Déconstruire le vieux pont, transformer l’autoroute Bonaventure en boulevard urbain, ouvrir l’accès aux berges du fleuve pour les citoyens, adapter le pont Jacques-Cartier aux besoins de la mobilité future… Alors qu’on souligne la fermeture définitive du pont Champlain, qui lui a donné bien du fil à retordre depuis 10 ans, la société d’État fédérale Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) s’est déjà tournée vers plusieurs autres grands projets qui vont aider à transformer le paysage de Montréal et à ramener sa population vers le Saint-Laurent.

Axe Bonaventure : vers un parc urbain de plus de 1 km le long du fleuve

La société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) souhaite reconstruire l’autoroute Bonaventure sous forme de boulevard urbain en la déplaçant vers le réseau local afin de dégager les berges du fleuve jusqu’au pont Victoria, et de les transformer en parc linéaire pour piétons et cyclistes sur plus de 1 km.

En entrevue avec La Presse, la première dirigeante de PJCCI, Sandra Martel, affirme que le concept de ce parc urbain est directement inspiré de la promenade du boulevard Champlain, à Québec. La promenade Samuel-De Champlain (il est partout, celui-là) est un long parc de 4,3 km aménagé en bordure du fleuve entre le pont Pierre-Laporte et la côte de Sillery, entièrement destiné aux promeneurs, pique-niqueurs et cyclistes, et ouvert à plusieurs autres activités sportives, dont le kayak sur le Saint-Laurent.

« L’autoroute Bonaventure doit être reconstruite, explique Mme Martel. La dalle de béton sous la chaussée est finie. On doit constamment refaire le pavage de l’autoroute. C’est normal après plus de 50 ans de service. » 

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sandra Martel, première dirigeante de PJCCI

On s’est donc demandé : “Tant qu’à reconstruire l’autoroute, est-ce qu’on la reconstruit dans le même axe, ou est-ce qu’on en profite pour en modifier la configuration ?”

Sandra Martel, première dirigeante de PJCCI

Depuis sa construction, en 1967, l’autoroute Bonaventure, qui fait un peu plus de 4 km de long entre le pont Champlain et le centre-ville, est considérée comme un obstacle pour l’accès au fleuve, puisqu’elle longe celui-ci sur environ 1,3 km à partir de la sortie du pont Clément, qui relie l’île des Sœurs à l’autoroute, jusqu’au pont Victoria.

« Le projet serait donc de déplacer l’autoroute Bonaventure vers l’intérieur en empiétant sur la rue Carrie-Derick [qui dessert le parc d’entreprises de la Pointe-Saint-Charles], de manière à dégager la rive, et d’en faire un boulevard urbain. Le long de la rive, on installerait une piste cyclable, un parc, des aménagements pour les piétons. »

IMAGE TIRÉE D’UN DOCUMENT DE L’OFFICE DE CONSULTATION PUBLIQUE DE MONTRÉAL

Cette image est extraite d’une étude réalisée en 2015 par une firme d’architectes-paysagistes, le Groupe Rousseau Lefebvre, à la demande de la Ville de Montréal, et ne fait pas partie du projet de PJCCI. Elle permet toutefois d’apprécier le spectaculaire point de vue sur le fleuve qu’offrirait un parc linéaire le long de l’autoroute Bonaventure.

Un secteur en transformation

Il y a un peu plus de 20 ans, en campagne électorale, l’ex-maire de Montréal, Jean Doré, avait soulevé la possibilité de démanteler une partie de cette autoroute afin que la population puisse se réapproprier les berges. Il avait été tourné en ridicule pour ses idées de grandeur par son adversaire de l’époque, le maire Pierre Bourque.

Vingt ans plus tard, le contexte a profondément changé.

Des images du projet de PJCCI ont été montrées en public, le mois dernier, lors de l’ouverture des audiences de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur l’environnement futur de ce secteur appelé Bridge-Bonaventure. « Les gens qui les ont vues étaient très enthousiastes », assure la directrice des communications de PJCCI, Nathalie Lessard.

La Presse a retrouvé une de ces illustrations montrant l’autoroute Bonaventure actuelle et sa nouvelle configuration, détachée du bord du fleuve. La berge est reverdie et séparée des travées routières, aménagées en boulevard qui longe le parc d’entreprises de la Pointe-Saint-Charles, dans l’emprise de la rue Carrie-Derick actuelle.

IMAGE TIRÉE D’UN DOCUMENT DE PJCCI

Cette image, tirée d’une présentation graphique de PJCCI, montre l’autoroute Bonaventure actuelle et le boulevard urbain qu’elle pourrait devenir, bordée par un long parc linéaire de plus de 1 km, directement sur les berges du Saint-Laurent. Le projet est à l’étape d’avant-projet et dépend du financement d’Ottawa.

À court terme, cette partie de Montréal sera complètement transformée, d’abord avec l’arrivée du futur Réseau express métropolitain (REM), le train électrique de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Le premier tronçon entre la Rive-Sud et le centre-ville de Montréal est prévu pour la fin de 2021.

Le REM traversera le secteur sur un tracé parallèle à l’autoroute Bonaventure actuelle, dans l’axe de la rue Marc-Cantin, juste au nord du parc d’entreprises de la Pointe. Une station du REM sera érigée à proximité du bassin Peel, où des promoteurs projettent, par ailleurs, de construire rien de moins qu’un nouveau stade de baseball professionnel.

Ces grands changements s’ajoutent à la transformation déjà effectuée de l’autoroute Bonaventure en boulevard Robert-Bourassa sur 1 km, à partir du canal de Lachine, à la mise en service du nouveau pont Samuel-De Champlain et à la construction, dans la foulée, du nouveau boulevard Gaétan-Laberge, qui relie Verdun au secteur Bridge-Bonaventure, juste à la porte du centre-ville.

Au moment de son élaboration en étude d’opportunité, tous ces facteurs ont été pris en compte « en plus de la volonté de la Ville de Montréal de redonner les berges aux citoyens ».

Théoriquement, les travaux de transformation pourraient commencer dès 2022, après la mise en service du REM.

Et puis, souligne Mme Martel, « le nouveau pont Samuel-De Champlain aura une piste multifonctionnelle pour piétons et cyclistes, il faudra bien qu’on puisse s’y rendre ».

« Bonaventure 2 »

Le projet de reconstruction de l’autoroute Bonaventure fait actuellement l’objet d’une étude d’avant-projet, précise la dirigeante de PJCCI. C’est cette étude qui sera présentée au gouvernement fédéral pour approbation et financement. Sa réalisation n’est donc pas assurée. Mais il s’inscrit à la perfection dans une série d’efforts de la Ville de Montréal pour transformer ce secteur déstructuré par de grandes infrastructures de transport constituant autant d’obstacles à son aménagement, pour en faire une porte d’entrée accueillante vers la métropole.

Ce n’est pas un accident, dit Sandra Martel. Les discussions entre la Ville de Montréal et PJCCI se poursuivent depuis des mois.

Le 22 mai, lors de l’assemblée publique de l’OCPM sur le secteur Bridge-Bonaventure, une fonctionnaire du service des grands projets de la Ville de Montréal, Sonia Thompson, a présenté le projet de parc linéaire de PJCCI comme une composante d’une grande boucle de transport actif, du centre-ville jusqu’au pied du nouveau pont Samuel-De Champlain, qui se connectera au réseau cyclable de Verdun, avant de revenir vers le centre-ville par l’axe de la rue Marc-Cantin, où circulera le REM.

On voulait aussi, dans le cadre de ces pistes cyclables là, relier l’arrivée du côté de Gaétan-Laberge avec le parc Therrien de Verdun, parce qu’il manque un lien cyclable, une passerelle dans ce secteur aussi, pour compléter le réseau de transport actif.

Sonia Thompson, fonctionnaire du service des grands projets de la Ville de Montréal

« Dans le cadre du REM aussi, le long de la rue Marc-Cantin, il y a une piste cyclable qui va être réalisée, a-t-elle ajouté. Ça fait qu’il reste à voir comment le segment plus à l’est [pour le centre-ville] va être complété dans ce secteur-là. Puis, avec mes collègues qui vont travailler sur le projet Bonaventure 2, il y a aussi toute la question de l’aménagement de la berge, où il y aura des pistes cyclables. »

Pont Jacques-Cartier : une piste cyclable de chaque côté ?

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La piste cyclable du pont Jacques-Cartier

Les travaux d’entretien pour prolonger la vie du pont Jacques-Cartier à 150 ans, soit jusqu’en 2080, sont planifiés pour des décennies à venir. La société fédérale Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) reste toutefois à l’affût des modes de mobilité émergents, afin de s’adapter à une nouvelle demande en déplacements actifs.

Depuis de nombreuses années, les adeptes du vélo sont critiques envers PJCCI et la piste cyclable du pont Jacques-Cartier, en raison de ses pentes, de ses courbes et de sa fermeture hivernale. La société fédérale n’est pas indifférente à ce discours.

En entrevue, la première dirigeante de PJCCI, Sandra Martel, affirme que « ce qu’on espère le plus, à un moment donné, c’est de pouvoir séparer les directions : une de chaque côté du pont ».

Le pont Jacques-Cartier n’est pas droit. Il a des pentes assez prononcées au-dessus de la Voie maritime et des courbes à l’entrée de Montréal, parce que les constructeurs, à l’époque, n’ont pas pu convaincre un propriétaire de leur vendre le lot où le pont aurait dû aboutir. Ces caractéristiques ne sont pas idéales à l’aménagement d’une piste cyclable, enfermée dans une cage, sur un trottoir en porte-à-faux de la structure.

On réfléchit depuis longtemps à la question. Est-ce qu’on pourrait faire quelque chose pour améliorer la sécurité des piétons et des cyclistes, malgré les courbes et les pentes du pont ? Ça ne changera pas, on ne peut pas changer la configuration du pont ; ça demeurera donc toujours une piste cyclable avec des pentes et des enjeux de sécurité.

Sandra Martel, première dirigeante de PJCCI

« Cela dit, indique Mme Martel, il y a peut-être encore une occasion d’élargir la piste et les trottoirs de l’autre côté. On étudie différents scénarios. Mais on doit quand même tenir compte de la mise à niveau des aciers et de la capacité portante du pont. »

La popularité toujours croissante du vélo et l’émergence d’autres modes de transport, comme les vélos et trottinettes électriques, viennent aussi ajouter à la complexité de la situation. La vitesse accrue qu’ils peuvent atteindre, que ce soit en montant ou en descendant une pente, doit aussi être prise en compte, souligne la dirigeante. Une collision de deux véhicules personnels électriques dans une piste cyclable pourrait avoir de graves conséquences.

« C’est clair que le transport actif est en croissance et que c’est un enjeu de l’améliorer sur le pont Jacques-Cartier, car ça n’arrêtera pas. La mobilité active et les nouveaux modes de transport sont des phénomènes en train d’arriver, et on ne peut pas les ignorer. »

Aucun échéancier n’est encore attaché à ces projets d’adaptation du transport actif sur le pont Jacques-Cartier.