L’administration de la mairesse Valérie Plante vient d’abattre une carte stratégique afin de garder le contrôle du développement du secteur du bassin Peel en exerçant son droit de préemption sur les terrains convoités pour la construction d’un stade de baseball.

Cela ne signifie pas nécessairement que la Ville de Montréal achètera l’ensemble des terrains pour lesquels elle a exercé son droit de préemption ; le cumul des transactions se compterait en quelques centaines de millions de dollars. Il s’agit plutôt d’assurer « le développement mixte du site » et, surtout, de « parler d’égal à égal » avec les promoteurs, a indiqué hier la mairesse.

« Le souhait est très clair. C’est de reproduire le même bon coup que la semaine dernière quand on a annoncé cette entente historique pour réfléchir en équipe sur le développement d’un quartier sur les terrains de Molson-Coors », a expliqué Mme Plante. Montréal y avait également exercé son droit de préemption.

Cette fois, le secteur visé est au cœur de discussions publiques qui animent les partisans du retour du baseball majeur à Montréal depuis des mois. Le Groupe de Montréal y travaille et promeut la construction d’un stade de baseball à ciel ouvert à un jet de pierre du centre-ville. Le Groupe de Montréal est dirigé par Stephen Bronfman (Claridge, le fonds d’investissement de la famille Bronfman), en partenariat avec le promoteur immobilier Devimco. Outre le stade de baseball, le projet privé prévoit entre autres lotir les terrains convoités qui appartiennent en grande partie à la Société immobilière du Canada (SIC). Il est question d’y construire 4500 unités d’habitation (condos, logements locatifs et unités réservées aux familles).

En novembre dernier, Montréal avait exercé son droit de préemption sur trois terrains de la SIC, à proximité du bassin Peel. Avec la décision d’hier, ce sont quatre autres terrains qui s’ajoutent et englobent ce « coin névralgique » ; « ils encadrent l’entièreté de la rive sud du bassin Peel », souligne-t-on dans les documents officiels de la Ville.

UN ACTEUR INCONTOURNABLE

L’administration Plante devient ainsi un acteur incontournable dans le développement du quartier qui a des allures de friche industrielle à l’heure actuelle. Le droit de préemption pourrait lui permettre de négocier un accès public aux berges, la construction d’une école, des places publiques, l’implantation d’équipements collectifs, par exemple. Les règles en place obligent un promoteur à réserver 10 % du projet pour un espace vert.

« On lit tous les nouvelles qu’il y a beaucoup d’engouement pour ces terrains-là. Bien sûr, ça pourrait être pour le stade de baseball, mais on a entendu également d’autres promoteurs. Moi, ce que j’entends à travers les branches, c’est qu’il y a d’autres projets », a affirmé Valérie Plante.

« Pour nous à la Ville de Montréal, ce qui est important, c’est d’avoir notre mot à dire et contribuer à comment va se développer ce quartier-là. » — Valérie Plante, mairesse de Montréal

Ni les représentants de Claridge ni ceux de Devimco n’ont souhaité commenter la situation. Du côté de la SIC, on dit vouloir « s’assurer de développer un projet qui respecte les exigences de la Ville ».

André Boisclair, PDG de l’Institut de développement urbain, le lobby des promoteurs immobiliers, n’est guère impressionné par la décision de l’administration Plante. « La Ville cherche ainsi à renforcer son rapport de force, dit-il. Mais la Ville a toujours eu un droit d’expropriation. Dans les faits, les sommes qu’elle a mises de côté pour exercer son droit de préemption sont marginales. C’est un droit qui demeure bien théorique. »

UN BON DÉPART

Quant à l’organisme Action Gardien, très critique de l’idée de construire « un stade de baseball qui induit une économie de luxe », il a salué hier le geste de la Ville. On y voit « un bon départ » pour que le développement du bassin Peel ne soit pas un prolongement de Griffintown avec ses hautes tours à condos. « La vision du développement de la ville des promoteurs est aux antipodes des besoins, des rêves et des aspirations de la population », estime Karine Triollet, d’Action-Gardien.

Il y a trois semaines, une coalition d’organismes communautaires, dont Action-Gardien, a invité les citoyens à élaborer des propositions d’aménagement pour créer un milieu de vie dans le secteur. La démarche s’inscrit dans le cadre de la consultation de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur la mise en valeur du secteur Bridge-Bonaventure (une superficie de 2,3 kilomètres carrés qui inclut le bassin Peel).

Plusieurs autres acteurs sont également intéressés par le dossier. Ils apparaissent même interdépendants les uns des autres. Il y a la SIC, la Ville, les promoteurs, les groupes communautaires et la Caisse de dépôt et placement du Québec, dont la filiale CDPQ Infra orchestre la réalisation du Réseau express métropolitain (REM), un train électrique autoguidé. Le REM traverse le secteur. CDPQ Infra y a d’ailleurs prévu une gare de train mais n’a toujours pas indiqué l’endroit précis, compte tenu des discussions en cours. Devimco a déjà proposé à CDPQ Infra de payer une partie de la construction de la gare si celle-ci s’élevait aux abords de son projet.

L’annonce d’hier s’inscrit dans la poursuite de la mise en place de la stratégie immobilière. La Ville a identifié 90 terrains sur lesquels elle se dote d’un droit de préemption. Environ 50 millions sont disponibles à cette fin pour le moment.

« Mon administration est déterminée à assurer un développement mixte sur ce site à fort potentiel, et c’est pourquoi nous utilisons tous les outils à sa disposition, dont le droit de préemption », a conclu la mairesse Plante.

— Avec la collaboration d’André Dubuc, La Presse

Qu’est-ce que le droit de préemption ?

Préempter un immeuble permet de protéger les intérêts de la Ville en obtenant le droit de premier refus lors d’une vente prévisible à moyen terme. Cela signifie que Montréal prend connaissance de l’offre d’achat reçue par un propriétaire et dispose de 60 jours pour déterminer si elle souhaite acquérir l’immeuble aux mêmes conditions ou se retirer de l’offre. Montréal est la seule municipalité au Québec à détenir ce droit en vertu des changements législatifs favorisant l’autonomie de la métropole, adoptés en 2017.