« Rien n’arrête la Sainte-Catherine », peuvent lire les passants sur des banderoles accrochées aux grillages qui les séparent des pelles mécaniques de l’autre côté. Rien, sauf peut-être l’immense chantier en cours sur l’artère la plus célèbre de la métropole, qui leur propose des détours, d’étroits trottoirs, des traverses de gravier et, parfois, des culs-de-sac. Au détriment des commerçants, qui peinent à voir la lumière à l’approche de la fin de semaine du Grand Prix de Formule 1 et du début de la saison estivale.

« S’ils viennent, s’ils s’installent à l’entrée de mon magasin, ils vont voir qu’il n’y a plus personne qui entre », dit Fadi Assaleh, propriétaire d’une bijouterie qui porte son nom. « Ils », ce sont des représentants de la Ville de Montréal qu’il aimerait bien voir débarquer, afin de discuter de l’aide à apporter aux commerçants pour qu’ils puissent survivre à cet imposant chantier qui promet de refaire de la rue Sainte-Catherine une destination d’envergure internationale.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mais avant d’en arriver là, les commerçants se trouvent plutôt dans un désert d’incertitude, le regard tourné vers la machinerie qui décourage beaucoup de monde à s’aventurer sur l’artère. « Depuis la reprise du chantier, en février, j’estime les pertes à 30 % de mon chiffre d’affaires », dit M. Assaleh, dont le commerce est ouvert depuis 21 ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Fadi Assaleh, propriétaire d’une bijouterie

« Le gros effet des travaux, c’est maintenant. En février, ça allait. Mais une personne de la Ville m’a dit que ça allait être pire aux mois de juin et de juillet. C’est notre grosse saison. Quand les touristes viennent en ville, ils dépensent. L’été, c’est 80 % de notre clientèle. » — Fadi Assaleh

« S’ils nous aident avec 3 ou 4 mois de loyer (entre 10 000 et 15 000 $ par mois), le reste de l’année peut devenir plus supportable. Nous n’aurons que les deux tiers de l’année à payer. […] Au moins, on pourrait respirer », ajoute le bijoutier, qui n’a toujours pas vu un sou de l’aide aux commerçants promise par la mairesse Valérie Plante pendant la dernière campagne électorale.

Devant son magasin de vêtements Emmanuel, Roger Azuelos profite depuis une semaine d’un couloir qui permet aux passants de traverser d’un côté de la rue à l’autre. Un luxe pour un commerçant établi entre la rue De Bleury et le boulevard Robert-Bourassa. Pour lui, comme pour les autres gens d’affaires, les derniers mois ont été pénibles.

« Ils [la Ville] m’ont promis 2,2 mètres de trottoir. D’habitude, c’est au moins 4 mètres. Mais ça n’a pas marché, car, pendant un mois et demi, non seulement le couloir s’est rapetissé, mais il était aussi fermé. Même ce passage, on ne l’avait plus. À ce moment, en février, la baisse de notre chiffre d’affaires était de 80 %. », explique l’homme d’affaires.

« Si le trottoir et la chaussée sont dans les conditions actuelles lors de la fin de semaine du Grand Prix, oubliez ça. Le chiffre d’affaires va tomber. Le touriste qui dépense 500 $ pour dormir, il ne veut pas voir ça. En ce moment, avec la traverse, je fais 50 % de mon chiffre d’affaires. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Main-d’œuvre et propreté

Il n’y a pas que l’enjeu de la baisse du chiffre d’affaires qui tracasse les commerçants ; celui de la main-d’œuvre aussi commence à se frayer un chemin dans la liste de leurs inquiétudes. C’est le cas de Kayla Petrilli, qui travaille au restaurant Chocolato, que possède sa mère. Quand le chantier de la rue Sainte-Catherine a accueilli ses premiers ouvriers, au mois de février, l’entreprise n’était ouverte que depuis le mois d’octobre 2018.

« Jeudi dernier, tout a été bloqué pendant six heures. Personne ne pouvait entrer dans le commerce. Ça devient aussi difficile de recruter des employés pour la saison estivale, car nous devons couper des heures », dit Mme Petrilli.

Une situation que vit et comprend Roger Azuelos.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Roger Azuelos, propriétaire de la boutique Emmanuel

« Nous ne pouvons pas dire aux employés : “Il y a des travaux à l’extérieur, alors on ne travaille plus”. » — Roger Azuelos

Employée depuis six ans à la boutique Chaussures experts, Lylia Saadi ajoute que la propreté est devenue problématique dans le secteur. « Il y a maintenant beaucoup de poussière qui entre dans le magasin. On ne peut presque plus ouvrir la porte. Mais aussi, en ouvrant la rue et les tuyaux, ça fait sortir les souris, signale-t-elle. Et c’est sans parler de la pollution sonore et des vibrations causées par la machinerie. »

Qu’est-ce que serait une juste compensation pour les aider à passer au travers du chantier, qui devrait s’étirer jusqu’à la fin de l’automne dans ce secteur, mais qui durera encore quelques années ? Roger Azuelos a sa petite idée.

« Il faut voir le côté positif. Quand la rue va être terminée, je pense que ça va être excellent. Je n’ai aucun doute là-dessus », affirme-t-il.

« La Ville devrait venir discuter avec les marchands touchés par ces travaux qui dérangent. Nous dire : ‘‘Venez, nous allons nous asseoir, discuter et voir ce que nous pouvons faire pour vous’’. Mais le faire maintenant, pas dans quatre ans à la fin des travaux, comme on m’a déjà dit. Qui dit que je serai encore là, dans quatre ans ? N’importe quoi va m’aider. Parce que ma tirelire, elle se vide. De cette façon, elle se viderait un peu moins vite. »