Un pollueur qui devait être banni des contrats publics tente actuellement de transférer ses activités à sa femme, afin qu'elle garde au sein de la famille de lucratives ententes avec les municipalités de la région métropolitaine.

La situation est jugée tellement préoccupante que la Ville de Montréal a alerté Denis Gallant, l'ancien procureur de la commission Charbonneau, qui dirige maintenant la nouvelle Autorité des marchés publics.

Mélimax et son propriétaire, Mario Landry, ont fait des millions au fil des ans avec les rebuts de construction, de démolition et de rénovation de Montréal et de la Montérégie.

L'entreprise exploite un centre de tri de matériaux secs à Châteauguay et un à Montréal. Elle gère l'écocentre de la Ville de Châteauguay et jusqu'à récemment, elle faisait affaire avec plusieurs autres villes, dont Montréal, pour prendre en charge les matières résiduelles non organiques dont les citoyens veulent se débarrasser : bois, métal, appareils électroniques, pneus, brique, gypse, ciment et autres.

Ses prix semblaient parfois imbattables. Et pour cause. Une enquête du ministère de l'Environnement a conclu que Mario Landry et ses entreprises ont jeté pendant des années des montagnes de rebuts dans une ancienne sablière à Godmanchester, plutôt que de les revaloriser ou de les gérer écologiquement.

Une menace pour la vie humaine

Les amoncellements s'élèvent sur un terrain très perméable, ce qui menace la nappe phréatique où s'approvisionnent plusieurs résidants du secteur. Dans leur rapport déposé à la cour, les fonctionnaires évoquent un «danger grave pour l'environnement et la vie humaine».

Plusieurs constats d'infraction ont été dressés contre Mélimax et Mario Landry. Le 7 janvier, toutes les entreprises de l'homme d'affaires ont été ajoutées au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics. Les pièces justificatives obtenues par La Presse soulignent que M. Landry «élude les lois environnementales et la réglementation municipale de façon répétée».

L'inscription sur cette liste noire veut dire qu'aucun organisme public, y compris les villes, n'a le droit de faire affaire avec elles. Plusieurs villes devaient donc trouver un nouvel acteur pour prendre en charge leurs matières résiduelles, ce qui n'a pas nécessairement été facile.

Sa conjointe prend le relais

Selon ce qu'a appris La Presse, la société de cautionnement qui garantissait les opérations de Mélimax, Intact Corporation financière, a proposé à plusieurs clients que les services soient rendus par une nouvelle entreprise établie à Chambly et qui opère sous plusieurs noms : Transport Rouville, Récupération Rouville, Conteneurs Rouville et Le Géant du conteneur.

Mélimax a elle-même envoyé un courriel à plusieurs clients pour les aviser que la nouvelle entreprise allait prendre en charge toutes ses ententes de services. «Cela ne changera rien à vos habitudes, tous les contacts, courriels et téléphones restent les mêmes ou seront automatiquement transférés», précise le message.

Or, la nouvelle entreprise aux noms multiples est dirigée par la conjointe de Mario Landry, Bianca Freeman.

Mme Freeman était jusqu'à récemment elle-même impliquée dans Mélimax. Elle était même copropriétaire avec son conjoint du terrain à Godmanchester où les montagnes de rebuts menacent la nappe phréatique (le couple a vendu le site pollué l'an dernier).

Mme Freeman déclare encore habiter à la même adresse que Mario Landry, celui qui n'a plus le droit d'obtenir un contrat public.

La Ville de Montréal avait réussi à trouver d'autres entreprises pour prendre la relève de Mélimax, sauf pour deux contrats de transport de matières résiduelles par conteneurs, où elle dit s'être retrouvée incapable de trouver elle-même une solution de remplacement.

Malaise à la Ville de Montréal

Lorsque Intact Corporation Financière a annoncé que l'entreprise de la femme de Mario Landry allait continuer d'offrir le service, un malaise s'est fait sentir au comité exécutif de la Ville.

«La Ville de Montréal a évalué toutes les options pour éviter de faire affaire avec Transport Rouville», assure à La Presse Geneviève Jutras, attachée de presse de Valérie Plante.

Mme Jutras souligne que selon l'analyse de la Ville, le cadre juridique actuel ne donne pas de levier suffisant pour écarter un fournisseur qui a des liens familiaux avec un entrepreneur banni. Même s'il s'agit carrément de la conjointe du délinquant. C'est pourquoi Montréal a interpellé l'Autorité des marchés publics, l'organisme qui gère la liste noire des entreprises inadmissibles.

«Nous désirons porter à votre attention cette particularité à laquelle la loi actuelle n'apporte aucun remède», lit-on dans la lettre envoyée à Denis Gallant par le directeur général de Montréal, Serge Lamontagne.

La Ville assure aussi qu'un nouvel appel d'offres public sera lancé le plus vite possible afin de trouver un nouvel acteur capable de reprendre les opérations.

Concurrents mécontents

Selon plusieurs témoignages recueillis par La Presse au sein de l'industrie, de nombreux entrepreneurs déplorent tout de même la situation et prétendent que la Ville aurait pu s'arranger pour trouver des remplaçants qui ne sont pas liés à Mélimax.

«Je suis en train de tout perdre à cause de ce gars-là ! Je n'ai rien contre la compétition, mais je ne peux pas compétitionner contre un gars qui est croche ! C'est comme si ça ne servait à rien d'être honnête», déplore un entrepreneur qui était intéressé à offrir ses services à Montréal. L'homme d'affaires a demandé à ne pas être nommé par crainte de nuire à sa prochaine soumission auprès de la Ville s'il fait publiquement des critiques.

À Longueuil, le porte-parole de la Ville, Louis-Pascal Cyr, n'a pas voulu discuter de l'offre de service de Conteneurs Rouville, mais il a indiqué que la municipalité est en appel d'offres public pour trouver un nouveau fournisseur de services.

À Châteauguay, la porte-parole de la Ville, Marie-Claude Tremblay, a indiqué que la municipalité a obtenu une permission spéciale du ministère des Affaires municipales afin de continuer à faire affaire avec Mélimax jusqu'au 10 juin prochain. Pour la suite, elle «analyse actuellement les diverses options possibles».

Mario Landry et Bianca Freeman n'ont pas répondu à une demande d'entrevue par courriel. Leur ancienne avocate, qui répondait habituellement aux questions des médias à leur place, a affirmé ne plus les représenter.