Des locataires d’appartements à loyer peu élevés pourraient perdre leur logement en raison d’un nouveau projet de condominiums de 10 étages

Dans la petite ville cossue de Hampstead, îlot défusionné en plein cœur de Montréal, un nouveau projet de condominiums de luxe sème l’émoi : s’il venait à prendre forme, le projet de 10 étages entraînerait la démolition de deux immeubles résidentiels où vivent actuellement une cinquantaine de personnes, dont des aînés et de jeunes familles.

Poussé avec détermination par le maire d’Hampstead, Bill Steinberg, le projet se heurte à une vive opposition dans le secteur. Au point que, le mois dernier, les résidants ont forcé la mairie à tenir un référendum. Dimanche, c’est autour de 2000 résidants du secteur avoisinant qui auront à voter « Oui » ou « Non » à la question qui changerait le visage de leur ville.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Felicia de la Guardia, résidante depuis une trentaine d’années

« On vit une période de démolition : démolition matérielle, démolition morale, démolition des familles, démolition des individus », raconte Felicia de la Guardia, qui habite au rez-de-chaussée de l’un des immeubles depuis une trentaine d’années. Dans le journal local, The Suburban, des lettres ouvertes et des éditoriaux dénoncent régulièrement le projet.

Les 5781 et 5783, chemin de la Côte-Saint-Luc sont une rareté dans Hampstead, dont la population dépasse de peu les 7000 âmes, où le revenu moyen des ménages se situait à plus de 190 000 $ en 2014 et où l’écrasante majorité des logements sont des maisons unifamiliales.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le maire a déjà annoncé publiquement qu’environ cinq autres tours à condos seraient dans les plans.

Selon le maire Bill Steinberg, le luxueux projet du Groupe Benvenuto – qui n’a toujours pas de nom officiel – rapporterait 145 000 $ de plus en impôt foncier dans les coffres de la Ville, ce qui permettrait d’éponger la hausse prévue des taxes d’agglomération, avance M Steinberg. Cela dit, Hampstead présente un surplus accumulé de 6 millions, dont 2 millions seulement pour 2018, fait savoir Jack Edery, directeur des finances de la Ville. « Nos finances sont solides, dit-il. On prendrait volontiers plus de revenu, mais pas à tout prix. »

Il est à noter qu’un projet similaire des mêmes promoteurs devait prendre forme en 2012, mais que M. Steinberg s’était finalement récusé sur le vote sur le projet : dans un article paru dans The Gazette en 2012, il avait confirmé qu’il était le cousin éloigné – « au quatrième degré » – de l’un des promoteurs, Mitchell Moss. Cette fois-ci, le maire a plutôt mis son veto pour renverser le refus initial du conseil municipal de donner le feu vert au Groupe Benvenuto.

Questionné au cours des derniers jours par La Presse sur sa relation avec les promoteurs, M. Steinberg n’avait toujours pas répondu au moment d’écrire ces lignes. « Nous ne nous rappelons pas que le maire Steinberg s’est récusé en 2012 », a quant à lui fait parvenir par courriel Jonathan Goldbloom, relationniste au compte du Groupe Benvenuto.

Une offre qui fait peu d’heureux

Si le Oui l’emporte dimanche, le Groupe Benvenuto s’engage à offrir aux locataires six mois de loyer, les frais de déménagement ainsi qu’un rabais de 15 % sur le loyer des futurs condos. La date de départ a été repoussée à janvier 2021. De plus, il dit avoir conclu avec des gestionnaires immobiliers du coin une entente donnant la priorité aux locataires si l’un de leurs appartements se libérait.

Mais les résidants ne veulent rien savoir de tout cela. « Ils lancent l’os pour que pitou coure après », laisse tomber Mme de la Guardia, qui paie moins de 800 $ par mois pour son trois et demi. « Le maire avait parlé de “nettoyage ethnique” », dit Leah Lasry, qui milite pour que les locataires puissent garder leur logement, en faisant référence au commentaire controversé de M. Steinberg sur la loi 21.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Lea Lasry milite pour que les locataires puissent garder leurs logements.

Là, on pourrait parler de “nettoyage économique” : si on démolit tous ces édifices à logements modiques, ça veut dire qu’il ne veut pas de ces gens dans son quartier.

Leah Lasry

Selon le camp du Non, il s’agit de bien plus que d’argent. « Ce référendum ne porte pas juste sur l’existence de ces deux adresses : c’est l’avenir de bien des gens qui est en jeu », lance Leah Lasry, résidante de Hampstead et porte-voix des citoyens dans le dossier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Patrick Demers, résidant depuis deux ans

« Il y a certainement beaucoup d’édifices haut de gamme en construction à Montréal en ce moment, mais les immeubles qui offrent des loyers modiques manquent, surtout dans le coin », soutient Patrick Demers, qui a emménagé au 5781 il y a deux ans.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Dans sa forme actuelle, le projet prévoit 89 logements et le même nombre de places de stationnement, ce qui risque d’engorger davantage les voies locales.

Dans sa forme actuelle, le projet prévoit 89 logements et le même nombre de places de stationnement, ce qui risque d’engorger davantage les voies locales. C’est d’ailleurs sur cet enjeu que mise Mme Lasry pour convaincre les concitoyens plus aisés de voter Non. Elle a fait imprimer des affiches en ce sens.

Le maire a déjà annoncé publiquement qu’une demi-dizaine d’autres tours à condos seraient dans les plans. « C’est certain que si le Oui l’emporte, ça donne carte blanche pour démolir tous les immeubles à faible revenu sur Côte-Saint-Luc », assure Mme Lasry. Selon elle, un vote pour le Non pourrait mettre un bâton dans les roues de ces autres projets.