« Pour changer les choses, il faut les nommer comme elles le sont. Nommer les violences telles qu’elles sont est un premier pas pour développer des mécanismes de prévention. »

Une neige soyeuse tombait lorsque la mairesse de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Sue Montgomery, s’est avancée au micro. Vingt ans auparavant, la Place du 6-décembre-1989, coin Decelles et Queen-Mary, était inaugurée pour rappeler la mémoire des « victimes de la tragédie » qui s’était déroulée à l’École Polytechnique. Jeudi, un nouveau panneau a remplacé celui qui avait été accroché en 1999. Le texte explicatif est désormais plus descriptif : le parc a été nommé en mémoire des « 14 femmes assassinées lors de l’attentat antiféministe survenu à l’école Polytechnique le 6 décembre 1989 ».

« Nous voulons que les gens qui traversent ce parc sachent la terrible vérité et travaillent avec nous pour changer les choses », a dit Mme Montgomery.

« Il y a 30 ans, c’était douloureux d’admettre qu’un homme pouvait avoir tant de haine pour les femmes et les féministes. Il y a 30 ans, dire que nous étions féministe était dangereux », a poursuivi la mairesse. « On n’osait pas se réclamer féministe. Depuis cinq ans, on a brisé le silence avec #AgressionNonDénoncée et #BeenRapedNeverReported, et j’ai espoir. La nouvelle génération s’approprie le mot féministe. Car être féministe, c’est vouloir l’égalité. »

« L’attentat de Polytechnique était antiféministe, contre les femmes, contre tous ceux qui croient en l’égalité », a-t-elle rappelé. « Et jamais plus nous n’aurons peur de nous dire féministes. »

« Aujourd’hui, on rétablit des faits », a enchaîné la mairesse de Montréal, Valérie Plante. « On met des mots sur une réalité qui, pendant longtemps, on a été incapable de mettre de l’avant, ou qu’on a refusé de le faire. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s'est recueillie durant les allocutions.

La professeure Diane Lamoureux, du Réseau québécois en études féministes, est à l’origine de la demande de changement du texte du panneau. « Il y a 30 ans, a-t-elle rappelé, la plupart des personnalités politiques et médiatiques intimaient aux féministes de se taire, de ne pas politiser le geste. C’était l’époque du tireur fou et du geste isolé. »

Il est temps, a-t-elle réclamé, « d’essayer de comprendre ce long déni ». « À l’époque, seules les féministes parlaient d’un attentat antiféministe. Le 6 décembre 1989, nous n’avons pas perdu notre innocence, car nous savions les luttes opiniâtres que certaines d’entre nous avaient dû mener. »

« Reconnaître le caractère antiféministe de l’attentat, c’est prendre conscience qu’aujourd’hui encore, l’antiféminisme se porte bien dans une société qui préfère se voir comme une championne de l’égalité entre les femmes et les hommes tout en étant si loin du compte. Reconnaître que les victimes de cet attentat sont 14 femmes qui ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes, c’est également prendre la mesure du sexisme qui prévalait et prévaut encore dans la société et de la banalité des féminicides. » Une réalité qu’a évoqué Marlihan Lopez, de la Fédération des femmes du Québec, en rappelant les 1017 femmes autochtones disparues ou assassinées depuis 30 ans – une donnée officielle considérée comme largement sous-estimée par les organismes sur le terrain.

Stéphane Rouillon, porte-parole de PolySeSouvient, a livré une allocution émue, évoquant les souvenirs douloureux des étudiants qui se trouvaient à Polytechnique ce soir-là et le mutisme que certains d’entre eux ont choisi « pour se protéger eux-même et pour vous protéger ».

« Nous avons été séparés, nous nous sommes retrouvés malgré nous sur la ligne de front de la guerre des sexes », a raconté celui qui était à l’époque étudiant de deuxième année en génie physique.

« Le sexisme est malheureusement toujours présent dans notre société, quand ce n’est pas purement la violence faite aux femmes », a dit M. Rouillon. « Le mouvement #metoo en témoigne pleinement. Quelque soit la définition qu’on en donne, le féminisme est toujours nécessaire. Les politiciens doivent légiférer pour contrer entre autres la cyberintimidation. »

Contrôle des armes

Nommer les tragédies permet de changer les choses, a dit la mairesse Valérie Plante, notamment sur le plan législatif. Elle a dit s’attendre à ce que le Parti libéral du Canada honore sa promesse électorale pour renforcer le contrôle des armes à feu.

« Ce qui s’est passé il y a 30 ans, c’est une personne qui, pour différentes raisons, a décidé de passer à l’acte. La haine en lui s’est manifestée et c’est une arme qui lui a permis de voler la vie de 14 femmes. »

Stéphane Rouillon, de PolySeSouvient, a souligné pour sa part qu’un « registre québécois des armes à feu sauverait près d’une centaine de vies par année, majoritairement des suicides ».