L’ancien maire de Montréal Jean Drapeau avait maintes fois promis de répondre publiquement au rapport dévastateur de la commission d’enquête de 1980 sur les coûts élevés des Jeux olympiques dans la métropole. Il ne l’a jamais fait. Or, une réponse de plus de 300 pages préparée par la Ville de Montréal en 1980 et 1981 existe bel et bien, tout comme un exemplaire du rapport annoté par M. Drapeau. Ils viennent d’être rendus publics, 20 ans après la mort de ce personnage marquant de l’histoire montréalaise.

« Du grand guignol », un calcul « malhonnête », « démagogique », des préceptes « faux », écrit Jean Drapeau en marge du rapport produit par le juge Albert H. Malouf et commandé par le gouvernement de René Lévesque. Les notes de celui qui a été à la tête de Montréal durant 29 ans laissent transparaître son indignation sur les conclusions de la commission d’enquête – qu’il accuse, à maintes reprises, de dépasser le cadre de son mandat.

Le magistrat n’avait pas été tendre envers le maire de l’époque et l’architecte Roger Taillibert. Il avait notamment accusé l’administration montréalaise d’avoir fait preuve d’une « incroyable incurie ».

Le projet olympique a fini par coûter plusieurs milliards de dollars aux contribuables québécois. Lors de l’obtention des Jeux par la métropole en 1970, une vision beaucoup plus modeste avait pourtant été mise de l’avant.

Une défense de la Ville

« Idiot ! », commente M. Drapeau en marge d’un paragraphe du rapport sur la somme considérable dépensée pour un événement « qui n’a duré que deux semaines ». « Les installations ne seront pas jetées », ajoute M. Drapeau.

IMAGE EXTRAITE DU RAPPORT ANNOTÉ, LA PRESSE

« Idiot ! Après ce qu’il a dit précédemment », margine Jean Drapeau.

« L’avenir jugera très sévèrement le rapport de la Commission – à moins que l’avenir vengeur ne la condamne à l’oubli le plus total, ce qui est bien le comble du mépris. Il serait pourtant mérité ! », conclut l’ancien maire sur le rapport, annoté de quatre couleurs différentes.

Dans la réponse préparée par la Ville à l’époque et rendue publique hier, l’administration défend son choix de l’architecte français Roger Taillibert, le père du Stade olympique, dénonçant une « francophobie » sur le chantier et écrivant que le rapport même de la Commission est « imbibé de part en part » de ce « climat de rejet haineux ».

IMAGE EXTRAITE DU RAPPORT ANNOTÉ, LA PRESSE

« L’avenir jugera. Le présent a déjà jugé, et l’avenir jugera aussi très sévèrement le rapport de la Commission – à moins que l’avenir vengeur ne la condamne à l’oubli le plus total, ce qui est bien le comble du mépris. Il serait pourtant mérité ! », note Jean Drapeau.

« L’enquête sur le coût de la XXIe Olympiade fut un échec », tonne le document, accusant la Commission de parti pris.

Quant à la facture salée de l’aventure olympique, l’administration en rejette la faute sur l’« inflation galopante », le « mauvais climat des relations ouvrières » et le « déséquilibre de l’offre et la demande en faveur des fournisseurs ». 

C’est une « série de facteurs externes », et non le concept lui-même, qui est la source des importants dépassements de coût, lit-on.

Selon le rapport de la commission Malouf, les coûts sont passés de 309,5 millions, en avril 1974, à 1,3 milliard au 1er août 1976.

Des grèves, des conflits syndicaux, du sabotage, notamment, ont causé des retards sur le chantier. La réponse de la Ville déplore d’ailleurs l’absence de recommandation sur le problème des relations ouvrières dans le rapport Malouf. Elle note aussi la présence de quelques « éléments perturbateurs au sein du milieu syndicaliste ouvrier », alors que la majorité des employés « étaient prêts et désireux de travailler ».

Une surprise

La publication d’une réponse de la part du maire était devenue une blague récurrente dans les années 80.

Jean Drapeau est mort en 1999, sans jamais avoir rendu publique une quelconque contre-attaque écrite au rapport.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le maire de Montréal Jean Drapeau lors de la présentation d’une maquette du Stade olympique, en janvier 1975

Benoît Gignac, auteur de la biographie Jean Drapeau : le maire qui rêvait sa ville, publiée en 2009, s’est montré étonné de l’existence même d’une réponse complète. « Quand j’ai travaillé sur le livre, l’information qu’on m’a donnée est que la réponse officielle n’avait jamais existé », a-t-il réagi hier. Ses sources lui avaient confié que Jean Drapeau, trop malade, n’avait jamais pu se rendre jusqu’au bout de cette démarche.

On ignore pour l’instant pourquoi la réplique n’a pas été rendue publique du vivant de l’ancien maire. Le document semble pourtant produit pour être diffusé. « Le contenu de cet ouvrage […] doit être considéré comme l’amorce au véritable rapport qui aurait dû résulter de cette enquête […] », peut-on lire.

Admiré comme un visionnaire par certains, accusé de mégalomanie par d’autres, Jean Drapeau a assurément laissé sa marque sur Montréal.

Ses archives personnelles ont été rendues accessibles par la Ville hier. Lettres, dossiers, agendas et autres documents sont répartis dans plus de 700 boîtes, qui font, côte à côte, quelque 152 m de paperasses. Elles ont été rendues publiques en vertu de la convention de donation des archives personnelles de M. Drapeau, qui prévoyait une accessibilité 20 ans après sa mort, survenue le 12 août 1999. Il avait 83 ans.

— Avec Pierre-André Normandin, La Presse

Quelques dates marquantes

Mai 1970 
Montréal obtient les Jeux d’été de 1976.

Avril 1973 
Les travaux pour le Parc olympique commencent.

Août 1974 
Les premiers piliers du Stade sortent du sol.

Juillet 1976 
Les Jeux olympiques débutent.

Juillet 1977 
Une commission d’enquête sur le coût des Jeux est créée.

1979-1987 
Des travaux pour terminer la tour et le toit du Stade ont lieu.

Avril 1980 
Le rapport Malouf est déposé.