Ainsi donc Denis Coderre songerait à reconquérir la mairie de Montréal. Un reportage de Radio-Canada diffusé jeudi nous apprenait que le politicien laisserait à d’autres la direction du Parti libéral du Québec et lorgnerait plutôt du côté de la politique municipale afin de reprendre le fauteuil qui lui a été abruptement retiré le 5 novembre 2017.

Cette rumeur s’ajoute aux bruissements des derniers mois. Reviendra-t-il, ne reviendra-t-il pas ? Même s’il préfère depuis quelque temps l’ombre à la lumière, le principal intéressé est le premier à nourrir cette machine à rumeurs qui fait déjà rêver ses admirateurs ainsi que les électeurs déçus de Valérie Plante.

Il faut entendre la fin de la longue entrevue que Denis Coderre a accordée au mois d’août dernier à Stéphan Bureau pour comprendre combien ce fin renard de la politique sait qu’il faut tendre de nombreux collets si l’on veut s’offrir un bon civet.

« Ça fait partie de mon ADN… Je ne suis pas rendu là… L’avenir nous le dira… » Avec l’habileté d’un contorsionniste, Coderre esquive toutes les questions concernant un éventuel retour en politique, préférant, bien évidemment, laisser monter le désir. « Je sais que beaucoup de gens souhaiteraient que je revienne », finit-il par lâcher.

Mais que veut dire « beaucoup de gens » ? Il faut rappeler que Denis Coderre n’a obtenu que le tiers du vote lors des élections montréalaises de 2013. Sa base électorale n’était pas immense. A-t-elle gonflé avec le temps ? C’est ce que Denis Coderre tente sans doute de savoir.

Car s’il y a une chose qui est certaine, c’est que ce grand ambitieux ne fera aucun retour en politique sans une garantie solide. Très solide.

Denis Coderre serait donc en train de soupeser ses chances afin de s’emparer de nouveau de la mairie en novembre 2021. Je ne sais pas à quoi ressemble sa grille d’analyse, mais je sais que cette course, si elle devait avoir lieu, serait mauditement excitante. Mais elle serait loin d’être gagnée d’avance pour lui.

Tout comme vous, j’entends ceux qui n’ont pas voté pour Valérie Plante et Projet Montréal répéter ad nauseam qu’ils souhaitent se débarrasser au plus vite de cette administration perçue comme trop « baba cool » au goût de certains. Il y a également ceux qui ont voulu « essayer » l’équipe de Valérie Plante et qui découvrent deux ans plus tard qu’elle ne répond pas à leurs attentes.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Coderre, ex-maire de Montréal, lors du Grand Bal des Vins-Cœurs, en septembre dernier

Ces échos valent ce qu’ils valent. Je peux vous parler des très nombreux courriels que j’ai reçus chaque fois que j’ai écrit une chronique favorable au sujet de Projet Montréal ou de Luc Ferrandez dans lesquels on me disait que le maire du Plateau allait « en manger toute une » aux prochaines élections. 

Résultat : il a été réélu plus fort en 2017 (65,7 % des voix), et on a élu avec une forte majorité l’un de ses émules (Luc Rabouin) lorsqu’il s’est retiré de la vie politique en mai 2019. Pour la raclée, on repassera !

En 2013, la proximité et la notoriété de Denis Coderre furent les clés de son succès. Sur quels atouts pourrait-il compter en 2021 si jamais il faisait le saut ? Il faut le reconnaître, il est loin d’avoir fait du mauvais boulot lorsqu’il était maire. Vous me direz qu’après les règnes de Gérald Tremblay et de Michael Applebaum, nous avons presque sorti les rameaux pour saluer son arrivée.

Quand on regarde les choses de manière rétroactive, Denis Coderre fut l’homme idéal pour assurer la transition dont Montréal avait réellement besoin à ce moment-là. Il a été rassurant et a réalisé d’excellentes choses à l’image du politicien ouvert qu’il a toujours été (création du BIG, amélioration du réseau de transports en commun, accroissement de la diversité culturelle au sein de la fonction publique, projet de ville intelligente, etc.).

Luc Ferrandez a parlé jeudi au 98,5, devant Patrick Lagacé, d’un « ouragan de décisions qui allaient nulle part ». Je suis en total désaccord avec lui. Denis Coderre a mis de l’avant des projets et des programmes qui étaient essentiels et primordiaux à cette époque. Montréal avait un énorme rattrapage à faire. Si l’administration de Valérie Plante peut aujourd’hui se concentrer sur l’apaisement de la circulation, l’amélioration des pistes cyclables et une meilleure accessibilité à l’habitation, c’est parce qu’on a réglé plein d’autres choses au préalable.

Pendant les trois premières années de son mandat, Denis Coderre a fort bien livré la marchandise. La fin de son règne fut toutefois décevante. Tout à coup, les célébrations du 375e anniversaire de Montréal furent jugées superflues, les inconvénients liés à la course de Formule E ont suscité de nombreuses critiques et le projet de développement du parc Jean-Drapeau a été scruté à la loupe. Ces dossiers ont eu du mal à se conjuguer au « renouveau » dont les Montréalais avaient envie plus que jamais.

Denis Coderre ne s’en est pas caché, la campagne électorale de 2017 a coïncidé avec des défis familiaux. Et ajoutons qu’il avait un peu trop tenu les choses pour acquises en menant une compagne électorale un brin paresseuse. 

Résultat : Valérie Plante, celle qui symbolisait le dynamisme, la jeunesse et la nouveauté, l’a emporté (par quelques milliers de voix). Autant Denis Coderre fut l’homme de la situation en 2013, autant Valérie Plante fut… l’homme de la situation (c’était son slogan) en 2017.

C’est fou comme une ville peut rapidement changer !

Si Denis Coderre plongeait dans la prochaine course à la mairie, il aurait sans doute l’appui des électeurs qui en ont ras-le-bol de Projet Montréal et de ses politiques jugées radicales. Il aurait aussi le soutien des gens du milieu des affaires, groupe avec lequel Valérie Plante a du mal à valser.

Mais aurait-il celui des Montréalais assoiffés de renaissance dont je vous parlais plus haut ? C’est ça, le véritable enjeu. En quelques années, Montréal s’est doté d’un nouveau visage. Ses citoyens sont devenus plus attentifs aux grands courants planétaires, la protection de l’environnement, le développement durable, la démocratie, la lutte contre la corruption, le bien-être des animaux, etc. 

La ville de Montréal ne se compare plus à ses consœurs canadiennes ; elle préfère jouer sur l’échiquier mondial et s’inspirer de villes comme Seattle, San Francisco, Oslo ou Lyon.

Au cours des derniers mois, Denis Coderre a vécu une forme de « rémission » (ce sont ses mots), a connu une transformation physique majeure en perdant de nombreux kilos. Il s’est offert une introspection importante, raconte-t-il librement en entrevue. Il a aussi pris le temps d’écrire un livre sur la diplomatie urbaine, sujet qui lui tient à cœur.

Mais est-ce que ce Denis Coderre serait capable aujourd’hui de séduire ces « nouveaux Montréalais » ? J’en doute.

Quand il laisse tomber au cours d’une entrevue qu’une « jeune génération » monte en ce moment, il avoue s’interroger, comme beaucoup de gens ayant franchi le cap de la cinquantaine, sur le rôle que son expérience professionnelle peut lui permettre de jouer. De mieux jouer.