Est-ce en raison de la COVID-19 ou des nombreux détaillants en difficulté ? Toujours est-il que les promoteurs du controversé projet de centre commercial et de divertissement Royalmount, axé sur le luxe, demandent maintenant aux gouvernements d’en financer des facettes.

Carbonleo souhaite recevoir des subventions, prêts ou cautionnement pour des dépenses « reliées à la passerelle piétonnière, aux aménagements aux axes routiers et des garanties requises pour le projet », lit-on dans la fiche du promoteur apparaissant au Registre des lobbyistes. Elle a été modifiée en ce sens le 6 avril dernier. Le montant demandé n’est pas précisé.

Cette disposition marque un tournant. Jusqu’à maintenant, Carbonleo mettait régulièrement de l’avant que son projet, estimé à 2 milliards, était entièrement financé par le privé.

Dans son communiqué en février dernier, le promoteur soutenait payer lui-même les 25 millions requis pour la passerelle piétonne enjambant le boulevard Décarie pour relier la station De la Savane et la place publique. Il se proposait aussi d’offrir un système de navettes électriques pour faciliter les déplacements sur le site et potentiellement jusqu’à la station Canora du Réseau express métropolitain (REM).

Chez le promoteur, on minimise le changement. Selon un cadre qui n’est pas autorisé à parler publiquement, les avocats en mettent toujours plus que pas assez dans ce genre de divulgation obligatoire.

Cette personne précise que l’ajout au Registre découle des recommandations du rapport de Florence Junca-Adenot, présidente du groupe de travail Namur-De la Savane chargé de trouver des solutions pour améliorer la fluidité dans ce secteur appelé à connaître une forte densification. Le rapport proposait notamment aux autorités de s’entendre avec Carbonleo concernant sa contribution financière aux interventions en transport.

Le commerce de détail « en mutation »

Quoi qu’il en soit, pour les experts en aménagement à qui nous avons parlé, les changements qui touchent le Royalmount mettent en relief les enjeux de rentabilité entourant le commerce de détail en 2020.

« Le commerce de détail est en mutation depuis plusieurs années en raison de la popularité du commerce électronique », dit Danielle Pilette, professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM.

La COVID vient donner un coup d’accélérateur aux transformations dans ce secteur.

Danielle Pilette, professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM

L’universitaire ne croit pas que Carbonleo abandonnera complètement son projet, mais elle ne sera pas surprise qu’il le reporte jusqu’à la fin de la pandémie.

Pour elle, il ne fait aucun doute que la rentabilité du secteur du commerce de détail est sous pression. De quoi faire réfléchir tout bon promoteur.

Les loyers dans les centres commerciaux connaissent une déflation depuis quelques années déjà. Résultat : le prix des parts ou des actions des titres immobiliers qui se spécialisent dans les centres commerciaux a entamé une glissade. La part de RioCan, un propriétaire qui détient une vingtaine de centres commerciaux dans la région montréalaise, a atteint un sommet en juillet 2016, à près de 30 $. Elle se vend moitié prix de nos jours.

Surcoût à éviter

Dans un tel contexte où les marges sont minces, tout surcoût est à éviter. Or, l’imposition de mesures sanitaires sévères sur les chantiers de construction influe sur la productivité et elle s’accompagne d’une facture, avance un expert de l’industrie immobilière qui ne veut pas être identifié pour ne pas nuire à ses affaires.

Chez Carbonleo, on rétorque que le coussin financier prévu pour les contingences est en mesure d’absorber la note. Son partenaire financier L Catterton, lié à LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton), est toujours à ses côtés. On ne signale en outre aucun désistement chez les locataires majeurs pour le moment. L’entente avec Cineplex pour y aménager le premier Rec Room au Québec et un cinéma VIP reste en vigueur.

Néanmoins, Christian Savard, DG de l’organisme Vivre en ville, qui s’est montré critique du Royalmount peu importe sa version, n’est nullement surpris de voir le promoteur prendre un temps d’arrêt.

« Le modèle d’affaires sur lequel repose un projet comme Royalmount ne tient plus la route, soutient-il dans un entretien. Le projet est mal aligné avec les tendances actuelles du commerce en ligne et de la recherche d’authenticité par les consommateurs. Selon moi, les pieds carrés commerciaux, on en a déjà probablement trop. Royalmount n’a pas le choix de continuer d’évoluer dans le sens d’un développement plus durable qu’un simple centre commercial. »