Le dénombrement des personnes en situation d'itinérance réalisé l'an dernier devrait révéler une hausse du nombre de sans-abri à Montréal, mais continue à sous-estimer le phénomène, préviennent les groupes communautaires de la métropole québécoise.

Une soixantaine de villes un peu partout au Canada, dont 12 au Québec, ont dénombré en avril 2018 les personnes en situation d'itinérance sur leur territoire. Près d'un an plus tard, les résultats devraient finalement être rendus publics en début de semaine. Les groupes communautaires de la métropole anticipent une augmentation du bilan de 3016 personnes en situation d'itinérance recensées en 2015 à Montréal.

« On s'attend à ce que ce soit un peu plus. Depuis trois ans, on a assisté à une augmentation de la fréquentation des ressources d'hébergement. Chez les hommes, il y a eu 10 % plus de nuitées offertes. C'est signe que plus d'hommes qui ont été dans ces ressources y ont été plus longtemps », explique Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). Signe de l'augmentation, l'unité de débordement mise en place cet hiver dans l'ancien hôpital Royal Victoria a reçu de 60 à 80 visiteurs chaque soir.

Travailleur matinal, Pierre Gaudreau dit être frappé par le nombre grandissant d'itinérants se réfugiant dans le métro cet hiver. « C'est impressionnant, à l'ouverture du métro, de voir le nombre de personnes qui descendent sur les quais pour se réchauffer », dit-il.

Itinérance cachée

Voilà, les chiffres qui seront dévoilés ne révèlent pas la réelle ampleur du problème, prévient le RAPSIM. « Il y a une partie de l'itinérance qu'on voit, mais il y a celle qu'on ne voit pas. Et un dénombrement, ça ne compte que la partie visible. C'est un polaroïd d'un soir », dit M. Gaudreau.

Les groupes communautaires soulignent que les dénombrements peuvent difficilement évaluer l'ampleur de l'itinérance cachée.

« Il y a plein de gens qui n'ont pas une adresse stable, qui vont du plancher d'une maison de chambres à un autre, qui vont faire du couchsurfing tout au long de l'année. Quand tu es sur un divan sans savoir où tu vas aller jeudi ou vendredi, tu es en situation d'itinérance. » - Pierre Gaudreau, du RAPSIM

En 2014, par exemple, un dénombrement dans les principales villes du Nunavut avait évalué à 100 le nombre de sans-abri. Mais en se penchant sur le phénomène de l'itinérance cachée, le bilan réel atteignait les 1200, a souligné un comité consultatif sur l'itinérance mis en place par Ottawa.

Or les groupes craignent que le financement des services soit déterminé par les résultats et donc s'intéresse uniquement au phénomène de l'itinérance visible. « Au dernier dénombrement, on entendait les élus dire : "On va voir où ils sont, où investir." Ça met une pression d'orienter les actions sur ceux qu'on voit », se désole Pierre Gaudreau.

Ce dernier salue l'ambition du gouvernement fédéral de réduire de moitié l'itinérance, mais craint qu'on ne s'attaque qu'à la pointe visible.

Boom économique

Cette hausse anticipée du nombre d'itinérants survient alors que la situation économique au Canada, et particulièrement au Québec, s'est nettement améliorée ces dernières années. « Oui, il y a un boom économique, un faible taux de chômage, mais cette croissance n'est pas pour tout le monde », dit M. Gaudreau.

La transformation de nombreux logements en hébergements temporaires, comme Airbnb, fait disparaître de nombreux logements abordables. « Le parc locatif pour les gens à faibles revenus s'atrophie. On développe un peu de logements sociaux, mais pas assez pour compenser les logements transformés pour les touristes », dit M. Gaudreau.