Éternellement jeunes femmes, victimes d’un féminicide impossible à oublier. Pour le 30e anniversaire de la tuerie de l’École polytechnique, 14 faisceaux lumineux ont à nouveau illuminé le ciel de Montréal vendredi soir pour souligner leur mémoire, en présence de membres de leurs familles, du public et de nombreux dignitaires. Et en cette commémoration toute particulière, le premier ministre Justin Trudeau a saisi l’occasion pour remettre de l’avant la délicate question du contrôle des armes à feu.

Vibrants témoignages

Première à prendre la parole, la gouverneure générale du Canada, Julie Payette, a ému la foule en rappelant qu’elle aussi était étudiante en génie, en décembre 1989. « J’étais à l’université, comme elles. Par choix, tout simplement. J’étais là non pas pour changer les statistiques ou défier les normes, ni par idéologie ou militantisme. J’étais là parce que j’aimais la profession et je voulais en faire une carrière. […] À la violence verbale et écrite que nous voyons si souvent dans les médias, dans les réseaux sociaux, que l’on entend, on se doit de dire non. […] Nous devons nous opposer [à la violence] pour que ces magnifiques jeunes femmes ne soient pas mortes en vain », a-t-elle poursuivi. Sœur de l’une des victimes (Geneviève Bergeron) et présidente du Comité Mémoire, Catherine Bergeron a d’abord parlé d’une « peine d’amour » pour décrire les événements d’il y a 30 ans. « Je me souviens que les histoires de vie de ces 14 femmes ont façonné notre histoire. Nous ne sommes pas elles, mais nous sommes assurément faits d’elles. […] Les 14 faisceaux qui s’allument nous disent où nous sommes. Mais surtout où nous en sommes. En cette 30e année de commémoration, nous devons nous promettre d’être les gardiennes et les gardiens vigilants de la place des femmes dans la société. Les lumières qui s’allumeront une à une vous sont dédiées, mesdames. Du fond du cœur, permettez-nous de vous aimer, toujours. »

Personnalités politiques

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Présents à la cérémonie sur le belvédère Kondiaronk du mont Royal, animée par l’actrice et productrice Karine Vanasse, qui était de la distribution du film Polytechnique (2009), les premiers ministres canadien et québécois ont tenu à rappeler qu’encore aujourd’hui, un tel drame était possible. « Il a 30 ans ce soir, 14 femmes ont été tuées par un homme parce qu’elles étaient des femmes. Trente plus tard, nous avons encore beaucoup de travail à faire pour lutter contre la misogynie et la violence fondée sur le sexe », a dit Justin Trudeau. « Il y a 30 ans, le Québec a été attaqué dans l’une de ses valeurs les plus fondamentales : l’égalité entre les hommes et les femmes, a souligné François Legault. Ce soir, tous ensemble, nous avons un devoir de mémoire. Un devoir d’être unis, de ne jamais baisser la garde et de défendre cette valeur fondamentale. » De son côté, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a souligné qu’il était important de se souvenir, mais aussi d’agir pour « que plus jamais un geste comme celui-là, un attentat contre des femmes, ne se reproduise. Pour celles et ceux qui nous regardent, en ce moment, tous réunis, cela démontre notre solidarité, et aussi une volonté d’agir. Nous avons tous une responsabilité dans les petits gestes au quotidien pour combattre le sexisme ».

Un événement rassembleur

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Outre les familles et proches des victimes, des personnalités politiques et publiques, quelques centaines de personnes se sont rendues au mont Royal pour rendre hommage aux 14 victimes de ce drame qui a secoué et marqué à jamais le Québec. Phil Jones et sa femme tenaient à assister à cette 30e commémoration, eux qui étaient présents à la première. « J’ai deux filles qui étaient toutes petites le jour du drame, dit M. Jones. Nous avons été anéantis par cet événement. Trente ans plus tard, il y a encore trop de misogynie. Il faut faire quelque chose pour combattre cela, il faut nous battre pour elles. C’est pour ça que nous sommes là. » Ingénieure et employée de l’École polytechnique, Céline Roehrig a souligné qu’« en tant que femmes, en tant qu’ingénieures, on ne peut qu’être touchées. Chaque année, depuis que je travaille à l’École polytechnique, je souligne l’événement. Être ici ce soir est une forme d’affirmation ».

Contrôle des armes à feu

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Le premier ministre Justin Trudeau était présent aux côtés de la mairesse de Montréal Valérie Plante et le premier ministre du Québec François Legault.

À la fin de sa courte allocution, le premier ministre Justin Trudeau a vivement fait réagir les centaines de personnes présentes en réitérant son intention de « renforcer le contrôle des armes à feu en éliminant et en interdisant les armes à feu de style militaire ». « Je pense qu’il est temps qu’on agisse. Ça fait 30 ans que l’on parle du contrôle des armes à feu. Et là, nous avons décidé d’agir. Il y a un consensus au Canada à savoir que nous devons interdire les armes d’assaut. Et c’est exactement ce que nous allons faire », a ajouté Mélanie Joly, ministre du Développement économique, en entrevue avec La Presse. Le premier ministre François Legault s’est dit quant à lui heureux d’entendre M. Trudeau prendre « cet engagement devant plusieurs personnes ». Dans un contexte de gouvernement minoritaire à Ottawa, M. Legault a affirmé à La Presse que son gouvernement allait « essayer d’aider » celui de Justin Trudeau sur cet enjeu.

D’un océan à l’autre

Des établissements de partout au Canada qui offrent des programmes de génie ont également tenu à souligner le 30e anniversaire du drame. Que ce soit l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, le Collège militaire royal de Kingston, l’Université Laval, à Québec, ou l’Université Dalhousie, à Halifax, tous ont joint leurs voix en soutien aux familles des victimes. « Cet attentat antiféministe, qui a ébranlé le pays tout entier et qui a connu un fort retentissement hors de nos frontières, demeure encore incompréhensible aujourd’hui. Trente ans plus tard, la volonté de Polytechnique d’honorer la mémoire des victimes perdure. En commémorant ce douloureux événement, elle tient aussi à saluer le courage, la solidarité et le dévouement dont les membres de sa communauté ont fait preuve », a de son côté écrit l’École polytechnique de Montréal sur la page d’accueil de son site internet.