Les agents du contrôle routier du Québec s’inquiètent du manque de surveillance à l’égard des camions qui circulent sur les ponts et structures frappés par des restrictions de charges en raison de leur mauvais état, comme l’échangeur Des Sources à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal.

Dans une lettre adressée le mois dernier au vice-président de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), Guy Nadeau, la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec (FCCRQ) demande « formellement de renforcer, dans les meilleurs délais, le contrôle routier auprès des véhicules lourds susceptibles d’accélérer la dégradation de nos infrastructures et de compromettre du coup la sécurité des usagers de la route ».

Selon le syndicat des 290 agents en service sur l’ensemble du réseau routier du ministère des Transports du Québec (MTQ), la SAAQ devrait recentrer « la mission des contrôleurs routiers sur le contrôle des véhicules lourds » et procéder à de nouvelles embauches pour améliorer la surveillance des ouvrages dont la capacité de circulation est réduite, en y assurant le respect des limites de charge.

« Actuellement, il y a des centaines de structures de la région de la Capitale nationale et de la région de Montréal qui sont en limitation de poids et qui, malheureusement, ne font pas l’objet de contrôles routiers faute d’effectifs suffisants. » — Éric Labonté, président de la FCCRQ, dans sa lettre à la SAAQ

Les ponts dits « en limitation de poids » sont, en général, des ouvrages qui ont besoin de réparations pour restaurer leur capacité portante originale. Ces limites de poids peuvent s’appliquer aussi bien sur un simple ponceau d’une route secondaire en Beauce qu’à une section complète du pont Honoré-Mercier, entre la Rive-Sud et Montréal, en passant par le pont de la route 112 qui surplombe l’autoroute 20, près de l’entrée du pont Victoria, à Saint-Lambert.

Il y a plus de 1500 ponts à travers le Québec qui affichent ainsi des limites de poids pour les véhicules lourds, selon l’inventaire des structures du ministère des Transports. La très grande majorité de ces ponts est située sur des réseaux routiers municipaux. Le réseau routier supérieur ne compte pour sa part que 149 ponts à tonnage réduit, soit à peine 10 % du total.

7,5 km de détour

C’est le cas d’une des bretelles d’entrée de l’autoroute 20 Ouest, dans l’échangeur Des Sources, où la limite de charge permise est réduite à seulement cinq tonnes depuis près de deux ans. Une telle limite interdit, en pratique, toute circulation de camions sur la bretelle un peu décrépite, construite en 1970.

En descendant le boulevard Des Sources en direction sud, vers l’autoroute, plusieurs panneaux orange, très visibles, annoncent la limite de charge de cinq tonnes au maximum sur la bretelle pour l’A20 Ouest. À l’entrée de l’échangeur Des Sources, un panneau encore plus grand pointe vers un chemin de détour via l’autoroute 20 Est et l’échangeur Dorval.

L’aller-retour représente un détour d’environ 7,5 kilomètres sur une des autoroutes les plus fréquentées dans la grande région métropolitaine. À droite, par la bretelle interdite, l’autoroute 20 Ouest est à seulement 170 mètres.

« Il y a beaucoup de trafic dans le secteur, c’est à proximité d’un quartier industriel et ça mène directement sur l’autoroute 20, en direction de l’Ontario », explique un contrôleur routier joint par La Presse dont nous tairons le nom à sa demande. « Ce sont toutes des bonnes raisons de garder un œil sur les camionneurs qui seraient tentés de l’emprunter pour éviter un long détour. »

Samedi matin, il a suffi de quelques dizaines de minutes pour qu’un photographe de La Presse y croque le passage d’un véhicule lourd en flagrant délit de surcharge.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Samedi matin, il a suffi de quelques dizaines de minutes pour qu’un photographe de La Presse croque le passage d’un véhicule lourd en flagrant délit de surcharge sur une bretelle de l’échangeur Des Sources.

45 tonnes en trop

Selon le contrôleur, la seule présence d’un véhicule du contrôle routier à proximité du pont suffit pour éloigner le trafic lourd. « C’est comme la police sur le bord des routes. Quand on est là, le mot se passe très vite sur les ondes entre les camionneurs, et ils font plus attention. Ils les prennent, les détours. Mais pour ça, il faut être là. »

Il affirme que des agents du contrôle routier assurent présentement environ quatre heures de présence pour surveiller l’accès à cette bretelle d’autoroute. « Ce n’est pas assez », dit-il.

Avant que la circulation y soit interdite aux camions, en juin 2017, cette bretelle de l’échangeur Des Sources montrait des débits quotidiens d’environ 5000 véhicules, dont 7 % de camions, soit une moyenne de 350 camions par jour.

Il y a d’autres cas semblables, poursuit le contrôleur.

« À Sherbrooke, une fois, on a interpellé un camion qui venait de passer sur le pont de la rue des Grandes-Fourches. Il a été pesé à 55 tonnes. Le poids maximum sur ce pont-là est de seulement 10 tonnes. » — Un contrôleur routier

Ce pont en piteux état, qui date de 1963, va complètement disparaître du paysage d’ici quelques années dans un projet de réaménagement majeur de la Ville de Sherbrooke, qui va couper tout lien entre la rue et le réseau routier supérieur.

Dans l’intervalle, toutefois, cette vieille structure, qui porte aussi le numéro de route 143, reste sur le trajet le plus court et le plus rapide entre le centre-ville de Sherbrooke et le réseau d’autoroutes (55, 610, etc.) qui ceinture la Reine des Cantons-de-l’Est.

Pas d’inquiétudes

À la vice-présidence de la SAAQ responsable du contrôle routier et de la sécurité des véhicules, le directeur général du soutien aux opérations, Claude Pigeon, affirme sans détour qu’il « ne partage pas du tout les inquiétudes de M. Labonté » quant à la sécurité des ponts et des structures du Ministère, et la nécessité de surveiller des structures en particulier.

« Pour les ponts à tonnage réduit, affirme M. Pigeon, on n’assigne pas des contrôleurs à surveiller une structure de façon continue, à moins d’en recevoir la demande spécifique par le ministère des Transports du Québec. De temps en temps, il y a un pont ou un viaduc pour lequel le Ministère va nous demander une surveillance particulière, parce qu’ils ont détecté un problème de structure imminent. C’est très rare. Cette année, on n’a pas eu une seule de ces demandes, sauf pour la région de Gatineau, en raison des inondations. »

M. Pigeon estime que la protection des infrastructures routières est mieux assurée par « la présence des postes de contrôle partout sur le réseau routier, et un parc de véhicules de patrouille dont la moitié est équipée d’une balance ou d’un pèse-roue. C’est comme ça qu’on peut peser des véhicules sur tout le territoire ».

Le directeur indique qu’en 2018, les constables du contrôle routier du Québec ont réalisé un total de 102 315 vérifications de poids de véhicules, qui ont conduit à 5151 constats d’infraction. Une moyenne de camions en infraction d’à peine 1 véhicule sur 20 (ou 5 %), fait remarquer M. Pigeon. Et la tendance est à la baisse, assure-t-il.

« On est performant, on augmente le nombre de nos interventions à chaque année et on fait une bonne job. On a les effectifs nécessaires pour faire notre travail », répond-il aux demandes de la Fraternité.