Un imposant projet immobilier en plein cœur d’un quadrilatère du centre-ville protégé par des lois patrimoniales soulève la grogne du voisinage. L’organisme de défense Héritage Montréal accuse le parti Projet Montréal de sacrifier le patrimoine pour multiplier les logements, en reniant ses promesses de centre-ville à « échelle humaine ».

Le projet de construction en question est adossé à l’emblématique rue Jeanne-Mance, à un jet de pierre du Black Watch, bâtiment du plus ancien régiment écossais au Canada. Dans un quadrilatère où une ruelle et un stationnement vacant suscitent l’intérêt des promoteurs depuis longtemps.

Le promoteur derrière le projet est le Groupe Canvar. Son projet consiste à transformer des immeubles existants en conservant les façades (2105 à 2137, rue De Bleury), puis à ériger un immeuble d’environ 290 logements, en majorité des studios, sur huit ou neuf étages (25 mètres), dans une zone où la limite maximale permise est de 16 mètres.

Les plans doivent être soumis au vote de l’équipe de la mairesse Valérie Plante le 11 février, lors de la séance du conseil d’arrondissement. Comme le projet est situé dans le site patrimonial des façades de la rue Jeanne-Mance, les démolitions nécessiteront des autorisations du ministère de la Culture.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Comme le projet est situé dans le site patrimonial des façades de la rue Jeanne-Mance, les démolitions nécessiteront des autorisations du ministère de la Culture.

Le projet est loin de satisfaire Dinu Bumbaru, directeur des politiques de l’organisme de défense Héritage Montréal. Il y aurait notamment lieu de revoir le nombre d’unités à la baisse.

« Avec ce projet, on va sacrifier la rue De Bleury, avec l’avenue du Parc, ce qui est quand même un axe assez fort, entre le mont Royal et le quartier Villard, et le Vieux-Montréal. Donc, si ce projet devient un canyon avec de la pelure de patrimoine en spray, passez-moi l’expression, on a perdu quelque chose. Il faudrait trouver un équilibre. »

On peut se demander si les urbanistes ne sont pas des touristes.

Dinu Bumbaru, Héritage Montréal

Au cabinet de la mairesse Plante, l’attachée de presse Geneviève Jutras souligne que les élus ont « entendu les commentaires des citoyens » la semaine dernière lors d’une consultation publique. « Les élus analysent présentement et pourront parler de leur position à la prochaine lecture », a-t-elle ajouté.

En juin 2019, puis en octobre dernier, les plans du promoteur ont fait l’objet d’un avis « favorable » du comité consultatif d’urbanisme (CCU) de l’arrondissement de Ville-Marie, avec certaines modifications, dont le recours à du verre plus clair et à une pierre grise pour le basilaire. Le CCU a aussi demandé une toiture verte.

Joint par La Presse, l’ingénieur et vice-président du Groupe Canvar Richard Varadi indique travailler en « collaboration » avec la Ville de Montréal pour trouver « un juste milieu » répondant aux préoccupations des citoyens.

« Nous espérons que les changements proposés seront considérés de bonne foi et déboucheront sur un projet satisfaisant pour tous », a précisé le haut dirigeant.

Des citoyens inquiets

Voisine immédiate du terrain du projet, la Coopérative d’habitation Jeanne-Mance interpelle les élus de Ville-Marie depuis des semaines afin que le projet soit freiné. Une centaine de personnes habitent 16 maisons victoriennes aux façades patrimoniales. Elles contestent notamment les données d’une étude d’ensoleillement.

« Selon l’étude, une importante zone de maisons va perdre deux heures de soleil par jour. Donc, on nous enferme derrière un mur d’ombre à partir de 11 h. Or, la perte de deux heures d’ensoleillement est énorme pour un secteur où le soleil est déjà rare. À en juger par cette étude, la qualité de vie de toute une communauté établie depuis 40 ans n’a aucune valeur », se désole Isabelle Clément, l’une des résidantes de la coopérative.

Façadisme

L’absence d’étude patrimoniale sur le développement du secteur étonne Claudine Déom, professeure à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, spécialisée dans l’attribution des valeurs patrimoniales. Selon elle, il y a de sérieuses questions à se poser tant sur le plan architectural qu’urbain.

« C’est le propre d’un centre-ville de vouloir se développer. Mais dans sa forme actuelle, on est dans le façadisme. On n’a qu’à regarder ce qui a été fait en face. Il faut aussi penser à l’impact citoyen. L’étude d’ensoleillement n’a rien de banal. »

« Ce n’est en tout cas pas un projet qui va gagner un prix d’architecture », ajoute Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal, qui se demande si on ne va pas compacter le centre-ville complètement avec des tours comme dans l’ouest.

Les antécédents du Groupe Canvar

Le Groupe Canvar est à l’origine de la démolition controversée de deux immeubles datant de 1870 et de 1920 (entre le 2100 et le 2122 de la rue De Bleury), pour ne conserver que les façades. Le promoteur est aussi à l’origine de plusieurs autres constructions de tours au centre-ville, notamment sur le terrain du Jardin Domtar, un espace vert qui a été rasé pour construire une tour à l’ouest du Quartier des spectacles.