(Montréal) La mairesse Valérie Plante mandate officiellement le directeur général de la Ville pour créer un poste de commissaire à la lutte au racisme et à la discrimination d’ici l’automne, en réaction au rapport de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur ce problème dans les compétences de Montréal.

« La Ville doit être un employeur exemplaire », a indiqué lundi matin Mme Plante en conférence de presse. « Nous pouvons faire mieux. Nous devons faire mieux », a-t-elle ajouté.

La mairesse reconnaît que la Ville a du chemin à faire bien qu’il y ait eu une augmentation importante, selon elle, de l’embauche de personnes issues notamment des minorités visibles. Il y a dix ans, Montréal en comptait 12,8 % dans ses rangs comparativement à 21,7 % à l’heure actuelle. Il n’est toutefois pas question de mettre en place des « quotas » d’embauche.

Le commissaire devra faire le lien entre tous les services de la municipalité, a précisé Mme Plante avant d’ajouter qu’un élu sera également désigné pour avoir la responsabilité politique du dossier et ainsi assurer l’application « transversale » d’un éventuel plan d’action. « C’est ça, la clé : comment la diversité et la lutte aux discriminations sont vues autant par les grands projets que par le SPVM, les ressources humaines », a expliqué la mairesse en laissant ainsi entendre que le commissaire n’aura qu’un pouvoir de recommandation.

La création d’un poste de commissaire correspond à la deuxième recommandation de l’OCPM. Cette personne devrait relever directement du directeur général de la Ville et elle aurait notamment pour fonction de proposer un premier plan d’action et de s’assurer qu’il soit appliqué dans l’organisation municipale, propose l’OCPM.

Pour ce qui est du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), la mairesse a rappelé qu’un plan intégré avec des indicateurs et des objectifs mesurables est en élaboration. Une politique d’interpellation sera rendue publique au début de juillet. De plus, la mairesse se montre favorable à l’utilisation de caméras portatives sur les patrouilleurs afin d’augmenter la transparence et l’imputabilité de la police.

Malaise chez les fonctionnaires

Valérie Plante présentera au conseil municipal de lundi après-midi une déclaration visant à reconnaître le caractère systémique du racisme et de la discrimination et à s’engager à les combattre. Elle a d’ailleurs amorcé sa conférence de presse en soulignant qu’elle reconnaît le problème.

Mais cette vision ne semble pas partagée au sein même de la Ville. Dans son rapport, l’OCPM « a noté un malaise ou un manque de volonté chez de nombreux fonctionnaires à identifier les groupes les plus susceptibles de vivre des situations de racisme et de discrimination systémiques dans leur arrondissement ». « Les fonctionnaires insistent sur le caractère neutre et universel des services dispensés avec la mission de servir, de manière identique, toute la population, indépendamment de l’origine », souligne-t-on.

L’exemple vient de haut puisqu’en juillet dernier, la Ville a officiellement répondu à l’OCPM ne pas reconnaître « le caractère "systémique" des deux phénomènes que sont le racisme et la discrimination tout en considérant que la consultation sera l’occasion de faire la lumière sur les biais qui peuvent contribuer à ce qu’ils le soient », peut-on lire dans le rapport.

Du côté du SPVM, l'OCPM souligne qu'en octobre 2019, le directeur de police s’est dit « très surpris » par les disparités dans les interpellations rapportées dans le cadre d'une recherche indépendante. «La commission s’étonne que le directeur soit surpris alors qu’en 2016, son prédécesseur avait reconnu le profilage au sein du SPVM» et ajoute qu'elle est «grandement préoccupée par le recul de la situation».

Cette non-reconnaissance formelle « empêche la Ville de se doter des outils nécessaires pour s’attaquer véritablement au problème », écrit la présidente de la commission dans une lettre destinée à la mairesse qui accompagne le volumineux rapport.

Selon l’OCPM, la Ville de Montréal a négligé la lutte contre le racisme et la discrimination au fil des ans.

Le document de 261 pages, rédigé au terme d’une consultation à laquelle plus de 7000 personnes se sont fait entendre, conclut que la métropole a bien de la difficulté à passer de la parole aux actes.

« Des déclarations, des motions, des plans d’action de la Ville disent s’attaquer au phénomène du racisme ou de la discrimination, mais les résultats se font attendre », constatent les auteurs du volumineux rapport.

L’office formule 38 recommandations, à commencer par une reconnaissance du caractère systémique du racisme et de la discrimination dont sont victimes les groupes racisés et les personnes autochtones.

Constatant le faible nombre de données disponibles permettant de connaître l’ampleur du problème de racisme et de discrimination systémique à Montréal, l’OCPM croit que la ville et ses arrondissements devraient produire et rendre publiques des données qui permettent de mesurer les écarts entre les personnes racisées, les autochtones et les Blancs aux profils semblables.

De plus, des formations consacrées explicitement à la lutte au racisme et à la discrimination devraient être développées et rendues obligatoires pour tous les employés de la ville et des sociétés paramunicipales, recommande l’OCPM.

Profilage

Le profilage racial et social a été, note-t-on, l’enjeu le plus évoqué au cours des consultations.

Ce profilage mené par le SPVM « constitue une violence envers certains groupes racisés et envers des personnes autochtones vivant à Montréal » et demeurera tant qu’il n’y aura pas de changement de « culture organisationnelle » au sein du corps de police, selon les auteurs du rapport.

Un rapport commandé par la Ville de Montréal à des chercheurs indépendants révélait au début octobre que les Autochtones, les Noirs et les jeunes Arabes avaient entre quatre et cinq fois plus de chances d’être interpellés par les policiers que les Blancs.

En décembre 2018, le chef de police, Sylvain Caron, avait admis qu’il y avait « peut-être » du profilage racial au sein de ses troupes.

Les commissaires de l’OCPM estiment que la nomination du directeur du SPVM devrait être conditionnelle à sa connaissance et à sa reconnaissance de ces phénomènes. On propose également que soient organisées des expériences d’immersion dans la communauté. Ce type d’expérience a été mise en place l’année dernière à la police de Longueuil.

Plus de 22 000 Montréalais avaient signé une pétition pour réclamer la tenue de la consultation publique. Le chef de l'opposition officielle à l'hôtel de ville, Lionel Perez, salue ces citoyens qui ont utilisé le droit d'initiative populaire en 2018 mis à leur disposition. «Il y a une prise de conscience collective qui est vraiment incroyable, même si c'est malheureusement à cause du décès tragique de George Floyd. [...] Il faut donc s'assurer que ce rapport ne sera pas tabletté», a commenté M. Perez.

La publication du rapport survient dans le contexte d’une vague de manifestations exceptionnelles à travers le monde dans la foulée de la mort de M. Floyd, un homme noir asphyxié par un policier blanc, à Minneapolis, à la fin mai.

-Avec La Presse canadienne