Le Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR) aborde les tensions entre policiers et citoyens racisés d’un autre angle. Sa directrice Helen Dion entame une réflexion sur l’inclusion au sein de son organisation et ses pratiques. Le principal organisme de lutte contre le profilage racial à Repentigny y voit un pas en arrière, alors que les interceptions se multiplient selon lui.

« On a fait plein d’actions depuis deux ans. Des rencontres citoyennes, des barbecues, lancement d’un comité. On est encore bloqués. Donc là, on prend un autre chemin », admet Mme Dion, assise dans la vaste salle de réunion au décor sobre du poste de police de Repentigny.

En attendant les conclusions d’un rapport sur les interpellations basées sur l’origine ethnique par les policiers sur son territoire, elle entame une démarche « bâtie sur mesure » par la firme Uena, spécialisée en gouvernance inclusive.

Au cours des deux dernières années, le SPVR a fait l’objet de vives critiques et de plaintes en lien avec le profilage racial.

Des allégations ont été démenties, affirme Mme Dion. « Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de problème. Certaines situations n’ont peut-être pas été dénoncées. Je ne peux pas dire à 100 % que toutes mes interventions sont parfaites. »

Étape par étape

Le plan est chapeauté par Shahad Salman, spécialiste en gouvernance inclusive de l’Agence Uena.

On prévoit boucler les cinq étapes [sensibilisation, diagnostic, stratégies, implantation et phase finale] d’ici l’été 2021. Le volet sensibilisation en cours depuis deux mois consiste en des discussions individuelles ou en groupe. « Il faut faire comprendre à nos policiers qu’ils ont leur biais comme tout le monde, mais qu’il faut les neutraliser quand on adopte notre rôle de policier », souligne Mme Dion.

L’initiative est sur une base volontaire. Au lancement du projet, une cinquantaine d’employés avaient démontré leur intérêt, tant chez la direction qu’au niveau des patrouilleurs.

Au fil du temps, les citoyens seront inclus dans cette approche. Quelques mois auparavant, une veillée aux chandelles a eu lieu devant le poste après la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué par un policier blanc. Les citoyens ont dénoncé le profilage. « Nous leur avons proposé d’embarquer dans les autos de patrouille pour leur montrer à quoi ressemblent les interventions de notre point de vue. On veut démystifier ça. »

Des blessures des deux côtés

Les allégations affectent les policiers qui se sentent attaqués dans leur crédibilité et leur intégrité, constate la directrice. « Avec tout ce qui se passe depuis deux ans, je vois des blessures des deux côtés. Chez ceux qui disent vivre du profilage et dans le corps policier. »

Avant d’entreprendre la démarche, Helen Dion appréhendait donc la réaction de son personnel. Elle a été surprise de l’engouement des volontaires.

Shahad Salman, de l’Uena, souhaite rencontrer tout le monde. Elle témoigne déjà de résultats encourageants et veut mettre sur papier ces réalités.

« Il n’y a rien de tabou quand on discute. C’est vraiment particulier de voir ça. Ils [les policiers] sont dévoués à leur métier donc ne sont pas bien si tu leur dis qu’ils le font mal. »

« C’est facile comme blanc de penser qu’il n’y a pas de racisme. Il faut qu’on comprenne le background des gens qui se disent victimes de profilage, comment ils le ressentent », ajoute Helen Dion.

Manque de dialogue

Pierre Richard Thomas, de Lakay Media, un organisme de Repentigny qui lutte contre le profilage racial, est déçu et surpris par l’annonce. Les citoyens noirs n’ont pas été consultés. Sa dernière rencontre avec le SPVR date du mois d’août. « C’est mal parti. Pourquoi payer une firme pour déterminer s’il y a du profilage? Selon moi, c’est une manière détournée de fuir le problème. Un pas en arrière. »

Plusieurs Repentignois noirs soutiennent être interpellés par les policiers entre cinq à dix fois par mois, selon M. Thomas. Il affirme que la confiance est à son plus bas. « La situation ne s’est pas améliorée, elle s’est aggravée. Il faut des changements de pratiques immédiates, pas un plan en cinq étapes. »

« On fait peut-être un pas en arrière, mais je préfère prendre du recul pour que l’équipe de Uena détermine quel est le problème dans notre approche », explique Helen Dion.

« Un service de police, ça a de nombreux processus d’intervention. C’est sûr qu’on n’arrêtera pas demain matin d’intercepter des véhicules. Ça fait partie du travail de la police. Mais est-ce qu’on peut faire mieux? Certainement. »

Difficulté de recrutement

Le SPVR compte 120 policiers, excluant les cadres. Seulement trois agents s’identifient à une minorité culturelle. Le paysage démographique repentignois a pourtant changé depuis 10 ans et des gens de toutes origines y sont établis, admet Mme Dion. Le corps policier demeure très blanc. « Ces policiers issus des minorités visibles, on souhaite les avoir. Mais il y en a peu et ils sont attirés par les gros corps de police. »

Peu importe l’origine, la rétention du personnel est un enjeu. « Ici, on est un niveau 2 de service. Nos policiers, on les développe et ils postulent à Laval ou Montréal qui offre un éventail de possibilités professionnelles. Je n’ai pas de groupe d’intervention tactique ou de maître-chien. »

La diversité des effectifs n’est qu’une infime partie de la solution.

« Il ne faut pas se limiter au fait qu’on embauche quelqu’un d’une minorité culturelle et que ça va régler le problème comme par magie. »