(Montréal) En l’espace de quelques mois, Salvatore et Andrew Scoppa, deux frères décrits comme ayant des forts liens avec la mafia, ont été abattus par balles dans la région de Montréal.

Depuis le début de l’année, pas moins de 17 meurtres liés au crime organisé ont été commis dans la grande région montréalaise.

Selon des experts, ces coups de feu sont de plus en plus fréquents. Ils critiquent les autorités policières pour leur manque de transparence au sujet de l’ampleur de la criminalité dans la métropole québécoise. La police refuse pour sa part de dévoiler s’il y a eu une augmentation des fusillades à Montréal en 2019.

Bien sûr, les assassinats entre gangsters ne sont pas un phénomène nouveau. Pour Guy Ryan, un policier à la retraite, Montréal doit aussi composer avec ce qu’il a appelé « le crime désorganisé », prenant notamment l’exemple d’une attaque survenue contre un resto-bar de l’arrondissement de Saint-Léonard, en octobre.

La scène décrite par Le Journal de Montréal avait fait couler beaucoup d’encre. Sur une vidéo captée par une caméra de surveillance, on y voit trois hommes masqués vidant l’un après l’autre leur arme de poing tandis que les clients affolés se jettent sous les tables pour échapper aux balles.

M. Ryan dit que ce type de violence — particulièrement chez les jeunes — se produit plus souvent. Il déplore que le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) n’en informe pas plus la population, contrairement à ce qui se passe à Toronto.

« Nous ne voyons pas le genre de transparence qu’ils ont à Toronto », soutient-il.

La police de Toronto publie des données détaillées, notamment le nombre mensuel de tirs et le nombre de victimes. Ces données peuvent être triées à l’aide de plusieurs filtres. Ainsi, à la date du 3 novembre, Toronto avait enregistré 408 fusillades depuis le début de l’année.

Lorsqu’on lui demande si le SPVM avait recueilli des données similaires, son principal porte-parole André Durocher répond que celles-ci ne sont pas disponibles. Il a suggéré à La Presse canadienne de faire parvenir une demande d’accès à l’information, un processus notoirement lent.

L’inspecteur Durocher explique que les différents corps policiers au Canada ne définissaient pas les fusillades de la même manière. « Nous recevons parfois un appel au sujet d’un coup de feu, même s’il n’y en a pas eu. C’était une crevaison », raconte-t-il. Pour savoir le nombre de coups de feu à Montréal, ajoute-t-il, il faudrait analyser chaque appel à la police.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L'inspecteur André Durocher, du SPVM

M. Ryan, qui a été membre du SPVM pendant 28 ans, ne croit pas à cet argument.

« Je ne peux pas croire qu’on soit arrivé à la conclusion qu’on n’a pas de statistique, souligne-t-il. Je suis convaincu que la police étudie tous les événements liés à des coups de feu et que ces cas sont traités en priorité. Après tout, ce sont des crimes contre la population. »

Le quotidien La Presse a récemment tenté de recenser le nombre de meurtres, de tentatives de meurtres, de fusillades sans victime et de détentions liées à du trafic d’armes dans la région de Montréal. Il est arrivé au chiffre de 70, dont 58 dans les limites de Montréal. Toutefois, ce nombre se limitait aux cas ayant fait l’objet d’un article dans les journaux.

Selon le rapport annuel du SPVM, le nombre « d’infractions liées aux armes à feu » s’élevait à 436 en 2018, mais ce terme n’est pas défini. Prié d’en donner une définition par La Presse canadienne, un porte-parole a indiqué que ce renseignement ne pourrait pas être disponible avant la semaine prochaine.

Guy Ryan dit que le nombre de coups de feu a augmenté à Montréal-Nord, là où il habite. Auparavant, on n’en signalait que dans des secteurs ayant une forte criminalité. « Maintenant, c’est partout », fait-il état. Aujourd’hui, les coups de feu provenant d’un véhicule en marche ne s’entendent plus seulement la nuit, mais aussi en plein jour, ajoute l’ancien policier.

Il s’est dit convaincu que ses anciens collègues travaillaient d’arrache-pied pour enquêter sur ces crimes. « Ce que je reproche, c’est un manque de transparence. »

Vide au sommet

Expert sur le sujet du crime organisé, le journaliste à la retraite et auteur du livre Mafia Inc. André Cédilot soutient que les récents meurtres sont un signe du vide du pouvoir au sein de la pègre montréalaise depuis la mort de Vito Rizzuto en 2013.

Il rappelle que Rizzuto était capable de maintenir la paix, de régler les conflits et de contrôler les divers clans, mais depuis sa mort, au moins trois ou quatre tentatives pour prendre le contrôle de la pègre italienne ont échoué. Les Hells Angels ont profité du chaos pour s’emparer d’une grande partie des réseaux de distribution de drogue à Montréal.

La résurgence du gang de motards a laissé des traces. Ainsi, le 17 octobre, un trafiquant de drogue lié aux Hells, Gaétan Sévigny, a été abattu devant son domicile, à Terrebonne. Deux semaines plus tard, un autre collaborateur des Hells Angels, Roger Bishop, a été assassiné à l’extérieur d’un gymnase de Brossard. Entre ces deux assassinats, Andrea Scoppa a été tué dans le stationnement d’un centre commercial de l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro-Roxboro-Roxboro.

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Guy Lapointe, porte-parole de la SQ

Devant cette récente vague d’assassinats liés au crime organisé, la Sûreté du Québec (SQ) et le SPVM ont annoncé mercredi qu’ils travailleront de concert en formant une équipe permanente qui enquêtera sur des groupes comme la Mafia et les Hells Angels.

Le porte-parole de la SQ, Guy Lapointe, mentionne que 14 des 17 homicides commis dans la région montréalaise sont survenus à l’extérieur de l’île de Montréal.

Guy Lapointe et André Durocher ont donné plusieurs entrevues pour promouvoir la nouvelle « équipe mixte », mais ils étaient incapables de dire si la violence armée était à la hausse.

« Il y en a beaucoup, reconnaît Guy Lapointe à propos du nombre de meurtres cette année. Je n’ai pas les données pour les années passées, mais c’est beaucoup. »