, avenue Christophe-Colomb, à l’angle de Beaubien, constate aussi que ces changements génèrent des problèmes.

« Les clients trouvent ça difficile parce que sur Beaubien, le stationnement est aussi interdit depuis quelques semaines. Pour se stationner ici, en semaine, c’est rendu impossible, dit Simon Rivest. C’est sûr que tous ceux qui viennent de l’extérieur du quartier se déplacent en auto, d’habitude. »